Le paradoxe du sac éco-responsable


Le paradoxe du sac éco-responsable

écologie marketing

Les sacs réutilisables, qui remplacent progressivement les vieux sacs en plastique « étouffe dauphin », sont devenus un symbole quotidien de la prise de conscience écologique. Mais, s’ils permettent de limiter la masse de plastique flottant dans le Pacifique, ils exercent aussi un pouvoir occulte sur nos faibles esprits de consommateurs. Des chercheurs américains s’y sont intéressés de près et leurs conclusions surprennent.

Aux Etats-Unis, 29% des gens déclarent utiliser régulièrement ces sacs écologiques. Bryan Bollinger, de l’université de Duke, et Una Karmarkar, de Harvard, se sont penchés sur les changements de contenus du panier d’un acheteur selon qu’il apporte son propre sac ou non. Leur étude s’appuie sur deux panels différents. L’un est localisé en Californie, dans une grande enseigne, où les achats des clients ont été scrutés au jour le jour pendant deux ans. L’autre panel est national et constitué en ligne : on place les sujets dans un magasin virtuel, avec pour seule variable la présence ou l’absence d’un sac cabas, puis on leur demande d’indiquer les dix articles qu’ils voudraient acheter.

La première conclusion des auteurs est prévisible : « Les consommateurs qui apportent leurs propres sacs sont plus susceptibles d’acheter des produits biologiques et de la nourriture saine. » Disposer d’un sac écologique joue donc sur nos comportements. En prenant notre sac, nous pensons avoir un effet positif sur l’environnement et nous nous sentons moralement bons. Ravis, nous désirons persévérer sur le chemin de la vertu. Les produits écologiques ou simplement bons pour la santé sont associés, notamment par les stratégies marketing, à un mode de vie sain. Ainsi, la part dans les achats de ce type de produits augmente de 13% quand le client s’est muni de son sac.

Prenons l’exemple de Pete, qui part faire ses courses au supermarché. Lui qui d’habitude ne prend pas de sac réutilisable se sent, pour une fois, d’humeur écologique. Il fouille ses placards, trouve un vieux sac Ikea et s’en va bienheureux. Arrivé sur place, Pete ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et acquiert des carottes, des lentilles bios et des yaourts à 0%.

Mais, quelque part, le bât blesse. Et nos chercheurs nous livrent une seconde conclusion un rien plus inattendue. La part des produits sains n’est pas la seule à varier, celle des produits malsains, et notamment de la « malbouffe », augmente aussi de 7%. Les chercheurs expliquent ce phénomène par une donnée psychologique : lorsque nous nous sentons vertueux, nous nous autorisons à nous relâcher et donc à commettre des actes moins responsables. Ainsi peut-on lire dans l’étude :  « Ce sentiment les persuade facilement que, puisqu’ils se comportent déjà bien avec l’environnement, ils peuvent se nourrir de cookies, de chips ou d’autres produits avec beaucoup de sel, de sucre et de graisse. »

Autrement dit, Pete, pétri de bonne conscience environnementale, finira de remplir son sac Ikea avec une boîte de chocolats, des chips et de la glace Ben & Jerry’s. Et il retournera ranger ses courses dans son 4×4 le cœur léger. Grâce à son sac réutilisable, tout sentiment de culpabilité s’est envolé.

Malgré toute notre bonne volonté, il semble ainsi que certains mécanismes nous échappent. Et les grands magasins auraient tort de ne pas en profiter. Les chercheurs concluent d’ailleurs leur étude par un conseil à leur usage. Les enseignes dans lesquelles les sacs cabas rencontrent un grand succès, devraient selon eux mettre en avant les produits que leur usage nous incite à acheter – bio d’un côté, malbouffe de l’autre – afin d’augmenter leurs ventes en surfant sur nos velléités « éco-responsables ».

*Photo : Pixabay.com



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