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Mohammed VI, l’État c’est lui !

Suite au séisme, la population marocaine et les nombreux sans-abris dans la région de Marrakech sont suspendus à la parole du roi


Mohammed VI, l’État c’est lui !
Rabat, 9 septembre 2023 © Moroccan Royal Palace/AP/SIPA

Le Maroc a été frappé par un terrible tremblement de terre, vendredi. Révéré par ses sujets, le roi Mohammed VI, qui était à Paris, s’est porté immédiatement au chevet d’un royaume marocain étourdi par cette tragédie. Alors qu’il organise les secours, son silence étonne en Occident (silence vis-à-vis de son peuple… comme vis-à-vis de l’aide proposée par la France). Monarchie constitutionnelle, le pays de l’Atlas se présente comme une démocratie dans laquelle le souverain bénéficie de larges pouvoirs.


Roi démocrate, roi citoyen, roi des pauvres… Autant de qualificatifs qui caractérisent Mohammed VI. Monté sur le trône chérifien en juillet 1999, il a suscité tous les espoirs. Alors qu’il a beaucoup été dit que la lourde charge du pouvoir ne l’intéressait pas, il a su insuffler très rapidement un vent de modernité dans son royaume, et est parvenu à l’imposer diplomatiquement sur la scène africaine et internationale. Suivant les traces de son père, Hassan II (1929 -1999), avec lequel il a beaucoup appris, le souverain a su manœuvrer habilement lors du « Printemps arabe », en lâchant du lest tout en réduisant au silence toute contestation contre le pouvoir royal. Pour beaucoup, il est l’expression d’une « main de fer dans un gant de velours ». En décidant de modifier la constitution, en 2011, Mohammed VI a subtilement garanti la pérennité d’une monarchie dont la dynastie est indissociable de l’histoire du Maroc.

Décrets royaux

Jusqu’ici, le roi pouvait nommer le Premier ministre à sa guise, même si celui-ci n’était pas issu du parti majoritaire aux élections législatives. Désormais, Mohammed VI doit accepter les résultats du suffrage universel et désigner le vainqueur du scrutin à la tête du gouvernement. En apparence, l’institution royale a su s’adapter aux demandes de ses sujets. Mais dans la réalité, le Commandeur des Croyants contrôle toujours le gouvernement royal comme l’explique le journaliste Ahmed Benchemsi dans CAIRN. Le roi jouit de pouvoirs élargis, se réservant le droit de limoger les ministres qui ne satisfont pas aux règles de Rabat, où se situe le Palais royal. Mohammed VI n’influe pas sur les décisions prises par ses ministres même s’il est techniquement responsable devant les Marocains de toutes mesures qui seraient impopulaires. Si le gouvernement peut décider des lois, le monarque « sacré » (avec obligation de révérence, même si le baisemain tend à disparaître) peut aisément les contourner par des décrets royaux. Les députés ont bien toute latitude pour faire voter des lois, mais celles-ci doivent obtenir la signature royale pour être promulguées. Bénéficiant d’une immunité à vie (nul ne peut poursuivre le roi ou le critiquer sans encourir les foudres du monarque ou de son entourage), Mohammed VI peut passer outre les décisions des juges (dont il en nomme une partie et qu’il peut révoquer selon son bon vouloir) et accorder un droit de grâce. De quoi irriter l’opposition qui dénonce une monarchie démocratique de façade.

Pour autant, Mohammed VI reste un arbitre naturel pour la majorité des Marocains qui n’imaginent pas un seul instant se passer de la monarchie ni de ses spectacles chamarrés, organisés chaque année pour la fête du trône. Habile politique, Mohammed VI a su éviter des crises politiques à son royaume, et à ce que celui-ci ne tombe entre les mains des islamistes qu’il a réussi à éloigner du pouvoir au dernier scrutin électoral, en 2021, alors qu’il a été en conflit ouvert avec eux durant les dix années pendant lesquelles le Parti de la justice et du développement (PJD) a dirigé le pays. Bien que nul ne sache ce qui se passe réellement à l’intérieur du palais de Rabat tant la vie de la famille royale est un mystère et un fantasme pour tous, le fils du roi Hassan II reste très populaire. Il n’a pas hésité à se mêler à la foule pour participer à sa joie lorsque son pays a été qualifié pour la demi-finale de la CAN 2022, en dépit des inégalités sociales qui persistent. Lors du tremblement de terre qui a frappé la région de Marrakech dans la nuit de vendredi, les Marocains se sont donc tournés vers le roi, attendant qu’il prenne une décision face à cette tragédie qui a laissé des milliers de morts derrière elle. Un peu comme des enfants souhaitant que leur père règle une situation qui leur paraît inextricable. Un deuil de trois jours a été décrété. Alors en France depuis une semaine, pour raisons médicales, le sexagénaire souverain est rentré immédiatement à Rabat et a rassemblé un cabinet de crise dont la réunion a été retransmise à la télévision nationale, sans le son. Les Marocains ont dû se contenter d’un message laconique, défilant en bandeau : « Sa Majesté le roi a donné ses très hautes instructions en vue de poursuivre avec célérité les actions de secours menées sur le terrain ».

Abdellatif Hamouchi sonde le terrain

Au chevet de son pays, la parole du monarque est d’or. Ses décisions, aussi. Les Forces Armées Royales, les autorités locales, les services de l’ordre et des équipes de la protection civile ont été mobilisés et déployés sur le terrain afin de se porter au secours des sinistrés. Mohammed VI a ordonné que toutes les zones touchées par le tremblement de terre soient approvisionnées en eau potable, que des kits alimentaires, des tentes et des couvertures soient distribués au profit des sinistrés. Le puissant chef de la direction générale de la sureté nationale, Abdellatif Hamouchi, a été discrètement mandaté pour recueillir les griefs de la population… Dans la foulée, il a mis en place une commission interministérielle chargée du déploiement d’un programme d’urgence de réhabilitation et d’aide à la reconstruction des logements détruits au niveau des zones sinistrées, dans les meilleurs délais, exigé que les personnes en détresse, particulièrement les orphelins et les personnes vulnérables, celles sans abri, soient hébergées et approvisionnées en alimentations diverses (toutes les ONG locales ont reçu l’ordre de se mobiliser).

Loin des critiques de la presse internationale qui n’a eu de cesse de se demander où était Mohammed VI durant les 24 heures qui ont suivi la catastrophe, le roi a également fait appel au Royaume-Uni, à l’Espagne, au Qatar et aux Émirats arabes unis afin que ces quatre autres monarchies l’aident à surmonter les difficultés. Un choix qui a donc contrarié les autorités françaises, snobées devant le monde entier, alors que celles-ci n’ont eu de cesse de proposer un aide logistique. Un geste qui a confirmé aux yeux de tous les relations exécrables entretenues entre le souverain marocain et le président Emmanuel Macron depuis le début du premier quinquennat de ce dernier. Relations encore davantage ternies par l’affaire des écoutes du téléphone portable du président français, à l’aide du logiciel de surveillance israélien Pegasus. Quand Mohammed VI descend dans son hotel particulier de 1600 m2 de l’avenue Emile-Deschanel, près de la Tour Eiffel à Paris, il prend soin de ne pas prévenir l’Élysée… Le roi Mohammed VI ? L’État, c’est bien lui, et qu’on se le dise.




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Journaliste , conférencier et historien.

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