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T’as voulu voir Bruxelles et on a vu Beyrouth


Fin juillet, Le Soir et La Voix du Nord ont publié un sondage établissant que 49 % des Wallons souhaitaient leur rattachement à la France et que 60 % des Français étaient prêts à accueillir les Belges, sans faire d’histoires. Ce que les observateurs ne tenaient jusqu’alors que pour une vieille lune irrédentiste est devenu, en quelques semaines, un fait politique majeur, au point d’éclipser la sortie de l’album de Carla Bruni dont le titre, Comme si de rien n’était, constituait pourtant un programme politique susceptible de maintes critiques[1. D’Alain Duhamel à Jean-Michel Apathie, aucun grand penseur français digne de ce nom n’a jugé bon de faire son métier et de souligner que le titre de cet album est une copie éhontée de la figure kantienne du als ob (comme si). Et qui dit Kant dit Eichmann. Cela nous montre où le régime actuel veut, mine de rien, nous conduire : une fois encore, Jean-François Kahn avait raison.].

On tenait les rattachistes pour de doux cinglés, au regard perdu dans des chopes de gueuse à moitié vides, des entarteurs en puissance, d’exotiques rêveurs mangeant des frites en regrettant qu’elles soient flamandes et se caressant nuitamment en songeant à Magritte et à la Belgique réunis : « Ceci n’est pas un pays. » Mais ce sondage a paru. Et tout a changé. Comme Emmanuel Berl le disait à Mireille : « Le sondage ne ment pas. » Dès lors, il faut nous attendre dans les prochains mois au pire : l’éclatement de la Belgique.

C’est, en effet, la pire chose qui puisse nous arriver. Pour une seule et unique raison : le divorce entre Wallons et Flamands provoquerait inéluctablement le retour des cantons rédimés (ceux de la Deutschsprachige Gemeinschaft Belgiens) à l’Allemagne. Et nous n’en voulons pas ! Nous avons déjà dû assimiler les Ossies dans les années 1990. Et il faudra certainement plusieurs générations pour que, dans dix ou vingt siècles, ils puissent se comporter convenablement en société, atteindre un niveau de civilisation égal aux vrais Allemands et perdre leur ridicule accent.

Il faut se rendre à l’évidence : les Belges germanophones sont inassimilables. Dire qu’ils sont cons est un euphémisme. Prenez le cas de la ville d’Eupen. Elle a été fondée en 1213. Ce qu’ils ont réussi à faire jusqu’à ce jour c’est un musée du chocolat. Ils auraient fait, au moins, une tablette, cela aurait pu passer chez eux pour un signe d’extrême lucidité et d’agilité mentale. Non, rien de tout cela. La seule chose remarquable qu’ils aient pour eux, c’est le barrage de la Vesdre, qui retient un tiers des réserves d’eau potable de Belgique et sans lequel le Manneken Pis n’aurait pas ses allures de fontaine de Trevi les soirs de grandes eaux.

Le retour d’Eupen et des cantons rédimés dans le giron allemand pourrait, en outre, nous redonner le goût de l’expansion. Que les Alsaciens-Lorrains soient prévenus : les Vosges sont une frontière naturelle tout aussi acceptable que les Pyrénées – ces saloperies d’ours en moins.

Mais je m’égare en faisant passer les intérêts nationaux allemands avant les intérêts bien compris de l’Europe. L’éclatement de la Belgique est, en réalité, une grande chance pour l’Europe. Jusqu’à présent, pour se régaler d’un bon petit conflit bien chaud (et le conflit, Dieu, que c’est bon), il fallait passer par une agence de voyage, prendre un avion, endurer les simagrées d’hôtesses de l’air pouffies[2. Note au correcteur : « pouffi » est un néologisme entre pouf et bouffi. Tu corriges ça que même ta mère ne te reconnaît plus.], afin de se rendre dans un Orient pas si proche que cela.

Il nous appartient de saisir l’extraordinaire opportunité de l’éclatement de la Belgique et de le favoriser par tous les moyens pour avoir sous la main un conflit dans la plus pure tradition moyen-orientale, un Israël-Palestine près de chez nous, un truc chic et pas cher.

La distribution est assez évidente. Dans le rôle des Palestiniens, les Wallons. Il faudra qu’ils se résolvent à porter le keffieh, mais qu’ils le sachent : on n’a rien sans rien. Les Flamands feront d’assez distingués Israéliens (une légère retouche sur le Mannekenpiss donnera le change). Dans le rôle du Liban, je ne vois que le Luxembourg (qui a déjà, pour lui, un système de banque et de blanchiment tout à fait satisfaisant). L’Allemagne fera une excellente Jordanie (il suffira à Angela Merkel de ne pas se raser pendant une ou deux semaines pour devenir un Abdallah II très convainquant). On demandera instamment à la reine Beatrix de Hollande d’arborer une bacchante à la Bachar, pour faire totalement syrienne. Quant à la France, qui a déjà au Louvre sa pyramide (François Mitterrand, quel visionnaire !), elle adoptera les mœurs égyptiennes. Il suffira de mélanger le tout et d’attendre. Cinq minutes devraient suffire.

Bien sûr, le cas de Bruxelles restera, autant que faire se peut, le plus litigieux qui soit. Il sera vraisemblablement nécessaire de raser le Berlaymont (siège de la Commission européenne) et ses alentours pour y aménager une esplanade où l’on consentira aux Wallons d’aller et venir aux heures de la prière. De même, la place de Broukère sera strictement réservée aux moukhères (l’organisation d’une guerre, fût-elle de proximité, ne doit pas nous priver de menus plaisirs poétiques). Il ne faudra pas négliger non plus la division de Bruxelles en deux entités distinctes (Bruxelles-Est et Bruxelles-Ouest). Enfin, pour parachever cette œuvre hautement salutaire, on n’omettra pas de disposer quelques colonies flamandes en territoire wallon. Comme nous sommes européens[3. Paul Valéry écrivait : « Partout où l’Esprit européen domine, on voit apparaître le maximum de besoins. »], on prendra garde d’essaimer judicieusement des colonies wallonnes en territoire flamand.

Non moindre problème, l’Atomium de Laeken a beau être une infrastructure civile, le risque est grand que l’autonomie wallonne ou le gouvernement flamand ne s’avise un jour de l’aménager pour accéder au statut envié de puissance nucléaire. Par précaution, un contingent de pioupious onusiens le détruira.

On veillera enfin, pour faire bonne mesure, à déplacer certaines populations. Amélie Nothomb, les frères Dardenne[4. C’est une demande du Wallon Marc Cohen qui a menacé d’aller se faire exploser dans une école à Bruges si je n’y satisfaisais pas.], Jean-Claude Van Damme et Lara Fabian recevront ainsi d’office la nationalité flamande.

Et nous visiterons cela, le dimanche, en famille. On y verra Nicolas Moubarak, accompagnée de son épouse, refuser de faire la bise à Angela el-Bachar (« Mais qu’est-ce qu’elle pique ! On ne pourrait pas lui demander de se raser à cette Syrienne de Boche ? »). Et ce sera reparti comme en 40, en nettement bien mieux qu’à Eurodisney.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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