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Kazakhstan: «Nous ne nions pas que les autorités sont en partie responsables de la situation»

Entretien avec Jean Galiev, ambassadeur de Kazakhstan en France


Kazakhstan: «Nous ne nions pas que les autorités sont en partie responsables de la situation»
Almaty, Kazakhstan, 6 janvier 2022 © Orda.kz/TASS/Sipa USA/SIPA

Causeur. À la suite de l’annonce d’une hausse du prix du gaz le 2 janvier 2022, le Kazakhstan a connu un déchainement de violence sans précédent. Que répondez-vous aux accusations de répression dans le sang par l’État ?

Jean Galiev. Le Kazakhstan, en tant que membre responsable de la communauté internationale, est partie à toutes les conventions et tous les accords relatifs aux droits humains. Le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokayev a initié des amendements à la législation, selon lesquels les rassemblements de masse et les manifestations pacifiques sont autorisés sur la base d’une notification. Cependant, début janvier, les marches pacifiques se sont transformées en chaos, pillages et attaques des bandes armées, dont les citoyens ordinaires et les forces de l’ordre ont été victimes. Dans ces conditions, que pensez-vous que nos policiers auraient dû faire? Regarder des gens se faire tuer et piller sans impunité ou négocier avec des terroristes ? La réaction et les actions des forces de l’ordre visaient uniquement à protéger les citoyens du Kazakhstan.

On parle de 225 morts, 4500 blessés et près de 10 000 interpellations…

Lors des premiers jours des rassemblements pacifiques, les forces de l’ordre n’étaient pas armées. « Nous n’avons jamais utilisé et n’utiliserons jamais la force armée contre des manifestants pacifiques », a répété le président de la République en s’adressant à la nation et à la communauté internationale. Mais plusieurs attaques armées contre des lieux administratifs ont eu lieu simultanément dans pratiquement toutes les régions et ont révélé des actions coordonnées et une grande préparation au combat. Les cibles prioritaires étaient des mairies, des administrations, des bâtiments des forces de l’ordre, des magasins d’armes, des bureaux de poste, des stations de télévision et de radio, les archives d’État… et même des hôpitaux et les morgues. Dans tout le pays, 1 300 entreprises ont été touchées. Plus d’une centaine de centres commerciaux et de banques ont été pillés et incendiés. C’est la seule raison pour laquelle le chef de l’État a donné l’ordre de tirer à balles réelles. Le prix à payer a été très élevé, notamment de nombreuses pertes parmi les forces de sécurité et les civils. 

De nombreuses théories circulent au sujet de cette crise. Selon l’une d’entre elles, cette dernière aurait été planifiée par Moscou pour introduire des troupes russes au Kazakhstan ?

De tels scénarios sont le fruit de l’imagination enflammée des théoriciens de la conspiration. Mais il est vrai que beaucoup de nos partenaires étrangers, notamment des pays occidentaux, ont perçu l’aide de l’OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective) comme une forme d’occupation… Ce n’est pas le cas. Le 10 janvier, le président Vladimir Poutine a déclaré que la Russie était solidaire avec nous et considérait les événements au Kazakhstan comme une tentative de porter atteinte à la sécurité et à l’intégrité de l’État, et de la région dans son ensemble. Et tous les États membres de l’OTSC sans exception nous ont assuré qu’ils étaient prêts à quitter le Kazakhstan dès que la situation aurait été stabilisée. Mercredi 19 janvier, les derniers soldats des forces internationales de maintien de la paix ont quitté le territoire de notre pays. 

Quelles sont les preuves de la nature terroriste des actions ? 

Une opération antiterroriste est en cours. Selon les dernières informations que nous avons reçues de la part de nos agences gouvernementales, 9213 personnes ont été placées en garde à vue. Près de la moitié (4561), après la détermination du degré de responsabilité de chacun dans les troubles et actes de violence, furent rapidement relaxées, 1245 se sont faits verbaliser et ont eu des amendes. À ce jour, 819 enquêtes préliminaires impliquant des incidents graves sont en cours dont 45 impliquant des actes de terrorisme, 15 des meurtres et 36 des émeutes. Dans le cadre de ces affaires pénales, 970 personnes ont été détenues comme suspectes, dont 782 ont été arrêtées sur décision de justice. Parmi les émeutiers, il y avait des ressortissants étrangers, y compris des citoyens des États voisins. Il est probable que toutes les opérations de combat ont été coordonnées à partir d’un seul et même centre de décision. Ces attaques ont été menées par des professionnels très bien entraînés, notamment des tireurs d’élite équipés de fusils spéciaux, qui ont utilisé leurs propres moyens de communication et se sont déguisés en soldats et en agents de la force publique. D’autres se sont cyniquement déguisés en émeutiers qui leur ont servi de boucliers humains. Ce sont des méthodes bien connues qui ont été pratiquées dans d’autres pays. L’enquête est en cours. À son issue, nos autorités communiqueront les résultats et présenteront les preuves à la communauté internationale en toute transparence.

