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COP 28: la transition écologique peut être vécue par les Africains comme un nouvel impérialisme

La transition énergétique ne saurait être imposée au prétexte de visions hors-sol


COP 28: la transition écologique peut être vécue par les Africains comme un nouvel impérialisme
Préparatifs pour la COP 28, Dubai, Emirats arabes unis, 28 novembre 2023 © Peter Dejong/AP/SIPA

Alors que la Cop 28 doit se tenir à partir du 30 novembre, de quel droit imposerions-nous aux pays africains des conditions de développement qui ne répondent pas aux besoins qu’ils expriment? Veillons à ne pas faire d’un certain dogmatisme écologiste une forme implicite d’impérialisme.


L’Afrique est un continent peuplé par 1,3 milliard d’habitants, dont 600 millions n’ont toujours pas accès à l’électricité. En septembre, le Sommet africain du climat s’est conclu par l’adoption de la déclaration de Nairobi, posant la première pierre d’une position commune africaine dans le processus mondial sur le changement climatique jusqu’à la Cop 28 et au-delà. Les pays africains ont notamment demandé à l’ensemble de la communauté internationale d’aider le continent à « augmenter la capacité de production d’énergies renouvelables de l’Afrique de 56 gigawatts en 2022 à au moins 300 gigawatts d’ici à 2030 (…) pour lutter contre la précarité énergétique et [à] renforcer l’approvisionnement mondial en énergie propre et rentable ».

De fait, les ressources africaines en énergies renouvelables sont colossales.  Comme l’a récemment rappelé Antonio Guterres, l’Afrique peut devenir une superpuissance en la matière, détenant par exemple le tiers des réserves minérales mondiales pour l’énergie solaire, les véhicules électriques et le stockage par batterie. Le potentiel de développement des énergies renouvelables africaines correspondrait ainsi potentiellement à une production théorique cinquante fois plus importante que la demande en électricité à l’horizon 2040.

La transition énergétique africaine demande toutefois un temps d’adaptation

Ces projections optimistes sont toutefois contredites par les réalités immédiates du continent africain, fort différentes des nôtres en Europe et plus globalement dans le monde occidental. Avec des centaines de millions d’Africains dépourvus d’accès au confort moderne, nécessité fait loi et il serait très injuste d’imposer à l’Afrique un développement strictement basé sur des projections théoriques calquées sur nos propres besoins. Un rapport du World Resources Institute publié en septembre 2022 souligne ainsi les obstacles toujours posés à l’Afrique pour développer les énergies renouvelables. Tout reste encore à créer dans un contexte de faible capitalisation où les risques sont importants pour les investisseurs. L’absence d’infrastructures, la faiblesse des réseaux électriques existants pour absorber les énergies renouvelables, ou encore les doutes bien réels sur la viabilité commerciale des projets sont autant de handicaps qui invitent les experts à tempérer grandement les propos d’Antonio Guterres.

Fatih Birol, actuel directeur de l’Agence internationale de l’énergie, le dit sans détour : « L’attitude dogmatique des pays occidentaux, qui souhaitent empêcher l’Afrique d’utiliser son gaz, revient à lui interdire de s’industrialiser ». Des propos qui ressemblent d’ailleurs à s’y méprendre à ceux tenus par Eve Bazaïba, vice Première ministre de la République démocratique du Congo, lors de son discours d’introduction à la pré-COP 27 : « Que devons-nous faire ? Exploiter nos ressources et nourrir nos enfants et nos petits-enfants ? Ou les contempler et laisser nos enfants et nos petits-enfants mourir de faim parce que nous devons protéger la planète ? »

A lire aussi, du même auteur: «Face au Sud global, il faut que l’Occident serre les rangs!»

La transition énergétique ne saurait être un horizon viable et positif sans adhésion des peuples, en Europe comme en Afrique, et surtout en entravant le développement d’un continent à qui l’on demande de passer directement d’une société globalement pré-industrielle à une société post-industrielle. De plus, le contexte géopolitique contemporain a pu montrer la dépendance et la fragilité des Etats qui ne détiennent pas de ressources naturelles. L’Afrique qui possède des ressources gazières inexploitées et qui est encore insuffisamment développée pourrait éviter de subir les futurs chocs haussiers en matière de prix alimentaires causés par l’augmentation du prix des hydrocarbures sur les marchés mondiaux.

Cela n’est pas non plus neutre pour nous, tant sur le théâtre migratoire et sécuritaire qu’économique.

