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Brigitte Lahaie: «Beaucoup de réprouvés du sexe sombrent dans l’addiction au porno»

Ni pure ni soumise


Brigitte Lahaie: «Beaucoup de réprouvés du sexe sombrent dans l’addiction au porno»
Brigitte Lahaie © Hannah Assouline

Pour l’ancienne star du X, à présent animatrice sur Sud Radio, le mouvement Metoo, loin de libérer la parole, a imposé de nouveaux tabous sexuels à la société. Propos recueillis par Jean-Baptiste Roques.


Et si c’était elle la véritable icône de la révolution sexuelle française ? Davantage que Brigitte Bardot, qui a certes libéré les femmes, mais trop tôt pour que les lois Neuwirth et Veil leur permettent de l’imiter dans l’alcôve. Davantage aussi que la géniale Jane Birkin, pas exactement un symbole absolu de la liberté, car à jamais muse d’un pygmalion mal rasé. Et ne parlons pas de toutes celles qui, hélas, ne sont pas sorties indemnes de leur statut d’émancipatrices des mœurs, les Maria Schneider, les Sylvia Kristel, les Jean Seberg. Ni de toutes les actrices qui regrettent à présent d’avoir joué à poil dans les années post-68. Brigitte Lahaie ne regrette rien. Jeune, elle a tourné dans des dizaines de films interdits aux moins de 18 ans, et elle en est fière. Mieux encore, elle en a fait une force pour devenir, depuis près de trois décennies, la sexologue la plus célèbre des ondes françaises. Au micro de Sud Radio, elle reçoit chaque jour les confidences d’anonymes, hommes et femmes, qui lui parlent de leurs frustrations, leurs peurs, leur difficulté à communiquer. Un poste d’observation unique sur la vie intime de nos contemporains. C’était elle, forcément elle, qu’il fallait rencontrer pour faire le point sur la sexualité des Français à l’heure de l’affaire Depardieu.


Causeur. Le phénomène Metoo a-t-il une répercussion dans la vie de vos auditeurs ?

Brigitte Lahaie. Malheureusement oui. À l’antenne de mon émission, j’ai reçu plusieurs témoignages d’hommes vraiment désespérés. Je pense en particulier à ce mari soudain accusé par sa femme, sous l’effet de la mode Metoo, de l’avoir violée. Je ne nie pas l’existence de viols conjugaux, mais en l’espèce je vous parle d’une épouse qui en réalité ne sait pas dire « non » à son époux, lui laissant donc croire qu’elle consent à une relation sexuelle même quand elle ne le veut pas. Des histoires comme celle-là, j’en ai entendu énormément depuis cinq ans. Elles font reculer la cause. Car elles consacrent une vision essentiellement victimaire de la femme, donc infantilisante. Je trouve cela du reste extrêmement dommageable vis-à-vis de celles – et de ceux – qui ont subi de véritables viols, et dont on risque, à force, de banaliser le calvaire.

Le retour au puritanisme est-il massif ?

Je ne peux pas vous répondre de façon scientifique. Je ne suis pas sociologue. Mon métier, c’est le récit singulier. Cela dit, j’écoute chaque jour des témoignages différents, non seulement d’auditeurs, mais aussi de psychiatres, psychologues, sexologues. Et cela me donne à penser que les effets de Metoo sont bien là. Pour résumer les choses, je citerai cette dame passée récemment dans mon émission : « Ils font chier avec Metoo parce que maintenant, il n’y a plus que les connards qui osent nous draguer. » C’est très drôle, très vrai et en même temps très inquiétant. Notamment chez les jeunes garçons, qui sont de plus en plus nombreux à se sentir coupables de leurs pulsions. Certains se réfugient dans un statut « non binaire » comme ils disent, manière de se mettre en retrait de la sexualité, ce qui peut parfois confiner à la psychose d’ailleurs. J’ajoute que beaucoup de réprouvés du sexe sombrent dans l’addiction au porno.

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Vous, la plus grande actrice X française de tous les temps, seriez-vous devenue anti-porno ?

J’ai toujours été résolument contre le porno quand il est regardé par les mineurs. Je ne compte plus les auditeurs, hommes et femmes, m’ayant raconté avoir vu trop tôt des films X, qui les ont excités bien sûr, mais aussi traumatisés, avec des effets à long terme sur leur sexualité.

Vous voulez dire que, des années après, ils sont pour ainsi dire formatés par les scènes qu’ils ont vues pendant l’enfance ?

Pas forcément. Ça peut être l’inverse. Il y a par exemple des femmes adultes qui privilégient la sodomie parce que, petites filles, elles ont été choquées par des images de pénétration vaginale.

Avez-vous les mêmes préventions vis-à-vis de la pornographie pour les adultes ?

