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Antoine Blondin ou le vélo en grandes pompes (funèbres)


Antoine Blondin ou le vélo en grandes pompes (funèbres)
Antoine Blondin en 1976 (Photo : SIPA.00259435_000001)
Antoine Blondin en 1976 (Photo : SIPA.00259435_000001)

Après deux essais à sa gloire parus ces dernières semaines, la réédition de son œuvre romanesque dans une Petite Vermillon de la Table Ronde modernisée pour l’occasion, des dizaines d’articles dans la presse, un déjeuner d’hommage au Café Guitry, et même un match de rugby ayant réuni sur la mythique pelouse de Colombes — celle qui vit bondir les champions des Chariots de feu et les Boni — de jeunes écrivains et journalistes revendiquant avec fierté l’héritage hussard, c’est en grande pompe et à vélo, que France Télévisions célèbrera, à son Tour (le centième), le 25e anniversaire de la disparition d’Antoine Blondin le 19 juillet prochain, en consacrant un documentaire à l’écrivain qui reste le plus brillant chroniqueur de l’histoire de la Grande Boucle.

Le service public injectant littérature, poésie et art de vivre à la française au cœur d’un barnum sportif où pullulent désormais hommes sandwiches et nains de la route ? Qui oserait bouder ce plaisir ? N’en déplaise au terrible Hanouna, le plus au ras du bitume des mecs « pafs » se haussant du col (de quatrième catégorie), on touchera bien à notre poste le 19 juillet prochain à 15 heures…

Dans le monde enchanté d’Antoine Blondin, les joyeuses colonies de vacances (de Perret, soit, mais plutôt Jacques que Pierre) commençaient chaque année à la fin juin, au cul des coureurs du Tour, dans la célèbre voiture 101 du quotidien L’Equipe dont il partageait la banquette arrière avec d’autres cadres (de vélo) du quotidien sportif : Pierre Chany, Michel Clare ou Jacques Augendre. Le plus célèbre des Hussards oubliait alors trois semaines durant les emmerdements, au premier rang desquels figuraient percepteurs, huissiers et autres notes de bars fixes et salées…

Un Tour de France vu à hauteur… d’enfant

On nous dit dans ce chouette film que Blondin avait pris le Tour à hauteur d’homme et que c’était là sa grandeur. A tort, peut-être. Car c’est selon nous plutôt avec des yeux d’un enfant (très fort en thème), en tout cas avec une fraîcheur renouvelée sur quatre décennies, que l’écrivain a transmis sa passion de la course. Dans sa chronique inaugurale de juillet 1954 à L’Equipe, notre Antoine, fier comme une plantation de bars-tabacs, ne confie-t-il pas qu’il ne nourrit finalement qu’une déception, celle de « ne pas s’être vu passer », comme lui-même, gamin, admirait, un trop fugace instant, champions et suiveurs ?

Pour se convaincre un peu plus de ce retour constant au paradis de l’enfance, on se reportera à un merveilleux papier, signé à Ax-les-Thermes, en juillet 1955, (la grande inspiration venant à Blondin dans une ville d’eau, qui l’eût cru ?) : « J’ai été ce petit garçon, le nez collé à la vitre, qui me regarde écrire avec ce respect patient, et quand je lève un peu la tête, j’ai l’impression de me regarder moi-même à travers le miroir sans tain du souvenir (…). C’est pour lui que j’écris ces lignes, le petit bonhomme d’Ax-les-Thermes, à la silhouette de chamois (…). Je voudrais qu’il connaisse un jour les frais matins de la complicité où nos voitures qui sont devenues nos maisons, l’une l’autre se saluant, font et défont sans cesse un village dont tous les habitants vivent sur le pas de leurs portes. Je voudrais qu’il puisse apprécier que les loisirs du vagabondage ne sont pas incompatibles avec l’ivresse d’appartenir à un grand système qui vous dépasse. »

Ses vagabondages, Blondin les écrit et les bégaye superbement. Chez Pierre Dumayet d’abord, Bernard Pivot ensuite, le coude posé sur un de ses habituels comptoirs de la rive gauche ou à proximité des rotatives d’une imprimerie de Mayenne, où il avait pour coutume d’achever, dans la plus grande souffrance, ses bouquins (l’expression « remettre cent fois l’ouvrage sur le métier » prenant chez lui tout son sens).

