La cause palestinienne, épousée en Europe par tant de militants fanatisés et de people désireux de se montrer vertueux, n’est plus une simple cause politique. Elle est devenue une religion, ou plutôt une religion de substitution, apportant à ses croyants une lecture simpliste du monde, divisé en bourreaux et victimes. Elle représente une foi obscure qui piétine la raison humaine et empêche de voir le réel tel qu’il est. L’auteur de Les masques tombent. Illusions collectives, vérités interdites analyse ce culte doloriste postmoderne.
Il n’y a plus d’innocence.
Il n’y a plus que des icônes.
Des icônes tremblantes, des visages mal éclairés sur des pancartes, des larmes mises en scène à la télévision, des slogans peints à la hâte sur les murs humides des métropoles mortes. L’innocence n’est plus une qualité humaine — elle est devenue un attribut politique. Un brevet de pureté. Une médaille qu’on décerne à ceux qui souffrent du bon côté.
L’homme occidental n’a plus de dieu, plus de patrie, plus de forme. Il ne sait plus aimer, ni croire, ni haïr avec style. Il ne sait plus faire la guerre, ni faire l’amour, ni même mourir dignement. Il sait seulement pleurer. Il pleure comme on s’agenouille. Il pleure pour se sentir encore un peu humain. Et comme il ne croit plus en rien, il a besoin d’un autre en qui croire. Il l’a trouvé. Ce n’est ni un dieu, ni un homme, ni un héros. C’est une silhouette : le Palestinien.
Il est l’Enfant Jésus du monde postmoderne.
Un Enfant Jésus sans crèche, sans Joseph, sans Bethléem. Un Enfant Jésus armé de pierres, élevé au son des bombes, nourri au lait du ressentiment.
Il est la victime parfaite. Celle qui ne parle pas. Celle qui ne pense pas. Celle dont on peut faire une chanson, un drapeau, un mème.
Le Palestinien n’est pas un homme : il est un écran. On y projette la pureté que l’on a perdue. L’Europe l’a choisi comme elle choisit ses idoles — sans le connaître. Elle l’a sacré comme elle sacre ses saints — pour se laver. Il est son savon. Il est son confessionnal. Il est son silence.
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On ne débat pas du palestinisme. On y communie. On ne le critique pas. On y croit. On ne le pense pas. On le ressent. C’est un culte de substitution, une hostie émotionnelle, un rituel sans mystère. Le Palestinien est devenu le miroir de l’innocence perdue de l’Occident. Le problème, c’est que les miroirs coupent.
Il a fallu des siècles pour bâtir des cathédrales. Il a suffi de quelques années pour faire de Gaza une basilique laïque. Il a fallu des générations pour écrire Sophocle, Eschyle, Dante. Il suffit aujourd’hui d’un enfant mort pour que des foules défilent avec des bougies. Et chaque bougie est une pierre lancée contre Israël.
Le nouveau dieu de l’Europe ne parle pas. Il ne pense pas. Il saigne. Et c’est tout ce qu’on lui demande. Ce n’est plus un homme : c’est une image. Un masque de douleur. Une icône sacrificielle. Un corps qui souffre à notre place.
Mais l’innocence est une arme.
Et l’innocent est toujours suivi d’un coupable.
Israël a été élu pour ce rôle. Il est le bourreau commode. Le criminel utile. L’impur sacré. On ne dit plus : le Juif. On dit : le sioniste. On ne dit plus : les Protocoles. On dit : les colonies. On ne parle plus de sang impur. On parle d’apartheid. Mais la musique est la même. Et le tambour, cette fois, bat au rythme des concerts de charité.
C’est ainsi qu’on a réinventé une religion. Une religion de l’image. Une religion sans dieu, sans pardon, sans ciel. Une religion de haine douce, de violence décorative, de mort scénographiée. Une religion de mannequins en keffieh et de journalistes pleureurs. Une religion où l’enfant mort vaut plus que l’enfant vivant, parce qu’il sert.
Et dans cette religion, le péché, c’est la nuance. Le blasphème, c’est de dire que le martyr peut mentir. Le crime, c’est d’oser penser que la guerre est une guerre, et non une Passion.
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Le monde moderne ne sait plus ce qu’est un tragique. Il confond douleur et justice, émotion et vérité. Il croit que pleurer, c’est comprendre. Que s’émouvoir, c’est agir. Il prend la mort pour un clip, le combat pour un tweet, la souffrance pour une catharsis.
Mais le réel, lui, ne prie pas. Il saigne sans liturgie. Il bombarde sans musique. Il assassine sans plans-séquences. Il est fait de corps, de cris, de béton et de feu. Il est fait de stratégies, d’aveux, de mensonges, de ruses. Et dans le réel, les enfants ne sont pas des anges. Ils sont des boucliers, parfois. Des armes. Des excuses.
Ce n’est pas une guerre de liberté. C’est une guerre de croyances. Ce n’est pas une guerre d’indépendance. C’est une guerre d’effacement.
Mais l’Europe regarde ailleurs. Elle regarde les larmes, pas les mains. Elle regarde les cercueils, pas les armes. Elle regarde les visages, pas les versets.
Et dans ce grand théâtre du monde, elle tient son rôle.
Celui de la vieille dame éplorée, qui se souvient vaguement qu’elle fut une reine.
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