Je n’ai aucun problème avec les scènes, même très violentes, que l’on peut voir sur YouPorn. Je suis en revanche assez triste que ce soit devenu une industrie de consommation. De mon temps – je me suis « rhabillée » en 1980 –, c’était un art, et j’assume pleinement d’y avoir contribué. D’ailleurs la plupart de mes scénarios étaient assez féministes. J’ai joué beaucoup de rôles de femmes qui, délaissées par leur mari, s’épanouissent en prenant des amants.

Le porno, c’était mieux avant ?

Je ne peux pas juger, car je n’en regarde pas, ce n’est pas mon support excitatoire. Ce que je peux vous dire en revanche, c’est que quand j’étais actrice X, j’étais persuadée que j’allais changer le monde, que j’étais à l’avant-garde d’un mouvement et que l’on se dirigeait vers un âge sexuel radieux. Aujourd’hui, je n’y crois plus, du moins à l’échelle du grand nombre. Les religions et le wokisme sont plus forts.

Photo: Hannah Assouline

La bataille est donc perdue ?

Collectivement, oui elle est perdue. Même si, individuellement, il n’a sans doute jamais été aussi facile qu’aujourd’hui d’être heureux dans sa sexualité. Et puis vous avez des femmes qui continuent le combat. Comme Zahia Dehar qui parle avec beaucoup d’intelligence de son passé de prostituée de luxe auprès notamment de footballeurs célèbres. Virginie Despentes aussi, qui a été escort girl quand elle était jeune, dit des choses intéressantes à ce sujet dans son essai King Kong Theory. Ou bien Emma Becker dont le roman La Maison raconte de façon crue et touchante les deux ans qu’elle a passés dans un bordel berlinois. En levant certains tabous, en montrant l’ambivalence de certaines situations sexuelles, ces femmes nous permettent de mieux nous comprendre nous-mêmes, avec nos fantasmes et nos paradoxes.

Comme vous du reste…

Effectivement, je me compte aussi parmi les voix qui peuvent allumer des petites lumières. Si vous saviez le nombre de femmes qui me remercient de les avoir aidées à avoir une vie amoureuse plus accomplie. Sincèrement je crois faire plus de bien que les néoféministes !

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Ce doit justement être plus difficile qu’avant, avec la pression de ces dames patronnesses…

Cela fait vingt-cinq ans que je présente des programmes sur la sexualité, sans n’avoir jamais fait l’objet du moindre signalement du CSA. Mais vous avez raison, je dois faire davantage attention à mes paroles maintenant. Je vais vous donner un exemple récent : j’animais l’autre jour une émission sur les trans, une thématique à laquelle je m’intéresse depuis au moins trente ans. C’était un échange de haute tenue, l’invité ayant fait une thèse à ce sujet. À un moment donné, nous parlons d’un homme « normal », au sens statistique du terme : né garçon et doté d’un appareil reproducteur masculin fonctionnel. Bref, pour me faire comprendre, je dis que c’est « un homme, un vrai ». Évidemment dans ma bouche, cette expression n’est pas un jugement de valeur. Mais en y repensant, je me dis que j’ai pu blesser des gens. Je crois que je ne l’emploierai plus à l’avenir.

Comment supportez-vous la réprobation des bonnes âmes ?

Quand j’ai arrêté le porno, dans les premières années, ça a été difficile. Les insultes, les regards de travers, les refus de me serrer la main. Mais aujourd’hui je m’en moque. Je me suis rendu compte que j’étais mieux dans ma peau que la plupart de ceux qui me critiquent. J’ai eu une enfance heureuse, j’ai appris à dire non, en commençant à dire non à ma mère, et j’assume depuis lors chaque seconde de ma vie sexuelle. Je crois que ceux qui m’attaquent sont souvent à l’inverse de grands blessés de la vie.

Face à l’hostilité des ligues de vertu, vous avez en somme été dans la peau de Gérard Depardieu avant l’heure…

N’exagérons pas. Je ne suis pas exposée si violemment à cette terrifiante justice populaire des réseaux sociaux. Même si j’ai été assassinée par des milliers d’internautes quand j’ai osé dire à Caroline De Haas, en 2018 sur BFM TV, que certaines femmes pouvaient jouir pendant un viol. Ce que tous les médecins savent. J’aurais même pu rajouter qu’il arrive aussi que des garçons soient agressés sexuellement par des personnes qui leur font une fellation et leur procurent ce faisant une érection et un orgasme. Je ne dis pas cela pour excuser les criminels sexuels. Mais pour faire comprendre le sentiment de culpabilité de certaines victimes.

Avez-vous un avis sur l’affaire Depardieu ? Avez-vous vu la vidéo volée, diffusée sur France 2, dans laquelle on le voit tenir des propos choquants ?

Oui, c’est sûr qu’il ne dit pas des choses très intelligentes. Mais, rien, absolument rien dans cet extrait n’indique qu’il soit un violeur.

Février 2024 – Causeur #120

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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