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Corse: l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour


Corse: l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour

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André Fazi est politologue et maître de conférences en science politique à l’Université de Corse.

Céline Revel-Dumas. Après un premier « aménagement du territoire » dans les années 1960, la « décentralisation » a pris un virage décisif en 1982, avec notamment le statut spécial de la Corse. Ce processus a-t-il favorisé le nationalisme/séparatisme corse ou bien est-ce celui-ci qui a, au contraire, encouragé Paris à mettre en place un statut particulier de l’île ? 

André Fazi. D’un côté, à travers la création de régions élues au suffrage proportionnel, la décentralisation de 1982 a permis partout en France de renforcer la représentation politique des outsiders. En Corse, les nationalistes – comme d’autres – en ont profité pour intégrer le jeu institutionnel, alors qu’ils étaient jusque-là un véritable mouvement contestataire, refusant de participer aux élections. D’un autre côté, le statut particulier de 1982 avait bien pour objectif de définir un compromis politique favorisant la cessation de la violence. Toutefois, le PS envisageait un tel statut dès le début des années 1970, avant la radicalisation du mouvement nationaliste et la création du FLNC.

En quoi le statut spécial de la Corse, accordé en 1982, rend l’île différente d’une région métropolitaine ?

Le statut de 1982 donnait à la Corse des compétences supplémentaires par rapport aux régions continentales, par exemple au niveau des transports, de l’aménagement du territoire, des collèges, etc. En revanche, d’un point de vue qualitatif, les pouvoirs restent les mêmes : il n’était pas question de donner à la Corse le pouvoir d’adapter la loi nationale ou d’adopter sa propre loi, à l’instar de certaines collectivités d’outre-mer. Plus tard, le statut de 1991 a renforcé le particularisme en instituant un conseil exécutif politiquement responsable devant l’organe délibérant, créant ainsi une collectivité territoriale spécifique ainsi que le permet la Constitution. En revanche, le principe de l’unité de la loi est demeuré intangible et les nouvelles compétences confiées aux élus corses en 1991 puis en 2002 sont des compétences administratives.

En 1982, quelle vision avait le pouvoir de la politique « corse » ? Qu’envisageaient à l’époque le Président Mitterrand et son Premier ministre Mauroy ? 

En reconnaissant le particularisme corse et en créant une institution où tous pourraient être représentés du fait du mode de scrutin choisi, le pouvoir voulait assurément encourager les nationalistes à participer au jeu institutionnel, et délégitimer l’usage de la violence. Il espérait certainement aussi affaiblir les forces politiques jusque-là hégémoniques – gaullistes et radicaux de gauche – au profit notamment du PS, qui est toujours resté un parti marginal dans l’île.

Depuis lors, comment a évolué le politique de Paris concernant l’île ? Quid également de l’attitude corse depuis les années 1980 quant au « continent » ? 

En plus de trente ans, l’État a naturellement développé diverses stratégies : des stratégies d’affrontement (notamment en 1983-84, en 1986-88, en 1998-99), mais aussi des stratégies d’accommodement, consistant à satisfaire une partie des demandes nationalistes, et établir un compromis de nature à normaliser la situation politique de l’île. Les lois de 1991 et de 2002, réformant le statut de la Corse, sont les concrétisations les plus évidentes de ces stratégies d’accommodement.

De même, les stratégies des acteurs insulaires ont beaucoup varié. Jusqu’au début des années 1990, les forces dominantes ont montré une rigoureuse opposition au développement du particularisme institutionnel, qu’elles voyaient aussi comme un danger pour leur pouvoir. Depuis 1999, et le « processus de Matignon », il en est tout autrement : si les nuances restent importantes, nul n’évoque un retour au droit commun. Au contraire : dans la mandature 2010-2015 de l’Assemblée de Corse, de nombreux élus issus de ces forces dominantes ont repris à leur compte des revendications nationalistes, telles que la co-officialité de la langue corse. Bien évidemment, les nationalistes aussi n’ont pas toujours montré la même attitude, d’autant qu’il existe des sensibilités différentes à l’égard des fins comme des moyens.

