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Contredire avec Taddéï ou interdire avec Caron ?


Contredire avec Taddéï ou interdire avec Caron ?

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Contredire avec Taddéï ou interdire avec Caron  : c’est, en effet, la question. Sur un plan anecdotique, elle est d’actualité puisque Natacha Polony a décidé de quitter au mois de juin ONPC et qu’elle va donc laisser le champ libre à Aymeric Caron.

À moins que Laurent Ruquier ne la remplace par une personnalité qui montrera encore davantage, par contraste, les faiblesses, les banalités ennuyeusement partiales et bêtement progressistes d’Aymeric Caron. Celui-ci n’en revient pas d’avoir ce rôle qui oblige à passer par lui si on est curieux d’écouter les propos du principal invité du samedi soir. Malgré les rires lassants de Laurent Ruquier qui devrait laisser les autres apprécier la portée de ses plaisanteries au lieu de toujours s’en esclaffer par avance.

Sur le fond, Frédéric Taddéï parvenant à garder son calme s’est expliqué une nouvelle fois sur sa conception du débat, ce qu’impliquait, selon lui, la liberté d’expression et sa déontologie de journaliste, qui le conduisait à faire connaître la pensée et les écrits des autres ; sans que lui-même évidemment puisse être assimilé aux positions parfois peu convenues, voire provocatrices de certains de ceux qu’il avait conviés pour traiter de telle ou telle problématique particulière.

C’est le sujet choisi qui rendait nécessaire, au nom du pluralisme intellectuel, la présence de certaines personnalités, aussi peu consensuelles qu’elles soient, et non pas l’appétence immodérée et partiale qu’aurait éprouvée Frédéric Taddéï pour des personnes minoritaires et réprouvées en général par tout ce que notre monde médiatique et politique compte comme parfaits beaux esprits. Donc qu’on entend et voit partout, auxquels on ne coupe pas la parole et qui donnent à chaque émission une touche d’ennui distingué.

En face de Natacha Polony qui faisait ce qu’elle pouvait pour instiller un peu de finesse et d’esprit dans les interrogations et d’Aymeric Caron qui en ahanant s’efforçait de planter de piètres banderilles à l’encontre d’un Taddéï maître de soi et du jeu, une problématique centrale est apparue, si on veut bien éliminer deux joutes périphériques.

On sentait bien que ce n’était pas assez pour Caron d’entendre Taddéï faire part de son peu de sympathie pour les thèses et les provocations de Soral et de Dieudonné parce qu’il se serait retrouvé fort dépourvu dans le procès qu’il cherchait à lui intenter. Il exigeait, par un diktat aussi simpliste que lui-même, que Taddéï, jamais, au grand jamais, ne pût trouver de l’intérêt à ce soufre et à « ces délires » comme il les nommait. À cet ultimatum, Taddéï a échappé avec élégance et Caron est resté coi.

La contextualisation prétendue nécessaire, pour mieux déchiffrer et critiquer les échanges, aussi a donné à rire. Caroline Fourest, qu’on citait et qui avait joué un rôle honteux contre Taddéï, avait déjà dû en rabattre avec les dix minutes que, selon elle, Taddéï aurait octroyées à Hitler dans un débat. Devant l’indignation soulevée par cette bassesse, ces minutes avaient été réduites à six puis à cinq. Encore un peu de temps, et Hitler aurait disparu.

Facile de deviner ce qui se niche au cœur de ce désir superfétatoire d’explication ! Rien de moins que l’infantilisation du citoyen, l’insertion de l’auditeur et du téléspectateur dans un processus préréglé où des panneaux démonstratifs et impérieux viendront par avance départager les bons et les méchants, les salauds et les héros pour qu’à aucun moment on ne puisse être tenté de rendre la vie complexe, de la soupeser dans sa plénitude, ses ambiguïtés et son infinie richesse, la nuit et le jour ne se faisant pas d’ombre mais s’enrichissant l’une et l’autre, par opposition.

On n’a pas besoin d’une démocratie qui se contenterait de nous tracer une route à sens unique avec un code univoque. Et qui nous les imposerait.

Le dialogue entre Taddéï et Caron ne mettait pas aux prises deux conceptions de la morale. Taddéï était sans doute plus indigné que Caron face à certaines aberrations de la parole et de l’écrit puisqu’il n’adoptait pas une posture théâtrale à leur sujet. Son désaccord allait de soi.

Il ne concernait que la manière de traiter ces indésirables et ces trublions. Pour Caron, il s’agissait de les effacer, de les exclure, de ne jamais les inviter même sur des thèmes où leur apport aurait été fondamental. Ils étaient à condamner par principe. D’une certaine manière, le journaliste s’arrogeait droit de vie ou de mort médiatique sur eux et le droit de grâce ne pouvait exister que si quelques kamikazes de la pensée protestaient.

Interdits par Aymeric Caron.

Ou contredits si on suivait la pente de Frédéric Taddéï.

Pour celui-ci, pas d’ostracisme ni d’injonction. Il est le serviteur de l’intensité intellectuelle consubstantielle à tout débat authentique. Ceux qui viennent échanger n’ignorent pas qu’ils pourront tout dire, tout se dire jusqu’à cette limite que la loi impose : au-delà on n’est plus dans la liberté mais dans l’infraction.

Pas une fois, les émissions de Taddéï n’ont dérapé et ne l’ont obligé à intervenir rudement ou même à expulser. Face à la pensée perverse ou fausse, il y aura des paroles qui la contrediront et qui, grâce à cette démarche, donneront son prix à l’émission. Et priveront le mensonge ou l’absurdité de l’aura d’avoir été étouffés.

Une démocratie comblée grâce à la liberté consacrée.

Une démocratie respectée grâce au pluralisme organisé. Le bien, le mal, l’affrontement, la vérité.

Peut-on hésiter un seul instant entre le couperet honteux et peureux de Caron et l’ouverture intelligente et libre de Taddéï ?



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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