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À gauche, la soupe à l’union

Le forcené Mélenchon a pris la gauche en otage!


À gauche, la soupe à l’union
Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, appelle à « faire barrage » au Rassemblement national dans un discours place de la République à Paris, après l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives, 30 juin 2024 © ISA HARSIN/SIPA

Construire une gauche «de gouvernement» à l’ombre de Jean-Luc Mélenchon relève de l’utopie. Trop de divergences séparent LFI des classiques socialistes et communistes. Les chefs disent «faire barrage au RN» mais les militants sont-ils prêts à toutes les compromissions ? Qu’elle soit cocue ou prise en otage, la gauche est dans l’impasse.


Le 9 juin, quand tombe à 20 heures le résultat des européennes, les socialistes sont les rois du pétrole. Avec leurs 14 %, ils sont en tête des forces de gauche. « Quand on a vu ça, on s’est dit qu’on pouvait rêver de mener à nouveau la bataille pour l’hégémonie, se souvient un proche d’Hélène Geoffroy, maire socialiste de Vaulx-en-Velin. Faire renaître une gauche réformiste qui s’oppose à la gauche de rupture. »

Et puis, patatras !, dans l’heure qui suit, Emmanuel Macron annonce la dissolution et l’organisation de législatives. « À partir de ce moment-là, on a disparu des écrans radar, enrage cet ancien élu socialiste. Olivier Faure nous a sacrifiés. Et LFI a pris immédiatement le leadership. »

Quand on regarde en replay la manière dont le numéro un du PS s’est comporté ce soir-là sur le plateau TF1, la rapidité avec laquelle il s’est couché au pied de Mathilde Panot, on est en effet confondu. « Par sa reddition en direct face à LFI, Faure a cassé la dynamique que portait la candidature de Raphaël Glucksmann », ne décolère pas notre correspondant.

Impasse

Pourtant, selon ce fin observateur de la vie politique, beaucoup d’élus et d’électeurs du PS pensent que l’alliance avec LFI est une impasse. Non seulement parce que les Insoumis évacuent le logiciel réformiste au profit d’un populisme qui n’a rien à envier à celui de droite, mais aussi parce qu’ils investissent sur un électorat minoritaire et communautarisé, celui des banlieues, qu’ils réduisent à l’électorat musulman et plus particulièrement à celui qui adhère à l’influence islamiste. Le problème est que celui-ci, très conservateur et religieux, ne partage aucune des références historiques de la gauche.

Même le rapport au statut d’exploité n’est pas le même. À gauche, reconnaître l’injustice conduit, en théorie, à la lutte pour l’égalité. Mais dans le logiciel communautariste, la victimisation débouche sur l’appel à la vengeance, donc à l’inversion de la domination. Pour les multiculturalistes, l’égalité n’est pas un objectif, au contraire c’est un leurre, un moyen pour les dominants d’échapper à la punition, de ne pas rendre de comptes.

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Quelle solution alors quand on se retrouve dans une telle impasse ? « Accepter de prendre sa perte et reconstruire une offre politique en lien avec notre histoire », pense un élu de gauche républicaine dans une commune de banlieue parisienne, représentatif en cela de beaucoup d’anciens électeurs socialistes.

Mais pour une autre militante PS, collaboratrice d’élue et bonne connaisseuse des instances socialistes, que nous avons interrogée, Faure nourrit un autre projet : empêcher toute reconstruction d’un courant ouvriériste et social-démocrate. « Il a tout fait pour tuer dans l’œuf ce regain,analyse-t-elle. L’arrivée de nouveaux adhérents attirés par l’image de Glucksmann l’aurait menacé directement pour les congrès à venir, en désavouant sa stratégie d’alliance. Il préfère rester le gestionnaire d’un syndic de faillite plutôt que prendre son risque. »

Bien sûr, tout le monde au PS n’est pas aussi dur envers Faure. Pour un membre du conseil national, qui nous a demandé l’anonymat, les fautes sont à chercher ailleurs : « Il y a eu des efforts au sein de la Nupes pour empêcher que LFI ne soit la force dominante, rappelle-t-il. Mais encore faudrait-il pouvoir compter sur les écologistes. Or ils sont structurellement et idéologiquement plus proches de LFI que de la gauche à l’ancienne, et reconstruire une offre réformiste ne les intéresse pas. Et puis du point de vue de leur boutique, le calcul a été bon : en misant sur le Nouveau Front populaire et en réduisant la question des législatives à la lutte contre le RN, le mauvais score de Marine Tondelier aux européennes a été effacé. » De fait, celle-ci, qui commençait à être contestée, a sauvé son poste. Le congrès extraordinaire, qui devait tenter de lui faire la peau, a été annulé.

Même constat amer s’agissant du Parti communiste. « Ceux qui y incarnent la tradition marxiste ont presque entièrement disparu, regrette notre cacique socialiste. Les Elsa Faucillon et compagnie partagent plus de choses avec Rima Hassan qu’avec Fabien Roussel. » Mais alors, à quoi bon faire alliance, au sein du Nouveau Front populaire, avec des formations qui sont toutes sous l’influence plus ou moins directe de Jean-Luc Mélenchon ? Pour une raison simple. Sur ce point-là, tous nos interlocuteurs sont d’accord : l’union à gauche n’est pas une posture, c’est un mythe. Ce mythe est d’une telle puissance qu’il est impossible de se prononcer contre, sans se mettre à dos ses propres électeurs. L’union, c’est à la fois le but et le chemin, le combat et la victoire.

