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QOTMII: savoir ce que nous pensons sans nous demander (ni nous connaitre…)

Entretien avec Jérôme Coutard, co-fondateur de Qotmii-Technologies


QOTMII: savoir ce que nous pensons sans nous demander (ni nous connaitre…)
À l'approche de la présidentielle, l'application de QOTMII révolutionne le monde des sondages classiques. D.R.

Comment fonctionne QOTMII, l’appli qui capte et analyse les tendances politiques ?


Causeur. Depuis presque deux siècles, on essaie de savoir ce que pensent les électeurs en utilisant des outils statistiques de plus en plus sophistiqués et des moyens technologiques de plus en plus avancés. Où se situe Qotmii dans cette longue histoire ?

Jérôme Coutard. L’analyse des sensibilités individuelles ou collectives est issue en effet d’une longue mutation scientifique et technique. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où la multidisciplinarité d’une part (analyses linguistiques, lexicologiques, axiologiques, psychologiques des émotions et des sentiments) et les technologies avancées d’autre part (Intelligence Artificielle) nous permettent de capter et d’analyser en quasi-temps réel les sensibilités, les perceptions. Et c’est ce que fait Qotmii : capter et analyser des millions de données chaque jour. Pour être précis, Qotmii-Politique France effectue 150 millions de calculs par jour.

Etes-vous en rupture avec la tradition des sondages d’opinion ? Les sondeurs sont obligés de poser des questions, tandis que vous analysez le comportement des personnes pour en déduire leur opinion… 

Il ne s’agit pas d’une rupture à proprement parler mais tout simplement d’une évolution apportée par l’avancement des connaissances et des technologies. Nous sommes néanmoins assez disruptifs en analysant des opinions sans poser de questions. Cette tendance est en train de germer chez les sondeurs qui sont confrontés notamment à des problématiques de non-répondants.

Ou des manipulateurs…

Tout outil, nouvelles méthodes ou technologies permettant de capter des intentions de comportement (de vote, d’achat) peut effectivement être exploité de manière non éthique. Le débat sur l’encadrement, notamment, des IA, se trouve là.

Quelle est votre « matière première » ?

Nous disposons de notre propre moteur de recherche qui collecte toutes les informations qui parlent, dans le cas de Qotmii-Politique, des politiques, candidates et candidats français aux élections présidentielles. Ces données captées sont toutes publiques : articles de presse internationale, nationale, régionale, locale, blogs et forums politiques, commentaires et publications les plus visibles sur les réseaux sociaux. Qotmii est un outil de diagnostic d’influence. Seules les informations qui ont de la visibilité (comme un article de presse ou des commentaires effectués par des catégories d’influenceurs) et qui donc peuvent influencer des individus et des groupes nous intéressent. L’idée sous-jacente est que, par exemple, la presse et les médias sociaux sont à la fois miroirs et guides des opinions publiques.

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Ne s’agit-il d’une transgression de la vie privée ? Les sondés, eux, donnent leur accord explicite…

Aucune transgression de la vie privée avec Qotmii ! On n’interroge aucune personne. Nous n’avons pas de répondants à qui nous posons des questions. Nous ne récoltons aucune information privée (nom, état civil, email…).

Pourriez-vous donner des exemples ? Est-ce que vous analysez les commentaires laissés à la suite d’articles publiés dans la presse française ? Mesurez-vous les « like » et partages sur Facebook ?   

Oui, nous récoltons les commentaires qui suivent des articles ou des vidéos que notre moteur a repérés. Nous ne récupérons toutefois pas les noms ou pseudos des rédacteurs de ces commentaires. Nous ne comptons pas les « like » qui sont des dispositifs d’adhésion et de rejet trop manipulables.

Sur les réseaux sociaux, est-ce que vous parvenez à distinguer entre les comptes de personnes réelles et des comptes fantômes justement créés pour manipuler l’opinion publique ?

En fait, la vraie question est : qu’est-ce qu’un influenceur ? Si l’émetteur d’une information est fantôme mais qu’il est extrêmement influent et suivi, nous le prenons en considération. Les comptes avec de un très petit nombre de fans ou followers sont en revanche écartés.

Et est-ce que vous exploitez uniquement l’information issue des comptes de personnes ayant le droit de vote ?    

Non. Toute donnée (articles, avis, commentaires, posts…) pertinente et influente, qu’elle émane d’un média ou d’un/une influenceur est prise en compte même si ce dernier est mineur – ce que nous ne savons et ne voulons pas savoir.