De façon globale, on constate avant tout un long processus d’institutionnalisation. Peu à peu, l’action contestataire et les attitudes de rupture cèdent la place à l’action institutionnelle et à des attitudes de compromis. La victoire du 13 décembre 2015, même si elle n’ouvre qu’une mandature de deux ans, constitue un grand défi pour les nationalistes : sauront-ils passer de la contestation à l’exercice du pouvoir tout en maintenant intacte (voire en développant) leur force militante ?

L’assassinat du préfet Erignac le 6 février 1998 a-t-il marqué un tournant dans les rapports entre la Corse et l’Etat? 

Ce sont surtout ses suites politiques qui furent remarquables. Le préfet Bonnet, successeur de Claude Erignac, a développé une stratégie de confrontation très grossière, grâce à laquelle l’État a renforcé ceux qu’il croyait mettre à mal. D’un côté, une large part de la population s’est vite désolidarisée de la politique préfectorale, jugée disproportionnée et mégalomaniaque (cf. le rapport parlementaire de la commission présidée par Raymond Forni), ce qui s’est notamment traduit en 1999 par un succès électoral des nationalistes des plus radicaux. D’un autre côté, face à une répression accrue, les nationalistes, qui se remettaient difficilement d’un affrontement fratricide qui a fait une quinzaine de victimes, ont lancé et mené à bien un processus de réconciliation. Enfin, l’État a été ridiculisé à travers la célèbre « affaire des paillotes », où les plus hautes autorités de la préfecture et de la gendarmerie en Corse ont été condamnées à de la prison ferme, pour avoir organisé la destruction par incendie de biens situés sur le domaine public maritime. Quelques mois après la chute du préfet Bonnet (arrêté le 5 mai 1999), Lionel Jospin lançait en décembre 1999 ledit « processus de Matignon », visant à réformer le statut de la Corse, où pour la première fois l’État et l’ensemble des forces politiques corses représentatives – y compris les indépendantistes soutenant la violence – furent intimement associés.

Aux dernières élections régionales, la liste autonomiste l’a emporté. Le nouveau président (nationaliste) de l’Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni, après avoir déclaré « Mon pays, c’est la Corse », a assuré que l’indépendance de l’île n’était qu’une question de temps. Constitutionnellement parlant, quels sont les moyens dont dispose la Corse pour s’émanciper? A contrario, Paris peut-elle destituer un pouvoir Corse sécessionniste ?  

Il y a des indépendantistes en Corse depuis au moins quarante ans… tout comme il y en a en Martinique et en Polynésie. Faire de l’indépendantisme un délit est typique des régimes autoritaires, pas des démocraties. Le Mouvement Corse pour l’Autodétermination a bien été dissous en 1987 au motif qu’il avait « pour objet de porter atteinte à l’intégrité du territoire national », mais une autre organisation défendant les mêmes objectifs a été immédiatement créée. Aujourd’hui, alors que le FLNC a cessé la violence et que les nationalistes sont des acteurs parfaitement intégrés dans le jeu institutionnel, vouloir interdire un parti indépendantiste serait aventureux. Il y a fort à croire que l’opinion publique corse en serait choquée, et que cela encouragerait les engagements très radicaux.

La Constitution ne prévoit évidemment pas de droit à la sécession, mais elle est régulièrement adaptée aux réalités politiques ; c’est ainsi que le droit à l’autodétermination a été reconnu à la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, concernant la Corse, les indépendantistes sont les premiers à dire que la question de l’indépendance n’est pas posée aujourd’hui. L’accord passé avec les autres nationalistes a écarté la question pour cette mandature, et aussi dans l’éventualité d’une seconde mandature au pouvoir. Au reste, comment en serait-il autrement ? Au premier tour, les listes indépendantistes ont réuni environ 10% des voix. Si dans dix ou quinze ans l’indépendantisme triplait son résultat, le débat changerait forcément de nature, mais nous n’en sommes pas là. Après quatre décennies de contestation, les nationalistes corses viennent d’accéder au pouvoir régional, et ils devront convaincre de la qualité de leur gestion, sous peine d’être rapidement écartés de ce même pouvoir.

 *Image: wikimedia.



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