Merkel – Erdogan: le vrai couple qui dirige l’Europe


Merkel – Erdogan: le vrai couple qui dirige l’Europe
Recep Erdogan et Angela Merkel, en février 2014, à Berlin (Photo : SIPA.AP21518086_000010)
Recep Erdogan et Angela Merkel, en février 2014, à Berlin (Photo : SIPA.AP21518086_000010)

Il est clair pour qui en douterait que le « couple franco-allemand » (une expression que nos amis allemands ont en horreur, mais qui s’en préoccupe chez nous ?) ne conduit plus les affaires de l’Europe. Désormais, c’est l’Allemagne qui règne sans partage, au moins apparemment, et la France ne compte plus guère. Non point en raison de sa faiblesse intrinsèque : le PIB français ne représente certes que 74 % de l’allemand mais ce n’est pas nouveau et puis, il n’y a pas que l’économie qui compte : « La France a pour la première fois depuis deux siècles une supériorité militaire écrasante sur l’Allemagne »[1. Le mur de l’Ouest n’est pas tombé, Hervé Juvin, Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 2015, page 28.] et ceci devrait compenser cela. Non, c’est par manque de volonté que la France s’est effacée.

Il reste néanmoins qu’un couple domine effectivement l’Europe : le couple Angela Merkel – Recep Erdogan : la chancelière d’Allemagne et le président de la Turquie ; leur coopération étroite explique beaucoup de choses qui se passent en Europe, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Convergences sur les  réfugiés

D’abord, la question des réfugiés. Il est clair que, quand à l’été 2015 Angela Merkel a fait savoir que les réfugiés syriens et irakiens seraient les bienvenus en Allemagne, elle se trouvait en parfaite synergie avec Erdogan qui laissait au même moment s’organiser le trafic consistant à aller chercher les réfugiés au Liban, souvent amenés en bus de Damas même, et à les faire passer vers la Grèce au prix de 5 000  à 10 000 €. Un trafic très lucratif (qui ne concerne pas les réfugiés déjà en Turquie, trop pauvres pour payer) pour la mafia turque pour laquelle le gouvernement turc semble avoir plus que des faiblesses. La coordination entre Merkel et Erdogan n’est cependant pas aussi parfaite que l’auraient souhaité certains réfugiés : pour 170 € et un visa allemand, ces malheureux auraient pu prendre l’avion Istambul-Berlin sans prendre le chemin hasardeux et sordide de la « route des Balkans ». La coïncidence des dates n’en est pas moins troublante.

 

Quand Erdogan s’est trouvé, à l’automne, confronté à une élection législative difficile, il a reçu dans la dernière semaine la visite d’Angela Merkel qui lui a promis tout ce qu’il fallait pour renverser la situation : accès de Turcs sans visa au territoire de l’Union, reprise des négociations d’adhésion et déblocage de 3 milliards d’euros d’aide. Grâce à cet appui, l’arrestation de dizaines de journalistes et un trucage massif, le président Erdogan a conservé une majorité  parlementaire.

Un compromis très inégal

Merkel n’engageait en principe qu’elle, mais c’est comme par hasard ces promesses que l’on retrouve dans le mandat de la négociation que Merkel était chargée de mener avec les instances européennes lors de la rencontre du 18 mars dernier. Et sur les trois chapitres, Erdogan a gagné : aux 3 milliards déjà obtenus en novembre, viennent même s’ajouter 3 nouveaux milliards. Les négociations d’entrée doivent reprendre et les Turcs doivent pouvoir entrer sans visa dans l’Union européenne dès le 1er juin. Heureusement, ce dernier point est soumis à 72 conditions sur lesquelles la France a insisté (Hollande servirait donc encore à quelque chose !) dont toutes ne sont pas remplies.

Qu’a donné Erdogan en échange ? Presque rien : après avoir fait un « tri » individuel selon des procédures compliquées loin d’être mises en place, l’Union européenne pourra renvoyer jusqu’à 72 000 réfugiés (à rapporter au million qui est déjà rentré), mais la Turquie aura le loisir de les remplacer un à un par d’autres supposés plus authentiques.

Grande discrétion sur le départ des réfugiés à partir de la Turquie que ce pays ne s’est que vaguement engagé à freiner. Elle s’y était déjà engagée fin 1995 ; or le flux n’a guère diminué : 150 000 sont entrés au cours du seul premier trimestre. Aller plus loin pour la Turquie, ce serait reconnaître qu’elle a la mainmise sur ces flux et donc, qu’elle les a probablement provoqués. Il n’en a pas été question.

Il n’a pas été question non plus de la responsabilité de la Turquie dans le déclenchement de la guerre poursuivie en Syrie et en Irak dans laquelle elle porte une lourde part de responsabilité. Ce n’était pas à l’ordre du jour. Et d’ailleurs les principaux pays de l’Union : France, Grande-Bretagne et Allemagne ont  aussi  leur part de responsabilité.

Les négociations ont été serrées : en arrivant à Bruxelles, Ahmet Davutoglu, pas moins hypocrite que son patron, a averti les dirigeants européens que la question des réfugiés n’était « pas un marchandage, mais une question de valeurs humanitaires, ainsi que de valeurs européennes ».

