«Causeur est rock» !


«Causeur est rock» !

rock michka assayas

Michka Assayas est le maître d’oeuvre du Nouveau Dictionnaire du Rock.

Causeur. Le premier volume du Nouveau Dictionnaire du Rock affiche Jimi Hendrix en couverture, et le second, Kurt Cobain. Souhaitez-vous faire passer un message subliminal (par exemple : « le rock est mort ») à travers ces deux visuels ?

Michka Assayas. Un journaliste de VSD, François Julien, m’a fait remarquer qu’il s’agissait de deux guitaristes gauchers de Seattle, morts l’un et l’autre à vingt-sept ans. On peut aller plus loin encore dans l’interprétation mystico-subliminale : on les voit tous les deux couchés. Prescience de leur mort à venir et, avec eux, de celle du rock ? À la fin des années soixante-dix, Jake Burns, le chanteur d’un groupe punk irlandais, aujourd’hui bien oublié, Stiff Little Fingers, répondait déjà à cette question de manière astucieuse : « Oui, le rock est mort, mais sa mort va encore durer très longtemps ». Ce qui est indiscutable, c’est que, dès sa naissance, le rock a eu conscience de sa mort prochaine. Ce qui le menace le plus, et aujourd’hui plus que jamais, est sa dilution dans l’industrie du divertissement – que personne ne semble plus avoir l’envie ou le courage de remettre en cause. Le rock mourra peut-être un jour pour de bon, mais ce sera d’indifférence, quand on n’en parlera plus. Il y a encore de la marge. Sans doute peut-on en dire autant de la France en tant que nation et représentation collective.

Quand votre livre de conversations avec Bono est sorti, vous avez déclaré : « Ce livre est un travail journalistique et personnel. Je me vois comme un peintre faisant le portrait d’un roi ». De la même manière, comment résumeriez-vous en deux phrases Le Nouveau Dictionnaire du Rock et ce qu’il représente pour vous  ?

 En deux phrases? 1) Dix années de bagne, cinq pour chacune des deux éditions, soit un tiers environ de ma vie d’adulte. 2) Une plongée inoubliable dans mon obsession pour la musique, une façon de transformer une sorte de vice en une œuvre durable – et utile.

Dès le début des années 80, vous écrivez pour la presse rock, abandonnant votre voie toute tracée dans l’éducation nationale. Pourtant, vous arrêtez cette activité au bout de quelques années, car la production musicale de cette décennie ne vous passionne pas. Au regard de la conjoncture actuelle, avez-vous le sentiment d’avoir exercé le journalisme rock pendant une période encore privilégiée, d’avoir fait partie de la génération des enfants gâtés du rock ?

Sans hésitation, oui. Les médias ne se mêlaient pas encore de tout  – ils ne prétendaient pas tout connaître et tout régenter. Il y avait encore des espaces de liberté où l’on nous laissait écrire comme on voulait. Je râlais, je maudissais, je vitupérais le rock grand public de mon époque parce que je voulais que tout le monde écoute New Order et les Smiths. Un combat qui, trente ans plus tard, paraît bien dérisoire, puisque ces groupes sont devenus des denrées de consommation comme les autres sur le Web. Rétrospectivement, je crois que j’ai eu de la chance de ressentir de la frustration, de la colère, de la passion contrariée. Ces sentiments négatifs m’ont aidé à me structurer. C’était mieux que cette société d’abondance où tout est facile et « sympa » et où résonne pourtant, dans un paradoxe apparent, une impuissante lamentation collective.

Vous avez récemment signé une pétition de soutien au quotidien Libération. Etes-vous un lecteur de Causeur ? Est-ce qu’à vos yeux, Causeur est un média « rock » ? 

Pour être honnête, je ne le lisais pas. Je l’ai découvert récemment (voir notre précédente interview) et j’apprécie cette formule : « Surtout si vous n’êtes pas d’accord ». Quand j’étais adolescent, j’aimais le quotidien Combat : on y lisait les tribunes d’écrivains avec lesquels on n’était pas d’accord ou qui n’étaient pas d’accord entre eux. Je me rappelle Gabriel Matzneff, notamment, très à contre-courant parce que très réactionnaire. Au fond, c’était encore le cas de Rock & Folk : quoi de commun entre Yves Adrien, Jacques Vassal (la rubrique « Les Fous du folk ») et Philippe Garnier, qui n’auraient jamais pris un verre ensemble ? Pourtant ils y écrivaient tous en même temps. Alors peut-être que Causeur est rock, dans cette mesure. Quant à Libération, j’ai signé cette pétition pour ses journalistes parce que j’en connais quelques-uns et que j’y ai fait mes débuts. C’est sentimental.

Pour chaque nom de la liste suivante, merci de choisir entre Rock et Pas rock, avec quelques mots d’explication si possible :

Pussy Riot… Rock ou Pas rock ?

Rock, évidemment. Elles ont rappelé que le rock, dans certaines sociétés, n’est pas un plaisir égoïste et « sympa », mais parfois un acte politique et social qu’on paie de sa personne.

 La tournée Johnny – Dutronc – Mitchell… Rock ou Pas rock ?

Rock français canal historique (ça plaira à Dutronc).

 Crystal Castles… Rock ou Pas rock ?

Je ne sais pas, je ne les connais pas assez.

La télé-réalité musicale (The Voice, Nouvelle Star, Star Academy, etc.)… Rock ou Pas rock ?

Ce sont des jeux-concours où certain(e)s candidat(e)s reprennent des classiques du rock. « (I Can’t Get No) Satisfaction » fait désormais partie du patrimoine, comme « La Vie en rose ».

Grateful Dad… Rock ou Pas rock ?

