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Bruno Le Maire : Hollande fragilise le couple franco-allemand


Bruno Le Maire : Hollande fragilise le couple franco-allemand

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Propos recueillis par Daoud Boughezala et Gil Mihaely

Causeur. Avec une économie prospère au milieu d’une zone euro au bord de la faillite, l’Allemagne joue-t-elle un rôle positif en Europe ?
Bruno Le Maire[1. Bruno Le Maire est normalien, énarque, agrégé de lettres modernes et diplômé de Sciences-Po. Élu député de l’Eure en 2007, il est nommé en 2009 ministre de l’Agriculture,  ainsi que de la Ruralité et de l’Aménagement du territoire. Depuis mi-2012, il siège de nouveau à l’Assemblée nationale.] Je vous rappelle qu’en 2003, l’Allemagne était « l’homme malade de l’Europe ». Personne ne peut lui reprocher d’avoir, depuis lors, misé sur son renforcement économique. Grâce aux réformes structurelles engagées par Gerhard Schröder et poursuivies par Angela Merkel, elle a amélioré sa compétitivité, restauré ses comptes publics et engrangé  des excédents commerciaux considérables.
Ces excédents, elle en doit la plus grande partie à ses échanges avec le reste de l’UE. Le spectaculaire redressement allemand ne s’est-il pas fait aux dépens des autres ?
Disons que l’Allemagne a aujourd’hui intérêt à ce que tous les pays européens sortent de la crise. Pour cela, elle doit dépasser sa stratégie nationale au profit d’une stratégie européenne. Mais aucune discussion avec les Allemands ne sera possible tant que la France restera faible. Avec 1300 chômeurs de plus chaque jour, un déficit commercial important et un budget toujours déficitaire, personne ne nous écoutera.
Admettons, mais, dans le commerce au sein de l’Union européenne, tout le monde ne peut pas être excédentaire…
Aujourd’hui, la richesse et la croissance se trouvent dans les pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Seule une Europe plus forte nous permettra de profiter de cette croissance pour créer des emplois chez nous et enrichir les Français. Mais si le seul projet politique européen consiste à piocher dans les dépôts bancaires des épargnants, comme on l’a fait à Chypre, on n’y arrivera pas.
 Le péché originel du projet européen est peut-être, justement, d’être exclusivement économique…
Vous avez parfaitement raison. Le chancelier Kohl pensait pourtant que l’euro était une création politique et non économique. Et les menaces qui pèsent sur la zone euro sont aujourd’hui politiques et non économiques. Il faut donc répondre à une question apparemment simple : l’Europe, pour quoi faire ? En 1957, la réponse était : « L’Europe, c’est la paix ! » Au moment de l’élargissement, après la chute du mur de Berlin, nous pensions : « L’Europe, c’est la démocratie ! » Avec la création de l’euro, nous avons pensé : « L’Europe c’est la prospérité ! » Aujourd’hui, l’Europe, c’est le chômage, la pauvreté, l’incapacité à proposer un avenir aux jeunes.
Pourquoi, en ce cas, ne pas sortir du carcan de la monnaie unique ?[access capability= »lire_inedits »]
 Parce que cela ne ferait que nous affaiblir davantage ! Que deviendraient les économies des épargnants ? Comment achèterions-nous notre pétrole, notre gaz ? Il ne s’agit donc pas de sortir de la monnaie unique, mais de doter enfin la zone euro d’une politique économique commune. L’aberration, c’est d’avoir une monnaie unique et 17 politiques économiques différentes. Nous sommes au milieu du gué, là où les courants sont les plus forts, sans avoir le courage ni la vision nécessaire pour avancer. C’est le pire scénario imaginable.
Et quel est le meilleur ?
La clé de tout, c’est la convergence économique, fiscale et sociale. Soyons pragmatiques et commençons là où l’on peut avancer le plus vite : l’harmonisation fiscale. Il faudra ensuite s’attaquer à l’harmonisation sociale, un dossier beaucoup plus compliqué car  chaque pays a son histoire particulière en matière de droit du travail. Il est néanmoins possible de faire converger un certain nombre de règles sociales. Dans mes discussions avec des ministres allemands, j’ai constaté qu’ils étaient ouverts, par exemple, à l’idée d’instaurer un salaire minimum chez eux[2. Contrairement à ce que laisse penser la diatribe d’Angela Merkel contre le SMIC et les 35 heures, postérieure à cet entretien.]. D’ailleurs, cette question, comme celle des « mini-jobs » précaires, sera au cœur du débat électoral allemand. La France ne peut pas accepter le dumping sur les salaires en Europe.
La « directive Bolkestein » montre que l’Europe a plutôt fait le choix de la concurrence interne…
Quand on fait une erreur, il faut la corriger. Le projet politique de l’Europe ne peut pas consister à dire : « Vous allez travailler plus et gagner moins. »
 En attendant le « Printemps européen », la croissance mondiale est aujourd’hui tirée par les pays émergents. Les pays de l’UE peuvent-ils exporter vers la Chine et l’Inde avec un euro à 1,30 dollar ?