Pourtant, nos écologistes dogmatiques, qu’ils soient actifs au sein de notre Assemblée nationale ou au Parlement européen, ne cessent de mettre des bâtons dans les roues aux Africains. Songeons que le Parlement européen a ainsi voté contre un projet d’oléoduc reliant l’Ouganda à la Tanzanie, alors même que l’Afrique reste l’un des plus faibles émetteurs d’empreinte carbone de la planète. L’Afrique ne représente que 3% des émissions mondiales cumulées de CO2 et moins de 5% des émissions mondiales annuelles de CO2… L’un des principes clés énoncés par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) est que les parties doivent agir « sur la base de l’équité et conformément à leurs responsabilités communes mais différenciées et leurs capacités respectives. »

Le paternalisme n’est pas la solution

Lors de la Cop 27, le chancelier allemand Olaf Scholz avait prononcé un réquisitoire extrêmement dur contre les énergies fossiles qui avait conduit le président sénégalais Macky Sall à déclarer que « l’exploitation du gaz que certains veulent arrêter au motif de lutter contre le réchauffement climatique, est pour nous un facteur de résilience, lorsqu’elle se substitue à la coupe de bois ou au charbon de bois pour la cuisson ou d’autres usages ». Venant d’une Allemagne qui s’est mise sous la coupe russe en matière énergétique, et qui par pure idéologie s’entête à refuser le nucléaire, ce qui l’amène à exploiter le charbon émetteur de CO2, ces leçons de morale font rire jaune. L’Allemagne s’érige en modèle de vertu alors qu’elle est coupable d’avoir mis en danger l’ensemble de la politique énergétique de l’Europe. Il est d’ailleurs heureux que notre ministre Agnès Pannier-Runacher ait su efficacement lutter contre le chantage berlinois.

En Afrique comme chez nous, on ne pourra pas lutter contre la fin du monde sans penser aux fins de mois des gens les plus modestes. Pour une fois, Emmanuel Macron semble bien conscient de ces enjeux puisqu’il a rappelé au Sommet de Paris qu’il ne fallait mettre personne « en situation de choisir entre la pauvreté, le climat et la biodiversité », ajoutant qu’il était immoral et injuste de vouloir interdire à certains pays de développer des projets qui ne correspondent pas aux critères stricts édictés par les ONG écologistes quand des pays européens rouvrent en même temps des centrales à charbon.

Ce paternalisme occidental que la France semble vouloir abandonner n’aura que des effets négatifs pour les intérêts européens, poussant encore davantage l’Afrique dans les bras de la Chine et de la Russie qui n’ont pas nos préventions. Il y a une troisième voie de raison qui consiste à prendre en considération les besoins immédiats de ce continent tout en lui permettant d’exploiter progressivement son potentiel en énergies renouvelables.

C’est ce cap qu’il faut tenir sans faillir face aux idéologues hors sol et aux postures des donneurs de leçons habituels des ONG telles que Greenpeace, Oxfam ou Les Amis de la Terre. Tous ces gens entendent-ils dicter au reste du monde comment il doit vivre depuis Paris, Londres ou New York ? Avec une telle posture, ces mouvements semblent s’inscrire, qu’ils le veuillent ou non, dans le sillage du colonialisme de gauche du XIXème siècle. Cet apparent paradoxe donnerait presque à penser que l’expression « le fardeau de l’homme blanc » recouvre pour cette mouvance une réalité… Des intellectuels l’ont d’ailleurs dénoncé, à l’image de l’anthropologue Fiore Longo qui a publié l’ouvrage Décolonisons la protection de la nature, où elle invite les écologistes à se demander s’il est souhaitable de « sauver la planète » au détriment des humains qui l’habitent.

Les écologistes de salon ont, il est vrai, tendance à sanctuariser la nature, et même à la diviniser dans une vision largement inspirée du New Age et des mouvements sectaires des années 1960. Les sociétés humaines du monde réel, de leur côté, exploitent la nature, et l’aménagent à leur profit depuis la nuit des temps pour en tirer le meilleur fruit. Si aujourd’hui il convient certainement de modérer certains appétits eux aussi coupés du réel, ce n’est certainement pas en inversant les rôles et en soumettant les hommes, pas tant à la nature elle-même, qu’aux idéologies qui en font une idole. Cette posture de sagesse nous est en l’espèce opportunément rappelée par nos partenaires africains.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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