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Antoine Blondin: trente ans déjà


Antoine Blondin: trente ans déjà
Portrait du romancier et journaliste français Antoine Blondin, réalisé dans son bureau en 1955. © AFP/UPI PHOTO UPI / AFP

Antoine Blondin est mort en 1991. La Table Ronde ressort Quat’saisons, un recueil de nouvelles paru en 1975.


Je ne sais pas quels sont exactement les chiffres de vente d’Antoine Blondin aujourd’hui. C’est le problème avec les auteurs culte. Des thuriféraires sentimentaux en parlent beaucoup, et j’en fais partie. On est heureux de se retrouver entre soi, avec nos mots de passe : les trains qui partiront un jour,  les avenues calmes et profondes comme des allées de cimetières, l’homme qui descend du songe,  les verres de contact.  Blondin est notre monde, mieux, Blondin est notre façon de voir le monde : désengagement rêveur, nostalgie irréparable de l’enfance, goût pour la fugue, esthétique de l’effacement, de la fuite, du vagabondage. On reconnaitra que ces valeurs sont assez peu en conformité avec la start-up nation, les réseaux sociaux, l’absence à soi-même dans la fausse omniprésence numérique du narcissisme contemporain. Blondin, lui, voulait se perdre de vue, pas s’oublier, nuance : « L’idée de partir ne m’est pas venue d’un seul coup. Elle s’est imposée à la façon d’un lent vertige, comme l’image de sa chute hante l’homme qu’elle fait tomber ».  Il n’aura finalement que peu publié de romans, par discrétion, par paresse, par cette attraction pour la rêverie : « Je suis un homme qui pense à autre chose » disait Hugo.  Cela convient parfaitement à Blondin.

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Et puis il y a thuriféraires et thuriféraires. Ceux qui sont à fuir sont ceux qui n’aiment qu’une légende, pas si glorieuse que ça, d’ailleurs, celle du Socrate des bistrots. Des biographes comme Alain Cressiusci ont rappelé qu’il s’est surtout agi, dans les dernières années de la vie de Blondin, d’une déchéance banale, presque sordide. Christian Millau, dans son Galop des Hussards a écrit: « Je ne m’en sens pas autrement fier mais j’avoue que plusieurs fois, l’apercevant près de la Seine ou à Saint-Germain-des-Prés, pressé de regagner l’un de ses abreuvoirs, j’avais lâchement traversé la rue pour l’éviter. »

Alors, trente ans après sa mort, méfions-nous des blondiniens décoratifs, ceux qui ne connaissent de son œuvre que la jolie adaptation d’Un Singe en Hiver d’Henri Verneuil avec Gabin et Belmondo. C’est un film réjouissant, un chef-d’œuvre du cinéma populaire, mais ce n’est pas Blondin. Méfions-nous aussi de ceux qui l’aimeraient parce qu’il aurait été réac, surtout après la guerre quand il écrivait dans La Nation Française de Boutang. On remarquera qu’il était quand même plus compliqué d’être réac dans une France dominée par le duopole gaullo-communiste qu’aujourd’hui où il semble bien qu’une certaine droite dure ait gagné la bataille culturelle, quoiqu’elle en dise.

Non, Blondin est avant tout un écrivain, pas le porte-drapeau des alcooliques non repentis ou des nostalgiques de l’Algérie Française. Un écrivain, par exemple, c’est celui qui écrit : « Pendant cinq minutes, je sus ce qu’est d’être aveugle : c’est quand on téléphone d’une province lointaine à cette femme que l’on aime, et qu’on lui demande la couleur du jour et celle de sa robe, comme si le prix de l’existence en dépendait. Si elle se tait, le monde, soudain, n’existe plus. ». Ça, c’est dans L’Humeur vagabonde. Ou qui écrit aussi, dans le poignant et drôle Monsieur Jadis, publié après la perte de l’ami de toujours, Roger Nimier : « Entendons-nous, pas question de devenir un de ces vieux messieurs qui ont gardé le cœur jeune, je suis ce jeune homme dont l’enveloppe s’est usée. »

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Les livres de Blondin demeurent aisément trouvables. La plupart sont chez son éditeur historique, La Table Ronde, en format de poche. Pour les trente ans de sa disparition, viennent de ressortir les nouvelles de Quat’saisons. On est davantage du côté des fruits et primeurs des marchés populaires que de Vivaldi. Encore que. La légèreté, la grâce, la poésie sont bien là. Mais aussi une forme d’insolence dans l’humour que ne se permettrait plus un écrivain soucieux de sa carrière : dans la nouvelle « De midi à quatorze heures », un auteur qui fait partie des derniers sélectionnés pour le Prix Femina décide d’attendre le résultat dans un élégant bordel où la maitresse de maison lui présente le catalogue, un bordel qui fait face au restaurant où se réunit le jury : « En somme, pensa Abel, elles sont exactement dans le même cas que moi ; seulement, de ce côté de la place, c’est moi qui décide. »

Cela n’empêche pas le recueil de recevoir, en 1975, le Prix Goncourt de la Nouvelle. Un recueil qui commence par l’hiver car, dit l’auteur, il a été « cueilli à froid. » Par la vie, l’histoire, les hommes. La variété des registres, entre fantaisie, fantastique, satire et poésie, a décidément quelque chose d’enchanteur avec, au détour d’une page une de ces phrases qui touchent au cœur et résume le blondinisme, ce romantisme qui ne veut pas dire son nom : « Mais, dès qu’elle se fut un peu retranchée dans la nuit, je vis à travers la vitre du bistrot qu’elle tournait vers moi ce visage qu’ont certains êtres quand deux trains se croisent et que l’envie déchirante vous prend de tirer le signal d’alarme. »

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