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Affaire Bernard Arnault : le taux et l’assiette


Affaire Bernard Arnault : le taux et l’assiette

Bernard Arnault pose la question de l'assiette de l'impôt sur le revenu

Le possible exil fiscal de Bernard Arnault provoque une large émotion. Mais au-delà du cas personnel de l’industriel du luxe, c’est la politique fiscale du gouvernement qui fait débat. L’irritation d’Arnault et du Medef s’inscrivent dans un contexte général où les mots et les symboles sont plus forts que les mesures réelles. Entre le débat sur les taux d’imposition et l’élargissement de l’assiette de l’impôt sur le revenu, le gouvernement doit choisir.

Évacuons rapidement le cas particulier de Bernard Arnault. Car il ne révèle rien que nous ne sachions déjà : en s’enrichissant les riches accumulent une solide rancune contre les pauvres qu’ils ont laissés sur le bord de la route. Balzac en a longuement parlé. Rappelons simplement que Bernard Arnault est devenu riche en se voyant confier par le gouvernement (socialiste) de Laurent Fabius une subvention de 500 millions de Francs plus un abandon de créance de l’Etat d’un milliard de francs pour reprendre Boussac avec la promesse de remettre cet empire industriel à flot. Arnault n’a pas tenu sa promesse mais a mis la main sur le joyau de Boussac : la maison Christian Dior. On comprend pourquoi Arnault en veut tant aujourd’hui encore aux socialistes : ce sont eux qui lui ont mis le pied à l’étrier et lui ont permis de monter (avec talent) le concept « d’industrie du luxe ». Ils lui ont permis de devenir riche. Aussi ne les aime-t-il pas.

Mais revenons au sujet central : le taux d’imposition. Hollande en a fait un symbole. Il savait pertinemment que ce taux de 75% d’imposition pour les revenus (salariés seulement !) supérieurs au million d’euros était sans portée réelle. Pourtant il a choisi d’en faire un symbole de sa politique. Le ministère de la parole en quelque sorte. Et il a fait mouche puisque pour la première fois dans l’histoire de la République, les patrons réunis en congrès par le Medef ont hué et insulté un ministre en exercice venu leur rendre visite (Arnault Montebourg). Ils n’ont pourtant pas vu – aveuglés par la lutte des classes qu’ils ont repris à leur compte – que la question majeure de l’imposition, ce n’est pas le taux, mais l’assiette.

Tous les pays européens ont des taux marginaux aux alentours de 40% pour la tranche supérieure (42% en France). Plus près de 30% aux USA. Pourtant, dans tous ces pays, les plus riches (la classe des 0,1% des contribuables les plus riches) n’atteignent jamais ces taux et sont assujettis à un taux moyen d’imposition d’environ 18%, ISF compris. On l’a vu dans l’affaire Bettencourt : l’héritière de L’Oréal touche plus de 200 millions de revenus par an, mais paye moins de 40 millions d’impôts. Cette situation a été confirmée par une étude publiée par le Ministère des finances : les contribuables redevables du bouclier fiscal payent en moyenne 18% d’impôt de leurs revenus réels. Car ils ne sont pas imposés sur tous leurs revenus. Très loin de là. La situation du taux marginal ne change rien à l’affaire. Dans tous les pays « fiscalement avancés », les riches payent peu d’impôts. D’ailleurs aux USA, où le système est pourtant très différent de l’Europe, le taux moyen d’imposition des riches est de 18%, comme en France ! Cela prouve l’imposition des revenus supérieurs ne dépend pas du taux marginal d’imposition inscrit dans la politique budgétaire du gouvernement, mais de la capacité des riches à défiscaliser leurs revenus. Warren Buffet, une des premières fortunes du monde, ne s’y est d’ailleurs pas trompé en déclarant : « trouvez-vous normal que je paye 18% d’impôts alors que ma secrétaire en paye 30%, ça ne tourne pas rond dans ce pays… ».

Rassurons, Warren Buffet, ça ne tourne rond dans aucun pays. Partout en Europe, les taux marginaux de 40% ne concernent que les classes « moyennes supérieures ». Les classes « supérieures supérieures » soustraient à l’impôt une bonne partie de leurs revenus avec la bienveillance de l’administration fiscale qui a créé des centaines de niches tout au long de l’histoire. L’économiste Thomas Piketty a d’ailleurs parfaitement démontré qu’à partir du 98ème percentile l’impôt est parfaitement dégressif en France : au-delà de 60 000 € mensuels, le taux d’imposition global tombe à moins de 35%, alors qu’il culmine à près de 50% pour des revenus compris entre 4 000 et 10 000 € mensuels.

Pour en revenir à Bernard Arnault, il y a fort à parier que son taux d’imposition soit beaucoup plus proche de celui de Liliane Bettencourt et de Warren Buffet (18%) que du taux observé par Thomas Piketty et le ministère des finances pour les revenus supérieurs (35%). Et le taux « exceptionnel » de 75% annoncé par François Hollande ne changera rien à l’affaire. D’abord parce que l’essentiel des revenus de l’industriel ne sont pas des revenus salariés, mais surtout parce qu’il emploie une armée de conseillers fiscaux qui réduisent considérablement l’assiette de ses revenus imposables. C’est pourquoi le symbole des 75% est une ânerie. Mais une ânerie qui cache aussi une lâcheté : le gouvernement socialiste n’entreprendra jamais une refonte globale de l’assiette de l’impôt pour le rendre réellement et justement progressif alors qu’il est aujourd’hui en partie dégressif. L’augmentation programmée de la CSG qui est un impôt proportionnel et non progressif va mathématiquement aggraver la situation. En plus d’une ânerie, c’est une erreur politique : Hollande prête le flanc à la critique des tous les idéologues ultra-libéraux qui ne veulent plus payer d’impôts du tout et s’interdit à jamais de revoir les choses de fond en comble.



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Xavier Théry travaille dans un grand groupe de communication.

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