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La réforme institutionnelle en Corse divise les Bonapartistes


La réforme institutionnelle en Corse divise les Bonapartistes
Le président Macron devant l'Assemblée corse, Ajaccio, 28 septembre 2023. A ses côtés, Gilles Simeoni et Marie-Antoinette Maupertuis © Raphael Lafargue/POOL/SIPA

Fin septembre, le président Emmanuel Macron a effectué un déplacement en Corse afin de lui proposer un nouveau statut d’autonomie. Cette réforme suscite un vif débat au sein des bonapartistes, certains étant attachés au principe de la République « une et indivisible », tandis que d’autres considèrent cette proposition avec intérêt. La terre natale de Napoléon Bonaparte se retrouve désormais au cœur d’une discussion complexe sur son identité politique et son avenir au sein de la France.


À Ajaccio, sur la place d’Austerlitz, une imposante statue en pied de l’Empereur Napoléon Ier se dresse fièrement, tournant son regard vers la ville où ce grand homme est né. Érigée sur le lieu-dit du Casone, c’est ici même que le jeune Bonaparte, fasciné par les héros de l’histoire, aurait rêvé de conquêtes et de gloire, sans se douter qu’il allait bientôt écrire lui-même les pages d’une épopée extraordinaire. Son destin, marqué par le courage et la détermination, reste gravé dans les annales de la France et le cœur des Français. Et ils sont encore nombreux à se réclamer de cet héritage bonapartiste sur l’île de Beauté.

Vers une autonomie corse au sein de la République

Le Comité Central Bonapartiste (CCB) a vu le jour au début du XXe siècle et s’est imposé rapidement sur la scène politique corse grâce à l’efficacité de Dominique Pugliesi-Conti, maire d’Ajaccio, qui porte la voix du mouvement jusqu’au Parlement entre 1910 et 1919. À l’époque, faute de prétendants au trône, exilés depuis le vote de la loi d’exil en 1886, le CCB commence à se détacher de ses liens dynastiques et se rapproche de la République tout en préservant la mémoire napoléonienne. Ainsi débute l’histoire de ce parti, étroitement liée aux tumultes de l’institution proclamée sur les cendres de la défaite de Sedan (1870). Le mouvement comptera parmi ses membres des personnalités politiques éminentes de la France, dont le nationaliste millionnaire François Coty, ancien orléaniste devenu un industriel réputé dans la parfumerie et les médias, Dominique Paoli, qui penchera progressivement vers le fascisme, Eugène Macchini et Antoine Sérafini, figures de la résistance bonapartiste face au nazisme, ou encore Marc Marcangeli, dernier maire CCB d’Ajaccio (1998-2001). Proche du général de Gaulle, le mouvement a même joué un rôle clef lors du putsch de 1958 et lors des festivités du bicentenaire de la naissance de Napoléon Ier en 1969, accueillant le prince Louis Napoléon et le président Georges Pompidou pour une cérémonie voulue grandiose par la République. À cette occasion, le président de la République surprend l’assistance en évoquant la possibilité d’accorder un statut d’autonomie à l’île, face à un CCB protecteur de « l’unité nationale forgée autour du drapeau et dans laquelle Napoléon a joué un rôle décisif ». 

Cinquante ans plus tard, ces paroles résonnent toujours dans l’esprit des Corses. Lors de sa visite à Ajaccio, le président Emmanuel Macron a exprimé son désir d’accomplir ce que ses prédécesseurs avaient fini par mettre de côté. Le 28 septembre, il a proposé à la Corse une « autonomie au sein de la République », qualifiant ce moment d’ « historique ». Il a souligné que cette proposition n’était ni pour ni contre l’État français, dans un discours prononcé à l’Assemblée de Corse, contrôlée par les nationalistes. Selon le président de la République, maintenir le statu quo serait un échec pour tous. Souhaitant se placer au-dessus de la mêlée politique, plaidant en faveur de l’intégration de l’autonomie corse dans la Constitution française, il a appelé les élus à avoir l’audace de construire une autonomie corse au sein de la République.