Bon, pas besoin de Wikileaks pour connaître ma vie cachée. Oui, j’ai donné quelques concerts comme chanteur et bassiste au sein d’un trio où mon fils Antoine jouait de la batterie. C’est un peu en sommeil. En tout cas, c’est rock de tenter de faire quelque chose qu’on n’a jamais su faire – et qu’on ne sait toujours pas faire. Une aventure pour moi, comme décrocher le permis de conduire à cinquante ans.

Les années 2000 ont vu l’émergence d’un phénomène controversé : les reformations de groupes légendaires. Quelle est la plus réussie selon vous ? Et la plus triste ?

La réunion de Led Zeppelin avec le fils de John Bonham, c’était puissant et émouvant. Il y avait de la maladresse, de la fragilité. Celle de Cream aussi, extraordinaire (j’ai le DVD des concerts à l’Albert Hall de Londres). Les Who : un concert génial. Ce qui est triste, c’est ceux qui font ça pour l’argent, parce que leurs carrières d’après n’ont pas décollé.

Pendant longtemps, vous avez pratiqué la religion de l’import, associé au « rock indépendant ». Aujourd’hui, à l’heure d’internet, quel pratiquant êtes-vous ?

Le Web musical, pour moi, c’est toujours très bref, comme pour les sites d’info. Une chanson vite fait, la moitié d’un truc sur YouTube. Quand je veux vraiment écouter de la musique, je mets un CD ou je ressors un vieux vinyle. C’est irremplaçable. Pour moi, le Web, c’est comme la radio : un bruit de fond, quelque chose avec quoi on entretient un rapport désinvolte. Ce n’est pas la même chose.

Le rock a son musée (le Rock and Roll Hall of Fame) mais ses pièces maîtresses – Dylan, Bowie, Neil Young, Rolling Stones, etc. – continuent de se balader à l’air libre, remplissant les stades dans le marasme actuel du marché. Est-ce que le rock participe aujourd’hui d’une nostalgie réconfortante, dans un monde incertain où les poches de repli se tournent de plus en plus vers le passé ?

La réponse est dans la question, non? Oui, et je suis frappé de voir certains jeunes encore plus passéistes que les vieux. Ils pratiquent le culte des anciens, comme si une humanité un peu magique avait vécu en ces temps reculés. Cela dit, ils n’ont pas tort. Quelque chose s’est effectivement perdu.

Les trois groupes qui ont le plus compté dans votre carrière de journaliste et de passionné de musique sont les Beach Boys, Joy Division et les Smiths. Vous raccrochez-vous toujours à leur musique aujourd’hui, à quelle fréquence et dans quels moments particuliers ?

Les Beach Boys, tout le temps, mais pas n’importe quelle période. Récemment, j’ai ressorti mes vieux vinyles de Wild Honey, 20/20, Friends, des albums pas spécialement estimés par les spécialistes. Mais c’est comme ça que je les avais découverts, adolescent, dans des rééditions de 1976. Il y a une douceur, une légèreté, une suavité qui me guérissent de toutes mes tristesses et désespoirs, plus que Pet Sounds, je dois dire. Et la version vinyle de Smile enfin restauré, sortie il y a trois ans, que j’ai encore écouté récemment, c’est absolument magique. La dernière fois que j’ai écouté Closer de Joy Division, c’est en faisant l’amour. C’était bizarre et oppressant, je n’arrivais pas à me concentrer. Les Smiths, je m’aperçois que je connais toutes les paroles de leurs chansons, toutes les intonations par cœur. C’est comme rouvrir un tiroir et vérifier que ma jeunesse est encore là, avec son parfum, ses exaltations et son détachement. Musicalement, c’est d’une force, d’un classicisme, d’une concision et d’une variété incroyables. Encore meilleur que dans mon souvenir.

Enfin, pour terminer, pouvez-vous s’il vous plaît nous indiquer le dernier concert rock auquel vous avez assisté, votre dernier album rock acheté, le dernier livre rock lu, le dernier film rock vu ?

Dernier concert : Dr. John au Trianon. L’impression de remonter au XIXème siècle, à la naissance du blues, du jazz et du rock’n’roll. Plus le temps passe, plus je suis fasciné par les origines. Le dernier album acheté, c’est Supernova de Ray LaMontagne, produit par Dan Auerbach des Black Keys. Un  très bon groupe, les Black Keys, mais leur point faible, ce sont les compositions, très monotones. Alors que LaMontagne sait écrire et interpréter des chansons délicieuses, mélodieuses et percutantes à la fois, de cette voix si singulière, à la fois âpre et veloutée. C’est un album de folk psychédélique, parfois bubblegum, qui rappelle certains aspects du Pink Floyd pop, avec Syd Barrett. Dernier livre rock : le génial Things the Grandchildren Should Know (traduit sous le titre absurde de Tais-toi ou meurs) de Mark Oliver Everett (alias Eels) : le livre le plus franc, sincère, intelligent et drôle jamais écrit par un musicien. Film rock : sans aucun doute Nymphomaniac de Lars von Trier. La preuve : c’est le gars de Metallica qui a fait la musique.

 Le Nouveau Dictionnaire du Rock (Sous la direction de Michka Assayas), Robert Laffont, 2014.

*Photo: Causeur

 

 



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est l'auteur de nombreux ouvrages biographiques, dont Jean-Louis Murat : Coups de tête (Ed. Carpentier, 2015). Ancien collaborateur de Rolling Stone, il a contribué à la rédaction du Nouveau Dictionnaire du Rock (Robert Laffont, 2014) et vient de publier Jean-Louis Murat : coups de tête (Carpentier, 2015).

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