Islamisme : En attendant les barbares


Islamisme : En attendant les barbares

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Les années sombres ont fini  par arriver, du moins elles sont devant nous; plus qu’un effort et nous pourrons pousser les portes qui s’ouvrent sur nos lendemains pas vraiment radieux. Les spécialistes du retour des années 1930 seront cependant déçus de ne pas se trouver enfin nez à nez avec le spectre éternel du fascisme nous attendant sagement, tapi dans un recoin de l’histoire. C’est que tous les spectres ne sont pas éternels et l’histoire ne répète jamais à l’identique nos monstruosités. Tout est nouveau à chaque fois et la seule chose qui ne change pas c’est simplement notre incroyable incapacité à éviter le pire. L’histoire ne se répète pas, ce sont les hommes qui bégaient.

Le pire n’est pas forcément celui qu’attendaient les répétiteurs des heures-les-plus-sombres mais il a tout de même un air de déjà-vu. Des champs de bataille de l’Afghanistan à ceux de l’Irak et de la Syrie en passant par le Caucase ou les zones tribales du Pakistan, le djihad est fils de la guerre froide et de l’aventurisme américain, puissant facteur de chaos au Moyen-Orient, mais il est aussi le produit de l’ataraxie du monde arabe dont la Nahda, la renaissance, a été confisquée par un wahhabisme qui tient plus du rétropédalage spirituel et culturel que d’une quelconque renaissance. En réponse au mondialisme libéral, l’internationale du djihad propose une autre forme de mondialisation revêtant les formes d’une oumma toujours fantasmée et jamais réalisée. Il n’y a aucune alternative spirituelle ou politique dans le projet islamiste, seulement un vide, témoin des échecs successifs des différents modèles de société adoptés dans l’aire arabo-musulmane, un vide conquérant néanmoins qui ambitionne de se superposer au nôtre, témoin de notre effacement civilisationnel par épuisement et lassitude de nous-mêmes.

Notre tradition intellectuelle nous permet d’envelopper cependant ce vaste combat du non-sens dans une cacophonie de bon aloi. « Sitôt que l’on a affaire à une opinion baroque et manifestement absurde, l’on peut être sûr qu’elle a pour auteur quelque prince de la pensée », écrivait Jean Paulhan. Et encore Paulhan ignorait-il la télévision, qui est sans doute une des pires choses qui soient arrivées à la démocratie. Après cela, il ne manquait plus qu’internet pour parachever la tour de Babel. Non seulement nos princes de la pensée disposent aujourd’hui d’un nombre de tribunes beaucoup plus important, d’où ils peuvent déverser leur lumineuse sapience sur le bon peuple, mais on tient désormais salon partout sur internet : salon des initiés, salon des clairvoyants, salon du complot, salon des mal-embouchés, salon des mal-rasés, salon des va-t-en-guerre et des va-comme-je-te-pousse, salon du repentir et du bal des faux culs. Avec ce grand accélérateur de particules que représente internet, les théories paraissent se fracasser les unes contre les autres : Douguine recyclant Carl Schmitt pour affronter Samuel Huntington, le « choc des civilisations » rompant des lances avec la « stratégie de la tension » et bien entendu les théories du complot se multipliant à la vitesse d’une parthénogenèse démente car le spectateur du monde d’aujourd’hui a, plus que la nature, horreur du vide. Face à cette dangereuse inflation d’intelligence, vous prend soudain l’envie de rester con. Le mouvement qui a jeté quatre millions de personnes dans la rue le dimanche 11 janvier a peut-être constitué pour ses détracteurs une démonstration de suivisme à grande échelle mais au moins la puissance de la vocifération commune a mis en sourdine pendant quelques heures Twitter ou Facebook qui donnent la nausée à force de vomir des hectolitres de fantasme et de réel recomposé.