Sur le même registre, Peter Sutherland, secrétaire adjoint des Nations unies aux réfugiés, s’est inquiété que les conditions exigées par l’Europe ne soient pas légales au regard du droit des réfugiés. Cet ancien commissaire européen à la concurrence aime la libre circulation des marchandises et des hommes. On se demande pourquoi, autre « coïncidence », il avait décidé, toujours à l’été dernier, la diminution des allocations journalières des réfugiés se trouvant dans les camps.

On dit qu’Angela Merkel était très remontée pendant ces négociations. Il y a de quoi mais avec quelle sincérité ? Qui nous fera croire que la puissante Allemagne n’avait pas les moyens d’obtenir plus si elle l’avait voulu ?

Pourquoi tant de timidité ?

On peut s’interroger sur les relations étonnantes entre Recep Erdogan et Angela Merkel, l’un Frère musulman, l’autre protestante libérale influencée par le marxisme. La chancelière aurait-elle trouvé son maître ? Tout indique que, à la différence du « couple » franco-allemand, ce n’est pas elle qui tient les rênes.

La Turquie bénéficie, comme pays candidat à l’Union européenne, d’un libre accès au marché et de subventions importantes. On pourrait presque dire qu’elle a les avantages de l’Union sans les inconvénients. Les moyens de pression sur elle ne manquent donc pas.

Pourquoi alors tant de timidité de la part de la chancelière, pourquoi cette cécité volontaire qui empêche de voir la responsabilité directe d’Erdogan dans les conflits du Proche-Orient et dans le transit de plus d’un million de réfugiés ? Erdogan qui ne cachait pas jadis son souhait d’islamiser l’Europe par l’immigration, afin de venger la défaite de Lépante. C’est la question la plus importante pour l’Europe, décisive pour son devenir, et elle reste sans réponse évidente.

Les relations entre l’Allemagne et la Turquie sont anciennes : les deux pays les plus peuplés d’Europe — si on accepte les Turcs dans l’Europe et ils y sont déjà à bien des égards — peuvent conjuguer leur poids pour imprimer un destin à tout le continent : la culpabilité et la haine de soi de l’un, l’expansionnisme et le militantisme islamique de l’autre ne pouvaient que se rencontrer. D’autant que la première manque d’enfants et d’ouvriers.

Ces relations sont anciennes : au temps du Kaiser le projet de train Berlin-Istanbul-Bagdad constituait un des axes de la politique allemande. La coopération militaire allemande assista aux premières loges au massacre des Arméniens qui, Hitler dixit, inspira plus tard celui des juifs (Hitler auquel Erdogan s’est récemment comparé).

L’ombre de Washington

Ces relations n’expliquent pas tout. Pas davantage que les relations personnelles de la chancelière et du nouveau sultan. Les deux pays sont membres de l’Otan et sous la tutelle étroite des États-Unis, surtout Berlin.  Certains courants d’opinion à Washington ne cachent pas leur souhait de voir l’entrée massive de musulmans rabattre une fois pour toutes la superbe européenne, plonger notre continent dans de si grandes difficultés civiles qu’il  sera définitivement écarté de la scène mondiale. A Davos, le processus migratoire a reçu les encouragements du FMI et de l’OCDE, preuve qu’il a des parrains haut placés. Washington et Ankara ont tous deux la Russie de Poutine dans le collimateur. D’autres toutefois laissent penser qu’Obama serait fatigué des manigances d’Erdogan et préférerait calmer le jeu.

La  menace des attentats

En tous les cas, Berlin serait bien récompensée de sa compréhension toute particulière vis-à-vis d’Ankara en échappant, pour le moment au moins, aux attentats islamistes. De même qu’en octobre, lors d’une tournée électorale auprès des Turcs d’Europe appelés à voter, Erdogan avait violemment attaqué la France à  Strasbourg et l’Europe à Bruxelles, mais pas l’Allemagne. Si  l’on en croit certaines sources, notamment grecques, évoquées par Mediapart, les attentats de Paris et de Bruxelles auraient été organisés par les Turcs inquiets du soutien de la France et de l’Europe aux Kurdes. Des menaces à l’encontre de la France et de l’Europe dans la presse turque, dans les jours qui ont précédé les drames, l’attesteraient. La proximité d’Erdogan et de Daech est assez grande pour l’expliquer et le roi Abdallah de Jordanie l’aurait confirmé. Il est cependant trop tôt pour se prononcer de manière certaine. L’Allemagne a certes été épargnée par les attentats sanglants, mais elle a eu droit à des attentats à la pudeur, eux aussi bien coordonnés.

En politique internationale, si la force peut conduire aux excès, la faiblesse est souvent criminelle : les années 30 nous en avaient administré la leçon. Il se peut que l’effacement de la France, dont nous avons évoqué plus haut la raison, ait des conséquences bien plus calamiteuses qu’on ne l’imagine : non seulement le déséquilibre et, par là, la disparition du partenariat franco-allemand, qui constituait un axe de raison et de maîtrise de l’Europe par elle-même, mais aussi l’émergence de nouvelles forces et de nouvelles tendances fort inquiétantes pour l’avenir du continent ; il est temps que notre pays aujourd’hui en interrègne,  reprenne sa place dans le concert des nations !



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est essayiste.

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