Un livre-hommage, Christian Millau une vie au galop (Editions du Rocher), pour le hussard de la critique gastronomique, ami de Nimier et Chardonne.
Christian Millau est mort au cœur de l’été 2017, à l’âge de 89 ans. Il fut journaliste au Monde, à l’Express, au Point, mais aussi à la revue Opéra dirigée par Roger Nimier. Chroniqueur gastronomique, il fonda en 1969, avec son compère Henri Gault, un magazine mensuel repérant les bonnes tables, puis, en 1972, le fameux guide Gault-Millau, rival inspiré du Michelin. Les deux complices, fins gourmets, possédant une solide culture, contribuèrent au renouveau de la cuisine française et permirent de mettre en lumière de nouveaux chefs, Paul Bocuse en tête. Sans rayer d’un trait de plume la tradition, Christian Millau mit en avant les plats dégraissés, les viandes finement accompagnées et les desserts appréciés pour leur sobriété. Il prit sa retraite gastronomique, soulagé d’un guide devenu encombrant, pour se consacrer à l’écriture.
Au galop des hussards
Parmi ses ouvrages, soulignons Au galop des Hussards, publié aux éditions de Fallois, étincelant témoignage de l’aventure littéraire de ce mouvement dont le nom fut trouvé par Bernard Frank sur un coin de table. Il regroupait des écrivains en lutte contre le politiquement correct de l’époque, imposé par Jean-Paul Sartre et le puissant parti communiste, disqualifiant tout adversaire, surtout s’il était talentueux, en le traitant de fasciste. On peut citer Jacques Laurent, Michel Déon, Antoine Blondin ou encore le surdoué irrévérencieux Roger Nimier.
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Sous la direction de François Jonquière, les éditions du Rocher publient des textes inédits, des « hussardises », dont certains sont signés Jérôme Leroy, Thomas Morales, Marc Lambron, Marc Veyrat, Stéphanie des Horts, Philippe Bilger. S’y mêlent des lettres, des mots de Blaise Cendrars, Paul Morand, Jacques Chardonne, Marcel Aymé… D’autres noms circulent dans ce livre-hommage à Christian Millau, sous-titré Une vie au galop. Des noms d’écrivains au style puissant, des tempéraments impétueux, certains disparus hélas prématurément, des personnalités iconoclastes qui refusaient les oukases idéologiques de Sartre et de sa bande des Temps modernes.
Nostalgique et revigorant
On se replonge dans une époque où l’intelligence, la légèreté féconde, le panache se portaient à droite, où l’on roulait dans des bolides rutilants en compagnie de jeunes femmes qui ne détestaient pas qu’on les siffle pour leur charme, où l’on buvait des Martini gin, dosage Hemingway, 50/50, en fumant des Lucky Strike au bar de La Closerie des Lilas. Quelques noms attirent plus particulièrement. Jacques Chardonne, apprécié de François Mitterrand, dont Jérôme Leroy nous apprend que, malgré son côté sombre et souvent cruel envers les écrivains, il savait rire avec Millau. Leroy se souvient : « Je n’ai pas connu Nimier, je n’ai pas connu Chardonne, mais j’ai un peu connu Christian Millau et la chose dont je suis certain, c’est qu’il aimait les écrivains, les jeunes comme les moins jeunes, et avec une générosité rare. » Marcel Jouhandeau se rappelle à notre bon souvenir de lecture. Né à Guéret, qu’il nomme Chaminadour dans ses romans, il figure sur la liste noire du CNE, sous influence communiste, en 1944, et devient un paria, un de plus, de la littérature française. Son œuvre mériterait d’être redécouverte, en particulier ce livre d’une noirceur inouïe, au style impeccable, dont le titre convient à la période infâme que nous subissons : De l’abjection.
Mention spéciale attribuée à Stephen Hecquet, écrivain et avocat, malade du cœur, bien qu’en possédant, pourfendeurs des imposteurs, camarades des réprouvés. Il plaida en faveur de Robert Brasillach, dont le général de Gaulle refusa la grâce et qui fut fusillé le 6 février 1945, dans un procès relancé et fictif de l’auteur de Notre avant-guerre, livre indispensable pour comprendre l’aveuglement coupable des dirigeants français face à Hitler. Stephen Hecquet publia à La Table Ronde, fondée en 1944 par Roland Laudenbach, Les Guimbardes de Bordeaux, ouvrage-clé sur l’Occupation, le gouvernement de Vichy, les Chantier de la jeunesse.
Au terme de ce voyage à la fois nostalgique et revigorant en si aimable compagnie, laissons conclure Thomas Morales à propos de Christian Millau : « (…) il poussait la confraternité à partager ses amis, à mélanger les genres, à oser le contact, une gageure dans notre société des réseaux déshumanisés. » Et d’ajouter : « Les êtres passionnés sont rares et fragiles, alors chérissons leur souvenir comme le plus précieux des biens. »
Christian Millau, une vie au galop, préface de Frédéric Vitoux. Éditions du Rocher.
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