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AQMI : gare aux mots qui tuent.


AQMI : gare aux mots qui tuent.

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Le plus grand flou continue d’obscurcir le détail des opérations ayant conduit – ou pas – à la mort des deux dirigeants d’AQMI, Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar. Le Tchad affirme haut et fort qu’ils ne sont plus de ce monde, renforçant au passage la réputation d’efficacité de son armée nationale en zone désertique – on parle ici de désert au sens propre, pas des centres-villes des Yvelines après 20 heures.
En France, on est beaucoup plus circonspect sur ces trépas au Sahara. Une prudence qui s’explique bien sûr par la multiplication récente du nombre d’otages de chez nous détenus par AQMI ou l’une de ses franchises. Même si ces ravisseurs sont réputés pragmatiques et plus intéressés par un virement bancaire immédiat qu’une perspective lointaine de rétablissement du califat, ils pourraient quand même prendre la mouche si les autorités françaises sablaient le champagne en revendiquant ce tableau de chasse – et pas seulement à cause de la boisson contraire aux prescriptions coraniques citée quelque part au fin fond de cette phrase qui n’en finit pas.
L’autre explication de la discrétion française tient aux certitudes, disons pas ci certaines que ça, quant à la disparition prématurée de ces deux garçons. Ça serait assez désolant pour Jean-Yves Le Drian, Laurent Fabius et leurs supérieurs hiérarchiques (mais je vous le demande : Lolo peut-il avoir un supérieur ?). Imaginez le buzz si quelques jours après un communiqué triomphal des autorités civiles ou militaires françaises, un des deux macchabées supposés réapparaissait hilare sur Youtube en tenant à la main le dernier numéro des Inrocks ? Comme le disait un vieil adage souvent cité du temps de leur splendeur par les communicants d’Euro RSCG, heu pardon d’HavasMachinchose, enfin par Séguéla et Fouks, quoi : il n’y a pas loin du storytelling too much au French bashing trop moche.
Quelles sont en effet les preuves tangibles de ces deux décès ? Pour Abou Zeid, j’en sais trop rien, mis à part les communiqués tchadiens glanés çà et là sur le web. Avec quelques quarts d’heure de recherches supplémentaires, je pourrais jouer les experts façon C dans l’Air, mais ma femme exige que j’aille au plus vite acheter du pain, et à la maison, contrairement à la rubrique Brèves, c’est pas vraiment moi le chef.
En revanche, avant de filer chercher une tradi chez mon boulanger, j’ai eu le temps de zyeuter un peu les témoignages sur la mort de Mokhtar Belmokhtar (qu’on tachera de ne pas confondre avec Mondo Belmondo). Mokhtar, alias Le Borgne, fut, rappelons-le, le grand ordonnateur de la tuerie peu raffinée à la raffinerie d’In Amenas. À ce titre, et peut-être à d’autres, il était activement recherché par tout ce que la région compte de troupes d’élites, africaines ou gauloises, lesquelles avaient pour mission de le ramener mort ou mort.
Une mission accomplie au dire de Madjiasra Nako, correspondant permanent de Radio France International au Tchad. Celui-ci a eu l’occasion de se rendre dans la région où les Aqmistes auraient été liquidés. Il a pu reproduire une photo présentée par des soldats comme étant celle du corps de Mokhtar Belmokhtar. Manque de bol, le cliché est flou et Photoshop est tout-puissant. Reste le témoignage desdits soldats. Notre confrère de RFI les aurait entendus se vanter d’avoir « tué le borgne ». Et c’est là que le fin linguiste qui sommeille en moi se réveille brutalement et crie « Halte là ! » Qu’a entendu exactement le correspondant aux armées ? A-t-il précisément ouï les troufions du désert affirmer qu’ils avaient occis leur client par balles ? À la roquette ? Au couteau ? En lui faisant visionner le dernier concert des Enfoirés ? Des précisions s’imposent. Et si l’on venait  à apprendre que finalement Mokhtar est mouru par strangulation, alors toute l’histoire de cette victoire du désert serait à réécrire.
Car en argot de fantassin francophone, l’expression « étrangler le borgne » a un sens bien précis. Il désigne une activité qui n’est nullement condamnée par les lois de la guerre, et encore moins en temps de paix – sauf par l’Eglise catholique et les rabbins old school. On la retrouve d’ailleurs dans la chanson de Renaud Le déserteur, où celui-ci explique au Président Mitterrand qu’il ne souhaite pas endosser l’uniforme parce qu’entre autres raisons, il n’ « aime pas étrangler le borgne plus souvent qu’il ne faut ». Bref, sans verser dans le scabreux, disons que cette expression se rapporte à la pratique de l’onanisme. Or, on sait que cette activité physique est abondamment pratiquée dans toutes les armées du monde, surtout depuis que la morale a proscrit les Bordels Militaires de Campagne.
Alors, exécution sommaire ou banale vantardise sexuelle ? Une plus ample vérification des faits s’impose. Dans le journalisme moderne, seul le factchecking compte. Tout le reste, c’est de la branlette.

*Photo : Magharebia.



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