Bien sûr ! Lorsque j’étais ministre de l’Agriculture, un éleveur français faisant de la Charolaise, de la Salers ou de la Limousine gagnait à peine 800 euros par mois. Nous avions alors le choix entre une politique d’aides rapportant immédiatement 40 ou 50 euros par tête de bétail et la construction, difficile et coûteuse, d’une filière d’exportation de la viande bovine française. Nous avons opté pour l’exportation et, en un an, le prix du kilo a augmenté de 1 euro, ce qui équivaut à 450 euros de plus par tête ! Même si la situation des éleveurs reste très difficile en raison du coût de l’alimentation animale, voilà la solution : aller chercher la richesse là où elle se trouve pour créer des emplois chez nous.
D’accord, et merci pour les vaches françaises ! Mais vous évacuez un peu vite la question du taux de change…
 Non, et la parité de l’euro doit être discutée avec nos amis allemands. Mais tant que nous ne montrerons pas que nous avons choisi de jouer et de gagner dans la mondialisation avec des produits de qualité, du haut de gamme, de l’innovation et de l’exportation, ils nous soupçonneront  de nous abriter derrière le problème de l’euro fort pour retarder les réformes nécessaires. La France doit accomplir sa révolution économique.
De toute façon, la progression du sentiment anti-européen en Allemagne montre qu’il est peut-être trop tard…
 Le sentiment anti-européen progresse dans toute l’Europe ! Et pour un Européen comme moi, c’est un signal d’alerte : l’Europe peut changer, l’Europe doit changer ! Nous pouvons encore agir !
En êtes-vous sûr, alors que la nouvelle stratégie allemande semble reposer sur un rapprochement avec la Grande-Bretagne ?
Je suis très préoccupé par l’émergence du couple germano-britannique. C’est, encore une fois, la faiblesse de la France qui conduit Angela Merkel à nous tourner le dos. Rien de bon pour la France, pour l’Allemagne, et même pour l’Union européenne ne peut sortir d’une alliance entre un État qui est au cœur du dispositif européen et un pays qui n’appartient pas à la zone euro et qui envisage un référendum sur son maintien ou non dans l’UE.
Peut-être Cameron et Merkel ont-ils fait leur deuil de l’Europe politique parce que, comme Thatcher il y a  trente ans, ils ont le sentiment de payer pour le reste de l’Europe et se disent qu’à tout prendre, une Europe à la carte est préférable.  
 Je ne le pense pas. Les Allemands sont convaincus que leur modèle d’exportation compétitive est LE bon modèle pour l’Europe. Aujourd’hui, ils trouvent en Grande-Bretagne un allié qui partage cette vision. Et pour toute réponse, François Hollande invente, dans un discours à Bruxelles, la formule « intégration solidaire » !  On ne convaincra pas l’Europe avec des slogans !
Il a aussi tenté de se rapprocher de l’Espagne, de l’Italie et d’autres, pour créer un rapport de force face à l’Allemagne...
 Mais cela ne marche jamais ! Il y a deux alliances de revers possibles contre l’Allemagne : avec les Britanniques ou avec les pays du Sud.  Or, nous n’avons pas les mêmes intérêts européens que les Britanniques. Quant à l’alliance vers le Sud, elle est condamnée car l’Italie et l’Espagne ne nous suivent pas sur toutes nos propositions. Et elle ne suffirait pas à faire fléchir les Allemands. La seule façon de défendre nos intérêts face à eux, c’est un dialogue direct et franc. Voilà pourquoi je propose toujours un « Agenda franco-allemand 2020 », sur l’emploi, la politique industrielle, la formation des jeunes…
En somme, la seule voie de salut, pour les Français, serait de devenir Allemands ?
 Bien sûr que non ! Il ne s’agit pas d’étendre le modèle allemand au reste de l’Europe. D’autant qu’il a ses faiblesses : la montée de la pauvreté, le développement des bas salaires dans certain secteurs et, bien évidemment, la démographie qui est une véritable épée de Damoclès. Il faut simplement définir une stratégie commune et laisser chaque pays l’appliquer à sa façon.
 La révolution économique que vous appelez de vos vœux nécessite peut-être de changer le rapport des Français à l’argent et à la réussite. Dans l’« opération transparence » qui a suivi l’affaire Cahuzac, la ministre aux Personnes âgées, Michèle Delaunay, s’est presque excusée de posséder un patrimoine de 5,4 millions d’euros. Dans ce climat, comment encourager les gens à entreprendre ?
 Notre société demeure profondément une société d’ordres, où le statut et la réputation ont beaucoup d’importance. Ce n’est pas méprisable. Mais du coup, nous cédons trop souvent à la tentation de la jalousie. Soyons capables de respect et d’admiration pour la réussite des autres ! Cela dit, l’argent ne sera jamais la valeur cardinale en France. Et c’est tant mieux ![/access]

*Photo: DR

Mai 2013 #2

Article extrait du Magazine Causeur



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