Est-ce que la notion de représentativité s’applique à votre méthode ?

Oui et non. Les sondeurs fonctionnent avec la notion de quotas représentant une « petite France ». Dans notre cas, nous captons des sources diverses et variées qui représentent l’ensemble du paysage des opinions politiques françaises. Nous analysons donc toutes les sources d’informations de tendances d’extrême-gauche à l’extrême-droite.

Peut-on dire que votre technologie permet de savoir ce que pensent les propriétaires de comptes sur les réseaux sociaux « malgré eux » ? On peut mentir à un sondeur, mais on ne peut pas s’empêcher dans la durée de « liker » et partager des éléments vis-à-vis des quels nous avons des sentiment positifs…

Nous raisonnons plus globalement, comme expliqué plus haut, en analysant toutes les sources représentatives des opinions politiques françaises. Les cotes affichées chaque jour sur Qotmii font la synthèse des données. Nous ne cherchons pas à savoir qui préfère quel candidat mais quel est le niveau de visibilité, de popularité et de potentiel d’influence électorale d’un candidat.

Comment passez-vous d’une analyse de sentiments et émotions aux intentions de vote ?

C’est une question fondamentale, au cœur de notre méthodologie. Nous sommes des capteurs d’émotions dans le sens où nous récoltons, catégorisons, et codons, notamment, des valeurs et des contre-valeurs qui sont au cœur des perceptions ou sensibilités des groupes et des individus. Ces valeurs, critères du désirable et du haïssable propres à une société donnée à un moment donné, sont porteuses de sens et d’émotions. Aujourd’hui, par exemple, le débat et les contenus que nous récoltons se structurent massivement autour de deux valeurs : la Fidélité et la Traitrise. Ce sont deux valeurs fondamentales porteuses d’adhésion ou de rejet qui vont peser sur les intentions de vote, voire sur le vote lui-même. Un adhérent LR de tendance ciotiste va se poser la question de sa fidélité au parti et, éventuellement, de la possibilité qu’il vote pour Zemmour. Idem pour un adhérent RN vis-à-vis de Zemmour qui rebat les cartes du paysage politique français. Capter les valeurs et donc les émotions des électeurs et des citoyens nous permet de cerner les convictions et dissonances cognitives de chacun, elles vont faire l’élection.

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Vos outils sont-ils dépendant de la langue ? Pourriez-vous analyser la société japonaise ou chinoise par exemple ?

Notre méthodologie nous permet d’analyser des contenus dans toutes les langues mais, pour le moment, nous n’avons travaillé qu’en anglais et en français.

Les sondeurs ont souvent des longues séries historiques de données (des élections précédentes par exemple) qui leurs servent de référence. Comment faites-vous, vous qui êtes un acteur plus récent pour palier à ce désavantage ? 

Qotmii récolte des données en continu. C’est avec ces données récentes que nous calculons des cotes. Nous ne redressons donc pas nos résultats comme doivent le faire les sondeurs. Notre objectif est de cerner les perceptions, sentiments, valeurs et donc émotions sans cesse. Ces émotions peuvent changer constamment au gré des évènements, des phrases assassines, des reportages et des analyses politiques abondamment relayés par les médias et commentés sur le web et les réseaux sociaux et qui, in fine, influencent les gens. Cette hyperréactivité de Qotmii nous permet de coller au plus près des sensibilités collectives.

Quelle est votre analyse de l’opinion publique française en vue des présidentielles d’avril ?  Existe-il en décalage entre vos indicateurs et ceux des instituts de sondages « classiques » ?

À l’inverse des sondeurs, en ce moment, nous captons une tendance forte en regard d’Éric Zemmour que l’on voit assez haut (autour de 19%-21%), en première ou deuxième position, juste devant Emmanuel Macron que nous donnons ces jours-ci autour de 16%-19%, alors que les sondeurs le situent entre 22% et 26%. Marine Le Pen varie de la deuxième à la troisième position avec des scores sensiblement les mêmes que ceux des sondeurs (autour de 16%-18%). Jean-Luc Mélenchon, extrêmement visible dans les médias sociaux, est nettement plus haut (entre 12% et 14,5%) que tous les candidats de la gauche qui peinent à percer et pour lesquels nous obtenons les mêmes scores que ceux avancés par les sondeurs (autour de 4%).



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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