Politiquement ébranlés par le choix du prince Charles Bonaparte, qui a préféré se joindre à une liste de gauche pour obtenir un poste d’adjoint au maire d’Ajaccio (2001-2008), les Bonapartistes ont graduellement perdu leur influence sur l’île. Réorganisés sous la direction d’André Villanova depuis 2014, ils demeurent néanmoins présents et attentifs à la situation en Corse. Actuellement avec trois élus au Conseil municipal d’Ajaccio et un adjoint au maire (ils ont dirigé le département de la Corse-du-Sud de 2015 à 2018), le CCB a également accueilli Laurent Marcangeli dans ses rangs comme membre d’honneur. Ancien maire d’Ajaccio (2015-2022), il est passé des Républicains à Horizons dont il préside le groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Lors du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier (Ajaccio accueillera le prince Jean-Christophe Napoléon, actuel prétendant au trône impérial), il avait souligné, à juste titre, dans une interview donnée à l’AFP que les polémiques autour de Napoléon lui déplaisaient, « parce que, qu’on le veuille ou non, c’était la France qui gagne, qui progresse technologiquement et au niveau du droit, qui est conquérante dans un siècle de rebondissements, une histoire de réussite personnelle, un ascenseur social sans précédent ».

Un projet fragile

Une relation de circonstance entre le député et le CCB comme le résume André Villanova à Corse Matin. « Les élus du CCB ont de bons contacts avec la majorité (municipale-ndlr). Elle est disciplinée, mais elle est rassemblée parce que Laurent (Marcangeli, ndlr) nous a rassemblés en 2014 (…) » admet le président du CCB. Toutefois, il rappelle l’importance pour les Bonapartistes de préserver leur indépendance afin d’éviter d’être absorbés par d’autres partis politiques. La question de savoir si les Bonapartistes soutiennent la réforme institutionnelle divise profondément le CCB. Bien qu’une majorité semble soutenir la proposition présidentielle, certains ne cachent pas leur alignement sur la position de l’Appel au Peuple (AuP). Ce mouvement bonapartiste, nommé d’après la célèbre formation politique de la IIIe République, est principalement présent en France métropolitaine et compte également quelques élus. Du côté des Bonapartistes du continent, comme le disent les Corses, la réponse est assez claire. Ils condamnent tout changement institutionnel susceptible de fragiliser l’unité de la France et d’ouvrir la porte aux mouvances indépendantistes, qui revendiquent également des statuts d’autonomie, comme en Bretagne ou en Alsace. 

Le prince Joachim Murat, figure montante du Bonapartisme renaissant et descendant du célèbre maréchal d’Empire, a exprimé son point de vue sur la réforme proposée par le président Emmanuel Macron. Rappelant que la République est « une et indivisible », il pointe du doigt un projet fragile qui pourrait aboutir seulement si « la France présentait au moins un visage de stabilité et une identité nationale qui ne soit pas autant en déliquescence ». Il considère cette proposition comme tronquée et maladroite, une tentative d’apaisement précipitée en réponse à la vague de violence qui a suivi l’assassinat d’Yvan Colonna l’année dernière. Divergeant de la vision d’Emmanuel Macron, le prince Murat observe également que le président élu répond à un agenda purement européen, celui de l’Europe des Régions. D’après le prince Joachim Murat, membre de l’Appel au Peuple, ce projet d’autonomie a cependant peu de chances d’aboutir. Il estime qu’il est peu probable qu’un consensus soit atteint entre les diverses formations politiques de l’île et qu’il soit voté à la majorité à l’Assemblée nationale, le Sénat étant susceptible de le bloquer.

Force politique qui compte de nombreux soutiens, le bonapartisme peut jouer un rôle important dans ce débat, surtout si la population française doit se prononcer par référendum. Les partisans de ce mouvement défendent ardemment ce principe et cherchent un leader capable de les unir afin de les mener sur le chemin d’une autre épopée à écrire au nom de toutes les gloires de l’Empire et pour le salut de la France. 

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Journaliste , conférencier et historien.

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