L’orchestration médiatique et la mise en scène de l’événement a d’ailleurs eu au moins le mérite de parfaitement résumer les clivages de la société française. Les chefs d’Etat n’ont jamais marché en tête de la foule, ils ont marché à côté, dans une rue isolée, sécurisée et fermée au public, pour éviter que n’importe quel candidat à la gloire médiatique instantanée ne soit pris de l’envie de réaliser le carton du siècle. A l’écart de ces dirigeants qui craignent plus que tout autre chose désormais leur propre population, les rues et les artères des grandes villes et même des villages étaient envahies par une population réagissant de façon assez atavique contre le meurtre et la barbarie mais sans aller encore jusqu’à concevoir pleinement les responsabilités de ses propres dirigeants dans l’importation de cette barbarie sur son sol. À Beaucaire, haut-lieu de la résistance des comtes de Toulouse au roi de France et aux cupides seigneurs du nord qui orchestrèrent la croisade contre les Albigeois au XIIIe siècle, on vit défiler le Front national, écarté de toute union républicaine mais dont la patronne est peut-être tombée la tête la première dans un piège politique en se retranchant dans son splendide isolement. Nulle part ou presque on n’entendit ni ne vit les « jeunes des cités ». Cette partie-là de la France est restée singulièrement silencieuse mais en privé ou sur les réseaux sociaux, elle s’exprime bien plus clairement et quand elle tient salon, ce n’est pas pour parler tolérance et amour du prochain. La soi-disant « union républicaine » du 11 janvier, qui n’a pas duré le temps d’un week-end, a montré que la société française est plus que jamais travaillée par une véritable logique de sécession. Grossièrement découpées, il y avait ce jour-là quatre France : une qui faisait semblant de défiler, une autre qui défilait en masse et dans l’angoisse, une qui, vexée de n’être pas invitée, défilait ailleurs, et la dernière qui se défilait avec conviction.

On peut estimer à raison que l’islamisme est une composante particulière de l’islam qui n’englobe pas en un bloc l’ensemble du monde musulman, trop divers et complexe pour être défini comme une entité unique, entière et hostile. Néanmoins, les tenants du discours « padamalgamiste » oublient facilement, dans leur opposition décidée à toute forme d’islamophobie, le rôle déterminant des minorités agissantes dont l’action prime sur la masse et l’entraîne bon gré mal gré à suivre les desseins de la minorité la plus déterminée et la plus influente. Et le problème de la « stratégie de la tension », postulant que nos gouvernants utilisent les attentats pour entretenir en France une tension entre population allogène et autochtone qui leur profite, est qu’elle suppose à nos élites politiques une intelligence politique et une vision à long terme que l’on serait presque rassuré de pouvoir leur prêter, elles qui semblent plutôt empêtrées dans la logique électoraliste et les déclarations contradictoires. Dans la précipitation de l’après-crise, nous avons pu les voir promouvoir le verrouillage d’internet, s’autoriser à convoquer des enfants de huit ans au commissariat pour « apologie du terrorisme » tout en continuant à s’arc-bouter sur la culture de l’excuse pour définir les djihadistes français comme de malheureux paumés, victimes d’une société injuste et exprimant leur frustration à travers le rêve de la guerre sainte. Passée d’ailleurs la grande communion nationale du 11 janvier, notre cohorte de chefs d’Etats est allée se recueillir devant la dépouille d’Abdallah, défunt roi d’Arabie Saoudite, que Christine Lagarde qualifiait de « souverain progressiste » et qui jamais, au grand jamais, n’a financé le moindre terroriste, pas plus que le Qatar selon Laurent Fabius. Mais les Saoudiens, sans doute apeurés par la vigueur du gros bébé islamiste, ont soudain besoin de nous pour les protéger en échange de leur précieux pétrole. Alors, comme du temps de Khaled, de Fahd et d’Abdallah, nos dirigeants ont été accueillis par un nouvel émir, celui-ci visiblement encore plus proche du gâtisme que le précédent et, comme à leur habitude, ils ont sagement marché en rang derrière un vaste fessier flasque et craintif tremblotant avec circonspection dans les allées du pouvoir.

47 % des Français estiment aujourd’hui que l’Islam est compatible avec les valeurs de la société française, soit deux fois plus qu’il y a deux ans. Au-delà du caractère toujours un peu spectaculaire des chiffres, le sondage pose la question de la nature de cet islam « compatible ». L’islamisme, qui comme tout phénomène historique ne surgit pas de nulle part, pose directement la question des fondements actuels de la religion musulmane, de même que cette question de la « compatibilité républicaine » de l’islam questionne directement la société française qui compte près de cinq millions de musulmans. Libération devrait peut-être en particulier interroger les femmes sur cette « compatibilité » mais il semble que le concept d’islamophobie  ait dressé un tabou si puissant qu’on ne se hasarde pas dans la grande presse à poser ce genre de question.

Comme en d’autres temps, qui paraissent désormais bien lointains, où il était mal vu de questionner le bien-fondé de l’abandon du contrôle des frontières ou des flux migratoires au nom du dogme progressiste, le nouvel interdit du « padamalgames » est là pour nous rappeler que la première des soumissions est la confiscation de la parole. Et cette soumission au non-sens porte en elle toutes les soumissions futures.

*Photo :  Jennifer Moo.



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