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Bienvenue à Beyrouth-sur-Loire


photo : Vincent Cassel, la Haine

Il est des polars comme des cris stridents. Brut et agressif, Beyrouth-sur-Loire reflète le parcours sinueux de son jeune auteur. Pierric Guittaut a habité cinq ans dans la banlieue nord de Bourges, où il a joué l’animateur social puis le journaliste. Son voyage initiatique au Liban, à l’hiver 2004, lui a inspiré le personnage du flic Michel Jeddoun, monolithe maronite au physique buriné par ses années de phalangiste.

Flanqué d’un lieutenant prêt à toutes les compromissions, Jeddoun regarde les cadavres joncher les trottoirs de la cité des Ajoncs au fil de la campagne municipale du maire sortant. Ce libéral-sécuritaire, orfèvre de l’enfumage médiatique, cultive avec soin ses liens avec la presse locale, histoire de se forger une image de « dur » face à l’angélisme de la gauche. On aura compris que toute ressemblance avec la politique réelle n’a rien d’une coïncidence.[access capability= »lire_inedits »]

L’intérêt de ce roman lapidaire tiré à seulement 1500 exemplaires et dénué de toute trace de lyrisme ne tient pas à son style inégal mais à ce qu’il révèle d’un monde désenchanté dans lequel les salauds ordinaires prolifèrent : le bolide France va dans le mur, et la déflagration n’épargnera ni les bobos ni les prolos.

Au fil des pages, on découvre une intrigue sèche, servie par une langue parfois érotico-ordurière remixée à la sauce « Gang des Barbares ». Il est question d’antisémitisme et de barbarie, avec un Ilan Halimi rebaptisé Avishaï et une sœur inconsolable qui tente de briser l’omerta des faubourgs – qui n’a rien à envier à sa cousine corse. S’il ne cède pas un millimètre de terrain aux discours racistes, Guittaut emploie la langue ethnique des banlieusards sans craindre de comparaître devant la XVIIe Chambre. « Ces jeunes, explique-t-il dans la revue L’Agitateur, ne sont pas forcément très intéressants au départ, mais ils deviennent à leur tour des victimes. Pas des victimes au sens social du terme, comme la gauche l’entend souvent, mais des victimes du manque de considération générale. » Méprisez, il en restera toujours quelque chose. Sur les causes de la sur-délinquance, le narrateur nous épargne autant le discours de l’excuse (qui ne fait qu’enfoncer un néo-lumpenprolétariat en quête d’autorité) que les considérations ethniques ou culturelles. La minorité agissante des dealers ne souffre pas d’un déficit d’assimilation. Personne n’est plus en phase avec les valeurs de l’époque qu’un caïd de banlieue, épigone suburbain des patrons-voyous et autres escrocs de la finance. Quant aux pauvres, dans leur majorité, ils souffrent sans broncher.

Ces ghettos auto-constitués sont victimes du cynisme froid des prétendues « politiques de la ville », jargon techno destiné à masquer la faillite politique et morale des politiques publiques, mises en œuvre localement par des acteurs sociaux complaisants et des politicards corrompus aux mœurs aussi légères qu’un patron de radio.

Dans ce capharnaüm urbain, chaque voiture incendiée est une pièce de plus insérée dans le juke-box du grand capital. Toute l’ironie du Spectacle contemporain est qu’il recouvre la misère économique et sociale d’un écran de fumée compassionnel, maquillage institutionnalisé par l’alliance de la droite libérale-sécuritaire et de la « racaille », les errements de celle-ci étant supposés justifier les fautes de celle-là. Rappeurs au QI d’huître, journaleux conditionnés par des années de pseudo-gauchisme échevelé : Jeddoun n’épargne personne. La guerre civile n’est même plus une menace latente mais une réalité qui surviendra à plus ou moins brève échéance et dont 2005 aura été une répétition générale, un feu de paille préfigurant le grand brasier bleu-blanc-rouge du XXIe siècle.

Dans la lignée du très réussi Supplément au roman national de Jean-Éric Boulin, Guittaut dresse le portrait sombre d’une future-ex-nation décomposée par la marchandisation des rapports humains, l’assignation identitaire des corps et des esprits magnifiée par le slogan « Black-Blanc-Beur ». La discrimination positive sur base ethnique fait figure d’ascenseur social pour jeunes loups aux dents longues, la couleur de peau de condition absolutoire pour des délinquants qui partagent la même sous-culture de voyou, qu’ils s’appellent Kevin, Bakari ou Yacine.

Conjuguant son expérience du Liban et celle de nos faubourgs, Pierric Guittaut dévoile la libanisation rampante de la société française, où les rapports sociaux s’ethnicisent à mesure que l’État inonde les féodaux locaux de vaines subventions et laisse prospérer l’économie du shit pendant que les « braves gens » tentent de dormir en attendant des jours meilleurs et se font traiter de « fachos » parce qu’ils ont le malheur de ne pas communier avec leurs bourreaux.

On pourrait presque ranger Beyrouth-sur-Loire dans la littérature populiste. Certains regretteront qu’à l’instar du Camp des saints, il ne séduise que quelques plumitifs de Rivarol atteints d’anti-immigrationnisme pathologique. Il serait dommage, pourtant, de passer à côté de la puissance mobilisatrice de ce roman sans thèse. Pour mieux reculer avant de sauter, lorgnons du côté de l’extrême-gauche, par exemple du côté de Miguel Benasayag et de Jean-Baptiste Eyraud qui, dans Tout va bien, délivrent quelques leçons stimulantes parfaitement adaptées à l’entropie des banlieues chaudes. Contre la formidable « entreprise de destruction de la vie » turbo-capitaliste, « si nous ne pouvons pas construire, développer d’autres réalités, d’autres pratiques, si nous ne pouvons pas désirer autre chose qu’une meilleure place dans ce système-ci, tout continuera à marcher bien, beaucoup trop bien. » Un esprit révolutionnaire y puisera l’espérance de l’après-chaos. Souhaitons que cette lecture et d’autres alimentent la chaudière de ceux qui devront reconstruire sur les ruines de leurs aînés.[/access]

Beyrouth-sur-Loire

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Mai 2011 · N°35

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste.

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