Europe politique, année zéro


Europe politique, année zéro

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Et si les élections européennes, quels que soient leurs résultats, favorisaient la création d’une Europe politiquement plus intégrée ? Si, en cette fin de campagne, malgré les sondages qui révèlent une hostilité croissante à l’intégration européenne, un phénomène concomitant tire l’opinion publique européenne dans une direction opposée : l’émergence d’espaces politiques transnationaux.

Pour la première fois, à la suite des changements introduits par le traité de Lisbonne, les candidats à la présidence de la Commission européenne sont obligés de faire campagne auprès des citoyens des 28 pays membres, et non plus simplement auprès des 28 chefs d’Etat. Ces nouvelles règles du jeu pourraient déclencher un processus aujourd’hui difficile à imaginer. Il est sans doute encore tôt pour y voir le début d’une Europe politique reconnue comme telle par ses citoyens, mais un processus inédit est bel et bien en marche.

Ne sous-estimons pas  les futurs effets à long terme de la campagne menée par les cinq candidats à la présidence de la Commission européenne. Des personnalités telles que Martin Schulz et Jean-Claude Juncker n’appartiennent plus exclusivement à leur communauté politique d’origine. Même si les débats entre les cinq impétrants n’ont pas suscité beaucoup d’intérêt, ces joutes ont introduit un sentiment de proximité entre l’électeur et les candidats, là où l’actuel président de la Commission, José Manuel Barroso, n’est connu des Européens que pour ses apparitions médiatiques, comme n’importe quel leader mondial.

Alexis Tsipras annonce peut-être la portée à long terme de cette campagne européenne. Le chef de Syriza, mouvement de la gauche radicale grecque, n’a pas hésité à tenir un meeting à Palerme le 17 avril. Un public italien enthousiaste l’y  a accueilli. Or, selon Tsipras, la capitale de la Sicile n’est pas une exception : « C’est comme ça dans chaque ville où nous nous rendons. Je suis reçu comme une star du foot », a-t-il confié aux journalistes. Jusqu’à présent, seuls les hommes politiques nationaux parvenaient à susciter une liesse digne des stades de foot lors de certains moments clés des campagnes électorales de première importance, comme l’élection présidentielle française.

Autre exemple : Manuel Valls dont l’intervention trilingue à Barcelone a été largement médiatisée. Il faut imaginer la scène : un Premier ministre français évoquant en espagnol et en catalan son enfance dans le quartier du meeting dont il partageait la tribune avec l’Allemand Martin Schulz et l’Espagnol Felipe Gonzales. Pour brouiller un peu plus les frontières, Manuel Valls s’est aussi permis de critiquer ouvertement la politique anti-avortement du gouvernement espagnol.

La magie de la politique– qui suscite enthousiasme et espoirs exagérés tous les cinq ans, créant des liens très forts entre le peuple et ses représentants  – semble désormais opérer dans un contexte transnational. Il serait exagéré d’en tirer les prémices d’une nation européenne avec des partis et une classe politique en commun. Ceci étant, ces expériences pourraient à terme s’avérer plus importantes que les programmes politiques affichés. Autrement dit, la manière de faire est encore plus importante que ce que l’on fait, comme le montre l’exemple, très instructif, de la mobilisation d’un groupe defemmes catholiques au début du XXe siècle.

Celles-ci souhaitaient soutenir les candidats catholiques opposés au droit de vote des femmes, avec l’idée qu’elles devraient se contenter de la maternité et de la gestion du foyer. Très vite, leur pratique s’imposa à leurs idées : leur militantisme, notamment au sein de la Ligue patriotique des Françaises, en ont fait des femmes politiques professionnelles. A force de délaisser enfants et mari le week-end pour de longs voyages au service de la cause, elles ont acquis un niveau d’indépendance qu’elles ne soupçonnaient pas.

Pour revenir à l’Europe, cette campagne pourrait susciter des évolutions insoupçonnées et faire émerger des carrières politiques transnationales. Ainsi, Alexis Tsipras – d’ailleurs de plus en plus contesté en Grèce – pourrait caresser l’idée d’une candidature dans un autre Etat membre. Comme jadis Thomas Paine, sujet anglais devenu américain à 38 ans, puis élu député de l’Assemblée nationale française à 55 ans en 1792, ou Garibaldi (né en France en 1807, élu député de Côte d’or en 1871, quatre ans avant de devenir élu… de Rome. Mais sans remonter aussi loin en arrière, pensons à Daniel Cohn-Bendit. L’ancien leader de mai 68 n’a cessé de louvoyer entre la France et l’Allemagne, aussi à l’aise dans l’un et l’autre des deux systèmes politiques. Aura-t-il bientôt nombre d’héritiers ? Pour le savoir, regardons ce que font nos hommes politiques plutôt que de nous contenter d’écouter ce qu’ils disent…

*Photo :  Andreu Dalmau/EFE/SIPA. 00684177_000001.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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