Les grandes gueules de la Grande Boucle

Défilent aussi à l’image quelques grandes gueules de la « comédie balzacienne » que fut la Grande Boucle des Trente Glorieuses : Jacques Augendre (155 Tours à l’actif de ce suiveur passionné et parfait gentleman), Raph’ Geminiani, « Vieul Fusil » à la faconde restée intacte, jamais rangé des voitures malgré ses 90 balais, et l’éternel Poulidor, l’ami et le voisin de Blondin dans le Limousin, toujours bon pied bon oeil d’ailleurs, le Poupou national, pommette rose et vernie, œil frisant et beau profil paysan…

Mais au fait, à quelle paroisse appartenait-il l’ami Antoine ? L’anquetiliste ou la poulidoriste ? Des deux seuls généraux de Gaule qu’il toléra jamais, l’écrivain qui tenait bien sa droite finit par avouer un faible pour le campionissimo normand, monstre froid et calculateur en selle, certes, mais incontestable maillot jaune question bamboche. Ce qui n’empêchait pas Antoine d’admirer chez Poulidor « l’authentique champion du terroir ».

Quel plaisir aussi pour l’œil que ces bandes d’actualités émouvantes et apaisantes d’une France d’avant un peu trop jolie pour être honnête (in vélo veritas ?), cartes postales sans doute idéalisées par les nostalgiques que nous sommes… En noir et blanc, d’abord : à un « Napolouison » Bobet piochant dans les lacets du Ventoux succède à l’écran la face asiate du Cannibale belge Eddy Merckx surmontée de la « gapette » Molteni (la publicité a fait son entrée dans le décor).

Le dopage comme un hommage !

Quant aux tragédies, elles planent toujours sur la Grande Boucle, façonnant sa légende, comme le rappellent les terribles accidents dont sera témoin Antoine Blondin : celui de Roger Rivière en 1960 mais aussi ce spectaculaire soleil d’Ocana, sous le déluge, dans le col de Mente, lors de la 14e étape de l’édition 1971… Mais bientôt, la révolution colorée et les bandes bleues du maillot Gan d’un Poupon « quadragêneur » frappent les imaginations dans les salons de province… Savoureuse aussi, surprenante même, et fort peu politiquement correcte surtout, cette séquence où Blondin justifie la pratique du dopage qu’il envisage comme une sorte d’hommage au public !

Les sempiternelles questions sur son contre-la-montre personnel l’agacent en revanche beaucoup. Onze longues années se sont écoulées entre le Singe en hiver et Monsieur Jadis. Pourquoi écrit-il si peu ? C’est un peu vite oublier qu’il improvise quotidiennement chaque été une vingtaine de petites nouvelles (il donnera en tout 524 chroniques à L’Equipe en ving- huit ans de présence sur le Tour, exploit de géant de la route) et alimente régulièrement la grande presse parisienne de feuilletons littéraires durant les onze mois où on le croit hors course…

Au zinc, entre deux volutes de Gauloises aussi bleues que le paletot de Poupou, Antoine Blondin tente de se justifier, à sa manière, étincelante et déchirante, celle d’un styliste hors catégorie : « On écrit un livre comme une lettre à ses amis. Et ces dernières années, j’ai perdu beaucoup d’amis (silence). Il me semble que je manquais de destinataires. » Chez Blondin, l’oral valait l’écrit. Au temps de sa splendeur, on lui donnait toujours 20 sur 20 avec les félicitations du jury comme le nota un jour son copain Bernard Frank.

Fort heureusement, le documentaire s’achève en éludant le coup de pompe du « chronicœur » dans le final. A l’orée des années 80, Bernard Hinault s’installe au sommet tandis que Blondin dévale la pente, avale ses derniers godets (en hommage aux maîtres Jacques, dit-on) sans jamais mettre les mains sur les cocottes de frein. L’écrivain cultive alors une légende pas toujours reluisante ainsi qu’une troublante ressemblance avec Verlaine. La barbe blanche de barde masque toutefois mal un visage d’ange déchu ravagé aux anis…

Les 20 sur 20 avec félicitations du jury se font plus rares. Et bientôt les derniers songes en été, ces 20 jours de juillet où la vie coulait, si douce, dans la voiture 101, s’évanouissent…

Antoine Blondin, la légende du Tour, documentaire de 52 minutes, ce mardi 19 juillet sur France 2, à 15 heures et avant-première sur Francetvsport.fr.

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