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APL: T’as pas cinq balles?

Quand les ayants-droits font pleurer dans les chaumières


APL: T’as pas cinq balles?
Bernard Giraudeau et Michel Blanc dans "Viens chez moi, j'habite chez une copine !"

Ne vous demandez pas ce que vous pouvez faire pour votre pays, demandez-vous combien votre pays vous doit – et braillez-le sur tous les tons. Ainsi pourrait-on résumer la nouvelle philosophie, sinon des Français, de ceux qui se targuent de parler pour eux, élus et médias, sans oublier les inévitables associations devenues les arbitres des élégances sociales.

17 centimes par jour

Encore que, soyons honnêtes, pas mal de mes concitoyens semblent prêts à se dire opprimés, victimisés et bien sûr discriminés, parce qu’on leur sucre cinq balles d’allocs par mois, soit 17 centimes par jour. Sur je ne sais quelle chaîne, Virginie, ou peut-être bien Prune, étudiante en je ne sais pas quoi mais déjà docteur en comptes ménagers explique que, si on soustrait 5 euros de son budget de 377 euros, c’est la vie qu’on lui enlève. C’est certainement dur de vivre avec 377 euros par mois, mais ce qui est encore plus dur, c’est de penser de cette façon à 20 ans, et même à 50. Quand bien même Virginie ou Prune devrait sauter un repas dans le mois pour contribuer à l’effort national, cela signifierait-il que nous sommes revenus aux heures les plus noires de la révolution industrielle ?

Et le tabac dans tout ça?

Du reste, ceux qui en font des caisses sur le sort des étudiants ont la larme à l’œil quand ils écoutent La Bohême – « Nous ne mangions qu’un jour sur deux ».

Il faut voir les airs furibards ou éplorés de commentateurs qui ne prennent jamais le métro et vous déroulent en quelques chiffres et trois larmes à l’œil le récit édifiant de la vie-d’un-pauvre. En même temps, on se désole, et à raison, de ce que les jeunes se biturent grave. Eh bien, ces 5 euros qu’ils devront verser pour leur logement, ils ne les dépenseront pas à boire, fumer, se droguer et je ne vous dis pas le reste. Je blague, mais je suis sûre que l’augmentation des prix du tabac pèse beaucoup plus lourdement sur les budgets étudiants (ou sur ceux des pauvres en général qui fument plus que la moyenne) que les 5 euros de l’APL. Et personne n’a râlé.

Un petit effort…

Il suffit d’être allé dans un bistrot de campagne ou dans une réunion d’étudiants pour savoir que, les fauchés, tout le monde paye sa tournée sans se demander s’il devra renoncer à sa demi-baguette le lendemain. Le tollé suscité par cette mesure (qui a justement l’avantage d’être indolore) est une insulte aux pauvres. De toutes parts on explique que la redistribution doit marcher du « haut » vers le « bas » et non l’inverse, ce qui est une façon de considérer que le plus « haut » est le plus « riche » mais passons. On ne voit pas pourquoi, justement, les moins riches n’auraient pas le droit de contribuer, à la hauteur de leurs moyens, à l’effort national. C’est moins bien que le service militaire mais, après tout l’impôt est, en temps de paix, le signe le plus fort de l’appartenance nationale.

Adieu au bel esprit français

Certes, la politique d’aide au logement est dispendieuse et assez largement inefficace. Mais désolée, quand j’entends la gauche et la droite, les syndicats et les médias éructer, quand de bons esprits font semblant de croire que la perte de 5 euros va changer la vie de millions de gens, je me demande comment le bel esprit français a pu se muer en cette mauvaise foi boutiquière.  Les invectives qui se sont abattues sur Claire O’Petit, députée LREM, coupable d’avoir dit : « Si à 18,19,20,24 ans, vous commencez à pleurer parce qu’on vous enlève 5 euros, qu’est ce que vous allez faire de votre vie !« , révèlent, en plus d’un conformisme braillard et d’un désolant esprit de meute, une mauvaise foi généralisée : car enfin, qui ne partage pas ce bon sens ?

Cinq euros, c’est une demi-heure de baby-sitting, mais sans doute est-il très réac de faire appel à l’effort. Si le bel héritage de 1789 consiste en cette mentalité d’ayants-droits, il faut nous en délivrer au plus vite.

On infantilise bien les élus

On pourrait discuter la validité de ce dogme des 3 % qui nous impose peut-être de jouer contre la croissance, mais cette discussion-là, justement, n’a pas lieu. On pourrait surtout s’inquiéter de la prétention dingue à vouloir interdire aux députés les emplois familiaux, ce qui, au moment où le président alloue un budget à son épouse, est assez rigolo, mais justement, on ne rigole pas. En effet, le véritable scandale, cette semaine, n’est pas la micro-baisse de l’APL mais l’entreprise d’infantilisation des élus menée sous couvert de moralisation. On aimerait que le peuple s’insurge et qu’il exige d’être représenté par des adultes, pas par des bons élèves menacés de piquet pour un oui ou pour un non.

… en regardant dans l’assiette du voisin

Et pourtant cela va passer comme une lettre à la poste dans l’opinion, car on dirait que l’essentiel, pour nombre d’entre nous, c’est de regarder dans l’assiette du voisin – pour constater bien sûr que lui a trop et moi pas assez. Il y a dix ans, on se demandait ce qu’il pouvait advenir d’un pays où des lycéens manifestaient pour leur retraite. Aujourd’hui, on a la réponse. Accepterons-nous longtemps encore que la France soit un pays où on pleurniche pour 5 euros d’argent public ?

 



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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