Bande de filles


Bande de filles

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Depuis son interdiction par les autorités marocaines, Much loved a gagné une sorte d’aura sulfureuse qui ne doit en aucun cas occulter la réalité d’un film qui se garde d’être une œuvre « sociale » ou de défendre une thèse. En choisissant de s’intéresser au quotidien de quelques prostituées de Marrakech, Nabil Ayouch n’a pas cherché à édicter de grandes sentences sur la prostitution.

Ce qu’évite très habilement le cinéaste, c’est de plaquer un discours préétabli sur ce qu’il filme. A l’inverse de nombreux films qui se contentent d’illustrer une thèse avec des personnages stéréotypés et des situations caricaturales (exemplairement, le Bande de filles de Céline Sciamma), Ayouch effectue le mouvement inverse : il cherche d’abord à faire vivre de véritables personnages et c’est à travers la vérité qui émanera d’eux que pourront se dessiner et se deviner les dysfonctionnements d’une société.

Avec beaucoup d’énergie, il emboîte le pas de prostituées marocaines qui partagent leurs nuits entre des fêtes privées avec de riches saoudiens ou dans des boites de nuit en compagnie d’européens plus ou moins fortunés. Très vite, les figures de Noha, Randa et Soukaina se détachent et le cinéaste trouve le rythme de son film à travers leurs échanges verbaux, leurs répliques cinglantes, leur humour, leurs chamailleries… Les trois comédiennes sont extraordinaires de vitalité et portent littéralement sur leurs épaules un film étonnamment cru (dans le cadre du cinéma arabe) qui évite à chaque instant les écueils du naturalisme sordide ou de la complaisance « victimaire ».

Much loved est d’abord un film de corps à la fois objet de tous les fantasmes mais également de toutes les craintes : ces corps de femmes que toute une société semble vouloir avilir, posséder, violer (la terrible scène avec le flic corrompu) ou ignorer à l’instar de la mère de Noha qui finit par lui fermer la porte de la maison car elle craint la pression du voisinage.

Alors qu’on retient surtout de longues séquences rythmées par la musique, les danses où les corps se cherchent, s’aimantent et se repoussent ; Ayouch parvient par petites touches à pointer du doigts les dysfonctionnements d’une société dans son ensemble : le poids des inégalités sociales avec ces riches saoudiens qui viennent s’enivrer d’alcool, de drogue et de prostituées pendant que leurs épouses restent au pays (on les imagine d’ailleurs voilées de haut en bas!) mais aussi la prostitution infantile, l’économie très particulière qu’engendre la prostitution (c’est Noha qui nourrit toute sa famille mais elle est paradoxalement rejetée en raison de sa « profession »), la corruption…

Cette chronique est aussi âpre que joyeuse : il faut souligner que le film est bourré d’humour et que ces filles témoignent toujours d’une grande vitalité, même dans les malheurs les plus extrêmes. Mais elle n’est sans doute pas parfaite. Ayouch peine parfois à dépasser le cadre de la chronique réaliste et de la succession de saynètes.  Pourtant l’énergie qui s’en dégage séduit constamment. D’une certaine manière, le cinéaste est à l’image de Saïd, le chauffeur de ces dames : toujours présent mais avec une certaine distance, une réserve pudique. Jamais il ne juge ses personnages mais il refuse également de s’apitoyer sur leur sort. Son regard est à la fois distant mais complice et bienveillant.

Porté par une mise en scène serrée qui parvient à épouser le mouvement de ces femmes magnifiques, Much loved séduit par sa capacité d’empathie et par une manière de pointer les maux d’une société sans avoir recours aux grands prêchi-prêcha moralisateurs et larmoyants.

A l’image de ses personnages, Nabil Ayouch réalise un film qui frappe par sa grande dignité…

 Much loved (2015) de Nabil Ayouch avec Loubna Abidar, Asmaa Lazrak, en salle depuis le 16 septembre.

 

 



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est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

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