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La burqa aussi, c’est made in China


La burqa aussi, c’est made in China
Matteo Ricci.
Matteo Ricci.
Matteo Ricci.

Au moment où l’Occident, avec un sourire de ravi du village, fête, au diapason de Pékin, l’avènement de l’année du Tigre, il n’est pas inutile, je pense, de réviser encore ce que ce XXIe siècle qui sera chinois ou ne sera pas, n’a pas fini de nous seriner. C’est la Chine qui a tout inventé, et pas du tout « nous », les Occidentaux. Tout. À commencer par l’imprimerie (bientôt disparue !), la boussole (toujours plus nécessaire !), le papier (l’essence même de notre identité nationale, lorsqu’il est d’identité !), la poudre à canon (hélas !), etc. Et, comme on dit à Shanghai, last but not least, la burqa.

Le voile intégral n’a rien à voir avec l’islam
La burqa, je le précise pour les petits veinards qui reviennent tout juste d’une retraite d’un an dans le Berry chez les bouddhistes Chan pour fignoler la rédaction d’un magnifique recueil de haïkus, c’est ce voile intégral dont certaines Françaises d’origine française s’affublent aujourd’hui dans la rue pour se faire remarquer des garçons ou des filles plus sûrement qu’avec un string apparent, et dont on n’a à l’évidence jamais entendu parler dans le Coran, ni à l’hôpital Avicenne de Bobigny, comme nous l’expliquait récemment l’hilarante Memona Hintermann sur France 3.

Ce voile intégral n’a donc rien, mais vraiment rien, d’islamique, ni même d’islamiste, ni même encore d’islamo-compatible. Tous ceux qui prétendent le contraire et qui croient médire de l’islam en lui attribuant cette paternité sont de vilains islamophobes auxquels on devrait faire subir le fameux lingchi, qui est une autre invention chinoise très utile, dont on n’a pas non plus fini d’entendre parler sous nos cieux et sous sa forme virtuelle qui le rend compatible avec tous nos bons sentiments.
 
Ricci, jésuite dans la Chine des Ming (1552-1610)
Car la burqa, entrez vous bien ça dans vos petites têtes découvertes, ça n’est pas musulman, c’est chinois. Il ne saurait plus longtemps être question, à moins d’humilier inutilement nos futurs maîtres, de priver les Chinois de la paternité de cette magnifique invention. La preuve de ce que j’avance ? On la trouve dans un très vénérable et très fiable ouvrage (quoiqu’il ait reçu de Jean Herennius, Provincial de la Wallonie installé à Lille, l’Imprimatur, le 7 mars 1617), qui décrit le périple de Matteo Ricci (1552-1610), jésuite italien, dans la Chine des Ming. Ricci fut le premier Occidental dont on a gardé la trace à écrire un livre en chinois – montrant ainsi une ouverture à l’Autre étonnante pour un mâle blanc, dominant et catholique du XVIe siècle – et à pénétrer dans Pékin, le 7 septembre 1598. On commémorera dans quelques mois le 400e anniversaire de sa mort, ce qui est une occasion qui en vaut une autre, sans doute, de parler de ce personnage remarquable. Entrant dans la future capitale du monde, Ricci fut d’abord frappé par l’étrange accoutrement dont usaient les Pékinois.
 
« Il y a dans la ville de Pequin peu de rues pavées de briques ou de cailloux, d’où l’on peut douter en quel temps le marcher est plus fâcheux. Car en hiver la boue, en été la poussière, l’un et l’autre très importun, lassent également ceux qui marchent par la ville. Et, d’autant qu’il ne pleut pas souvent en cette province, la terre se résout en poussière, laquelle venant à être enlevée du moindre vent, il n’y a aucun lieu où elle ne passe et ne gâte tout. Recherchant quelque remède à cette incommodité, ils ont introduit une coutume, à mon avis non usitée autre part. Car il n’y pas personne, de quelle qualité que ce soit, qui marche à pied ou à cheval sans voile, qui va pendant du bonnet à la poitrine et couvrant la face, lequel est fait de telle sorte qu’on peut aisément voir, sans que la poussière puisse passer à travers. Ce voile apporte aussi une autre commodité en cette ville que vous n’êtes connu que quand il vous plaît. D’où provient qu’étant exempt d’une infinité de salutations chacun, marchant avec telle suite et parade qu’il veut, reçoit moins de fâcherie et de dépens ; car les Chinois, n’estimant pas être chose assez magnifique de marcher à cheval et les dépens étant grands dans cette ville pour se faire porter en litière, on peut sans infamie retrancher la pompe. Cette coutume aussi vint fort à propos aux nôtres [les Jésuites]. Car ce fut été chose importune de voir courir les étrangers par les rues pendant ces bruits de guerre [contre le Japon]. Se servant donc de cette coutume, ils allaient librement partout où ils avaient affaire étant couverts de ce voile. »  (Histoire de l’expédition chrétienne au royaume de Chine, Matthieu Ricci et Nicolas Trigault, DDB, Paris, 1978, p.390-391.)
 
Révolution par le voile intégral
À la lecture de ce texte extraordinaire, on constate combien le voile intégral fut en son origine une pratique révolutionnaire, une de ces attitudes contestataires intemporelles dont la radicalité donne les moyens à la spontanéité émancipatrice du peuple de subvertir l’immobilisme des structures sociales dominantes les plus figées. Plus impitoyablement que la Halde, elle luttait au cœur même du vaste Empire du Milieu » contre les discriminations liées à l’ethnie et à la condition sociale de tous. « On peut sans infamie retrancher la pompe » : chacun sous le voile intégral est à égalité, ce qui fait sans conteste de cette merveilleuse coutume le précurseur des droits humains contemporains dont on trouve certainement la trace, comme nous l’a expliqué naguère Ségolène Royal dans son fameux contre-discours de Dakar, dans la loi naturelle de toutes les cultures, plus surement sans doute que dans la nôtre.
 
L’invention de la lutte contre les discriminations : voici donc, avec le voile intégral, ce que nous devons aussi aux Chinois. Mais il a fallu toute l’hypocrisie et toute la fourberie des Jésuites pour user de cette pratique libératrice comme d’un outil pour diffuser secrètement au sein du peuple chinois une religion aussi aliénante et peu respectueuse des coutumes de chacun que le catholicisme. Seul l’art pervers des Jésuites pouvait ralentir la propagation des lumières chinoises jusqu’à nous, lumières dont le voile intégral ne peut être lui-même qu’un vecteur éminent. Fort heureusement, l’Histoire a certaines ironies propres à triompher même du jésuitisme des Jésuites. Car voici le voile intégral, après un périple de quelques siècles à travers l’immensité du continent asiatique, qui s’enracine enfin chez nous et renoue par là-même avec son essence émancipatrice, en offrant aux femmes françaises, à l’abri de toute forme de discrimination, l’opportunité de s’affirmer sur la voie publique en toute liberté. Il faut oser le dire haut et fort, en résistant au dévoilement correct, qui n’est qu’une modalité particulièrement rétrograde du jamais trop pourfendu politiquement correct : il était temps que le voile intégral, ce magnifique instrument d’émancipation féminine, parvienne enfin jusqu’en notre vieux pays exsangue, dans lequel les vieux schémas de la domination des dominants et du patriarcat des patriarches n’ont jamais été aussi triomphants. Comment s’étonner dès lors que le voile intégral soit aujourd’hui l’objet de la haine unanime de tout ce que la France moisie compte d’islamophobes, d’hommes machisto-féministes, et de femmes féministo-machistes, de crypto-catholiques, et de réactionnaires ultra-laïcards ?



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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