Dans ce cadre, la marge de manœuvre de Faure est étroite. Selon un ancien élu qui le connaît bien, « Olivier n’est pas un homme qui peut refonder un récit. Il est le décalque de François Hollande, il en a les failles, mais en possède aussi le principal atout. Il faut savoir reconnaître que si cet homme a gagné trois congrès, c’est qu’il sait manœuvrer. Il possède un sens aigu du point d’équilibre dans le rapport de forces. Il comprend où sont les points de bascule et comment en faisant bouger un mec, tu fais tomber toute la ligne des dominos. »

Subtilités

Mais sur le terrain, ce genre de subtilités est de plus en plus mal compris. Propos entendu lors d’une discussion avec une militante de longue date : « S’allier avec des populistes pour sortir des populistes, ça ne fait pas sens. Le réflexe de faire barrage au RN est sain, mais concrètement les gens ont du mal à croire qu’en votant pour un David Guiraud, qui qualifie le Hamas de mouvement de résistance, ils combattent l’extrême droite. Cela joue sur les reports de voix. »

Un constat partagé seulement en partie par les huiles du parti : « La stratégie de LFI dérange, mais il n’empêche qu’elle a payé, remarque le membre du Conseil national du PS cité plus haut. Ils sont passés de 6 à plus de 9 % aux européennes en prenant le clou Gaza/génocide et en l’enfonçant dans le mur de l’information jusqu’à le fracturer. Aujourd’hui, il leur suffit d’exhiber Rima Hassan pour mobiliser l’électorat des banlieues. » Alors certes, la question de la promotion virulente de l’antisémitisme gêne aux entournures. Mais selon nos témoins, candidats et électeurs la résolvent très vite en opérant des distinctions au sein de LFI.

Ainsi Jean-Luc Mélenchon cristallise la colère et le ressentiment de beaucoup d’électeurs de gauche mais paradoxalement, en les fixant sur sa personne, il permet d’épargner son mouvement. François Ruffin est ainsi mis en avant pour rendre les Insoumis fréquentables. Si les socialistes voient bien que Jean-Luc Mélenchon veut rejouer le baiser de la mort donné par Mitterrand au PC, avec Olivier Faure dans le rôle de Georges Marchais, ils n’ont guère d’autre choix que la soumission. Une partie de leurs fiefs, notamment en région parisienne, reposent sur la mobilisation des quartiers, or aujourd’hui ce sont LFI et ses alliés islamistes qui donnent le ton, ils n’ont donc plus les moyens de se payer une conscience.

Les socialistes sont-ils condamnés à cheminer avec LFI ? « Pas forcément, répond un cadre du PS. On ne le crie pas sur les toits, mais le résultat du Nouveau Front populaire au premier tour des législatives est décevant. En pourcentage de voix, on a fait moins que l’addition des scores de la gauche aux européennes. La vérité est qu’il n’y a pas eu d’élan dans les votes, à cause d’un positionnement de LFI qui fait fuir une partie des électeurs. »

La radicalité de Jean-Luc Mélenchon ne laisse d’interroger. « Il pense sincèrement que la période est prérévolutionnaire et qu’une prise de pouvoir sans les urnes est possible,s’inquiète une ancienne élue socialiste. Il n’a aucun intérêt à faire gagner la gauche. D’où ses sorties ambiguës sur le poste de Premier ministre, son jeu avec Rima Hassan, ses discours enflammés sur la Palestine. Mélenchon s’est lepenisé. »

Discours de Jean-Luc Mélenchon lors de la soirée électorale de La France insoumise, à l’annonce des résultats provisoires du premier tour des élections législatives, Paris, 30 juin 2024. ISA HARSIN/SIPA

À l’heure où ces lignes sont écrites, soit à la veille du second tour des législatives, un bruit court dans tout Paris. Grâce à la mécanique des désistements entre carpes et lapins, les gaullistes, la Macronie et la gauche espèrent bien priver le RN et ses alliés de la majorité absolue et seraient en train de négocier la constitution d’un gouvernement de large alliance, dont le premier acte serait le rétablissement de l’impôt sur la fortune. D’autres parient plutôt sur une coalition allant seulement, si l’on ose dire, du PC à LR, excluant donc à la fois le RN et LFI.

Il s’agit en somme de fabriquer un gouvernement incarnant le cercle de la raison. Une perspective qui décontenance nos interlocuteurs, embarrassés par le scénario de l’élection volée, mais soulagés de gagner un peu de temps, même s’ils savent que c’est pour cinq minutes ou trois ans monsieur le bourreau. « Existe-t-il encore un commun qui permette de donner un sens à cette forme d’union nationale ? » se demande l’un d’entre eux. Une question que personne n’ose poser à voix haute. Parce qu’elle contient la réponse.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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