Comment expliquez-vous que le gouvernement du Kazakhstan ait coupé l’Internet au déclenchement de la crise ?

La coupure des communications pendant l’état d’urgence est une mesure forcée et temporaire pour la sécurité de la population elle-même. Vous savez très bien que, partout dans le monde, les terroristes et les criminels utilisent Internet et les communications cellulaires pour coordonner leurs activités destructrices. Dans les conditions de l’état d’urgence, le gouvernement a été contraint de prendre une telle mesure, certes radicale et impopulaire. Mais les Kazakhstanais ont manifesté leur compréhension et ont fait preuve de grande patience.

Au milieu de la crise, le président Tokayev a pris un certain nombre de mesures, procédé à d’importants remaniements au sein des forces de l’ordre et pris la tête du Conseil de sécurité du pays. Ces actions signifient-elles la fin de l’ère Nazarbaïev ? 

L’évolution rapide de ces événements tragiques, des troubles de masse et des actions illégales dans de nombreuses villes de notre pays n’a laissé aucun autre choix. Les forces de l’ordre ont mené des enquêtes qui ont permis de trouver des preuves de violations de la loi par de hauts représentants des forces de sécurité. La décision finale, le degré de culpabilité de ces personnes doit être déterminé par le tribunal. De son côté, Nazarbaïev a jeté les bases du Kazakhstan moderne ; il a pleinement rempli sa mission historique de père fondateur de notre État. Par étapes, il a transmis une partie de ses pouvoirs à la prochaine génération de femmes et d’hommes politiques.

Comment expliquez-vous que pendant 30 ans de développement du Kazakhstan, les autorités n’aient pas pu anticiper cette crise ?

Depuis 30 ans d’indépendance, le Kazakhstan s’est imposé comme un État fort, doté d’une économie de marché et de traditions séculaires. Mais nous ne sommes pas un État policier. Le Kazakhstan a été confronté au plus grand choc de son histoire moderne. Jusqu’à ce janvier tragique, il n’y a jamais eu d’attaque d’une telle ampleur dans l’ensemble de l’espace post-soviétique. Nous devons mener une enquête approfondie sur ce qui s’est passé et en tirer de sérieuses leçons afin que cette tragédie ne se reproduise pas. Nous ne nions pas que les autorités elles-mêmes sont responsables de la situation. La corruption dans l’application de la loi, la répartition inéquitable des avantages économiques, le chômage et la mauvaise protection sociale sont autant de facteurs qui ont conduit à une explosion de colère populaire.

Ces événements vont-ils entrainer des changements radicaux dans la politique sociale et économique de l’État ?

Cette tragédie exige des mesures radicales pour changer le système d’administration de l’État et la sphère sociale, et pour réduire le fossé entre les différents segments de notre société. Ce sera l’objectif des réformes économiques et politiques que nous lancerons dans un avenir proche. Dans le même temps, nous veillerons à prendre en compte les erreurs des années passées, afin de ne pas les répéter à l’avenir. Quatre volets de réformes politiques ont été mis en œuvre dans le pays depuis que Tokayev est au pouvoir. En septembre prochain, le cinquième volet des transformations démocratiques et économiques sera présenté à la Nation. Je vous rappelle que nous avons aboli la peine de mort en 2021. Nous avons l’intention d’accélérer la transformation politique du pays en accord avec les attentes de la société. Lors de ses récentes visites à Bruxelles, Vienne et Genève, le chef de la diplomatie kazakhstanaise, Moukhtar Tléouberdi, s’est entretenu avec les hauts responsables de la Commission européenne, de l’OSCE et des Nations Unies qui ont confirmé leur soutien aux réformes engagées par le président Tokayev et ont proposé leur assistance à l’élaboration du cinquième volet de ces transformations.

Pensez-vous que ce qui vient de se passer dans votre pays pourrait avoir des conséquences négatives pour les entreprises et investisseurs étrangers implantés au Kazakhstan ?

Absolument aucune ! Le président Tokayev a, d’ailleurs, réaffirmé l’engagement du gouvernement vis-à-vis des investisseurs nationaux et étrangers, ainsi que de nos partenaires commerciaux. Il a surtout insisté sur la garantie de l’ouverture de l’économie nationale, de l’inviolabilité des contrats, du respect des droits de propriété intellectuelle. Par ailleurs, la lutte contre la corruption sera renforcée en tant que l’une des priorités de son mandat présidentiel. Durant ces derniers jours, j’ai reçu de nombreux témoignages de soutien et de solidarité de la part des dirigeants des entreprises françaises. Ils expriment leur confiance en un rétablissement rapide de la stabilité au Kazakhstan et souhaitent continuer à investir dans l’économie du pays en proposant de nouveaux projets. Nous allons les accompagner dans leurs démarches comme nous l’avons toujours fait.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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