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Quand #metoo criminalise ses adversaires…

Au Canada, certains n'hésitent pas à récupérer l'attentat de Toronto


Quand #metoo criminalise ses adversaires…
Journée internationale des femmes au Japon, 8 mars 2018. SIPA. 00848564_000010

Au Canada, certains n’hésitent pas à récupérer l’attentat anti-femmes de Toronto pour criminaliser tout discours déviant de la « pensée » #metoo.


Le 27 avril dernier survenait à Toronto une sanglante attaque au véhicule-bélier. Le conducteur, Alek Minassian, un jeune homme fraîchement diplômé en développement de logiciels allait foncer dans la foule sur une rue passante, tuant dix personnes, dont huit femmes. Même si la méthode utilisée par Minassian pour commettre son crime s’apparentait à celle utilisée par des islamistes radicaux dans divers attentats en sol européen, les revendications de ce dernier n’avaient rien à voir avec celles de Daech. Il s’agissait, à proprement parler, d’un attentat misogyne.

En effet, le ratio élevé de femmes décédées n’était pas ici un fruit du hasard saisi au vol par des militantes pressées de voir partout des signes de persécution afin de sanctifier la gente féminine en dépeignant cette dernière comme une victime – stade ultime de l’héroïsme d’aujourd’hui. L’enquête sur le suspect a révélé que ce dernier avait bel et bien proféré, sur les réseaux sociaux, des propos misogynes avant de passer à l’acte. L’attentat de Toronto allait prendre, grâce à cela, une toute nouvelle tournure médiatique. Minassian allait devenir non pas un « loup solitaire » au volant d’un « camion fou », ce qu’il fut jusqu’à ce que la thèse de l’attentat islamiste eut été écartée, mais bien le représentant d’une dangereuse faction menaçant la paix sociale : les hommes en colère face au féminisme.

Coupable « manosphère » 

Il n’en fallait pas plus pour que les chroniqueurs progressistes canadiens et québécois se mettent à s’adonner à leur sport favori : l’amalgame. À titre d’exemple, le journal Le Devoir a publié une chronique de Josée Blanchette intitulée « La manosphère en calvaire ». Dans son papier, la chroniqueuse associe le mouvement #metoo à une turgescence et la réponse critique qui l’a accompagnée à son flétrissement. Citant Francis Dupuis-Déri, professeur de l’Université du Québec à Montréal, essayiste anarcho-féministe militant ayant appuyé par le passé le saccage de son institution d’enseignement par des casseurs, elle renchérit : « Le discours de la crise de la masculinité est tout à la fois ridicule et risible, absurde et faux, scandaleux et dangereux. » Les responsables de l’attentat au véhicule-bélier perpétré par Minassian à Toronto seraient donc, plus largement, ceux qui entretiennent ce discours de la crise de la masculinité. Critiquer le féminisme policier tel que le mouvement #metoo l’a incarné devient, aux yeux des chantres de la morale progressiste, l’assise de comportements terroristes.

Les critiques du féminisme policier s’abreuveraient et alimenteraient d’obscurs forums et autres sites internet tous classés, sans distinction, sous un néologisme digne de la plus pure anglomanie : la « manosphère ». La masculinité en crise, qui serait en fait un euphémisme désignant ceux qui font l’apologie de l’homme des cavernes, y côtoierait sans gêne les idéologies les plus infectes : racisme, néonazisme. Les opposants à la police de la pensée correcte, c’est-à-dire la pensée antiraciste radicale, féministe militante, sans-frontiériste, sont démasqués.

Les chiennes aboient et la caravane freine

Ce discours truffé de raccourcis intellectuels, injecté d’un refus du débat démocratique et fortement repris par la gauche, de la plus molle à la plus radicale, n’est pas exempt de dangers. Il consacre une cassure fondamentale qui s’opère actuellement entre le masculin et le féminin. Dans un monde où, au nom du progrès, on tente passionnément de gommer les différences sexuelles en multipliant à l’infini les identités possibles afin d’accéder à un univers terrifiant peuplé d’individus normalisés et indifférenciés, le réel demeure, têtu comme une mule. L’homme reste homme. La femme reste femme. Le fantasme de l’androgynie qui sous-tend la multiplication des identités sexuelles possibles porte en lui un rejet fondamental du masculin, bien plus que du féminin. C’est au nom du renversement du patriarcat, vecteur de perpétuation des inégalités, de la tyrannie de l’homme blanc cis-genre hétéronormé sur toutes les minorités que cette entreprise d’indifférenciation sexuelle est menée.

Criminaliser le discours sur la crise de la masculinité et l’associer à d’obscurs et illicites forums de discussion du deep web, consiste à crier au loup après l’avoir appelé. En empêchant les hommes et les femmes de remettre en question les manifestations les plus radicales du féminisme, on marginalise les discours critiques et on les pousse à se dissocier lentement du sens commun et à évoluer en parallèle de la société. C’est dans cette marginalisation des discours critiques que réside le danger, et non pas dans le fait de remettre en question le féminisme policier.



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Jenny Langevin est étudiante et chroniqueuse culturelle et sociopolitique. Elle contribue à divers médias québécois, dont L'Action Nationale, la revue Argument, La Presse et le Huffington Post Québec. Elle s'intéresse particulièrement aux rapports entre l'évolution de la littérature et de la culture populaire en lien avec les enjeux sociaux contemporains.

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