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Name-dropping n°3


Name-dropping n°3

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Nicolas Rey : Il y a un peu plus d’un an, nous avions mêlé dans un papier, Nicolas Bedos et Nicolas Rey. Depuis, Bedos fils, son BEP force de ventes à la boutonnière, a vanté partout sa Tête ailleurs, pavé à la langue boursouflée que tout le monde a acheté mais que personne n’a lu. À l’inverse, on a peu parlé de La beauté du geste, recueil de chroniques de Nicolas Rey publié au Diable Vauvert. Il n’est pas trop tard pour s’y plonger. Dans ce petit livre élégant, Rey est au meilleur de sa forme : vif, mélancolique, la plume caressante. Toute la délicatesse de style que Nicolas Bedos n’a pas, Rey la glisse entre chacune de ses lignes, au cœur de ses portraits. On pense à ses mots sur Marco Pantani, qui touchent. Il est parfait, aussi, dès qu’il confesse une actrice dans une chambre d’hôtel. Ses déambulations nocturnes, qu’il offrait à feu Zurban, ravivent enfin le souvenir de Jean-Michel Gravier et de « Elle court, elle court, la nuit », rubrique culte du Matin de Paris. Encore un journal disparu. La presse, décidément, va devenir le cimetière de nos plaisirs.

Nina Companeez : En 2014, soyons inactuels. Lisant l’excellent « Fidèle au poste » de Stéphane Hoffman, dans Le Figaro Magazine, on s’arrête sur un nom : Nina Companeez. Deux téléfilms sont (re)diffusés ces jours-ci : Voici venir l’orage et Le Général du Roi. Companeez, pour les sagas télévisées, c’est autre chose que José Dayan. Ce qui n’est pas étonnant. Ses classes, Nina les a faites auprès de Michel Deville, en tant que scénariste et dialoguiste. Pensant à Companeez, on a très envie de revoir trois chefs d’oeuvre du monde d’avant : Benjamin ou les mémoires d’un puceau, L’ours et la poupée et, plus que tout, Raphaël ou le débauché. Il y avait Piccoli et Deneuve, BB et Jean-Pierre Cassel, Maurice Ronet et Françoise Fabian. Il y avait de la légèreté et de la profondeur, des histoires et des sentiments. Tout ce qui nous plaît, comme nous plaisait le premier long-métrage réalisé par Nina Companeez : Faustine et le bel été, avec la lolitesque Muriel Catala. Qu’est devenue, d’ailleurs, Muriel Catala ? Elle manque à l’écran noir de nos nuits blanches.

Eric Rohmer : Muriel Catala aurait pu être une héroïne d’Eric Rohmer. Muriel à la plage ? Comme les charmantes Haydee Politoff, Amanda Langlet ou Laurence de Monaghan, elle se serait retrouvée dans l’hénaurme biographie, éditée chez Stock, que la doublette Antoine de Baecque/Noël Herpe a consacrée à Rohmer. On comprend qu’ils s’y soient mis à deux pour évoquer le cinéaste. De Baecque et Herpe ont travaillé au poids: plus de 600 pages. C’est, justement, la faiblesse de leur biographie. Il ne manque, bien sûr, aucun détail sur la vie, la mort et l’oeuvre de l’auteur de Ma nuit chez Maud. Mais, la lecture achevée, nous n’apprenons rien sur Rohmer, la délicatesse abrupte de son esprit et de son art. Pour saisir un artiste, le coucher sur la page blanche, on demande des écrivains. Les professeurs d’université De Baecque et Herpe, armés de plumes de plomb, se sont contentés de livrer un parpaing glacé, qui n’a pas le charme d’un Conte d’hiver. Rohmer méritait mieux qu’une bûche de Noël. Il méritait, par exemple, les mots de son ami Paul Gégauff. Ca tombe bien : c’est à lire dans le numéro 9 de Schnock. Sous le titre « Salut les coquins ! », Gégauff offre un festival de fusées stylées, oldscoules et vachardes sur la Nouvelle vague.

Solange Bied-Charreton : Chez Stock, heureusement, il n’y a pas que la lourdeur des professeurs. Il y a aussi Solange Bied-Charreton. Elle signe, après Enjoy en 2012, son deuxième roman : Nous sommes jeunes et fiers. On y retrouve, une nouvelle fois, son œil acéré sur les tristes temps où nous vivons. D’une langue précise, se jouant du lyrisme et d’une certaine sécheresse, Bied-Charreton ne laisse rien passer. En réactionnaire 2.0., elle réagit aux dérèglements d’une civilisation en faillite. Elle nous attache aux pas et aux éclats d’âme de ses personnages, Ivan et Noémie. On les suit, dans une histoire que Bied-Charreton mène pied au plancher, sans oublier le temps des respirations, ce dernier luxe. La révolution ? Vivre, tout simplement, selon ses beaux plaisirs.

Sébastien Lapaque : Parmi les nombreuses qualités de Sébastien Lapaque – entre autres, son amour des mots, du Brésil et des belles quilles descendues au Comptoir du Relais, chez son ami Yves Camdeborde : sa nostalgie très vivante des cartes postales. Se moquant des genres et des modes, il vient de transformer cette nostalgie en un mince volume d’une extrême élégance. Théorie de la carte postale est le livre le plus chic de janvier 2014 et du début d’année. On le lit, puis on le relit. On souligne des phrases, des pages. Qu’il évoque une escapade bretonne ou sa famille, qu’il flâne dans des bistrots de province ou qu’il imagine, après les avoir patiemment choisies sur un tourniquet, des cartes à rédiger, la liberté d’esprit et de style de Lapaque est totale. Avec lui, nous goûtons le plaisir d’envoyer nos mots décachetés à une amoureuse, une fille, des parents ou de lointains camarades. Et nous allons emprunter, longtemps, les sentiers les plus buissonniers, ceux qu’aimaient Aragon, Blondin et Toulet, salués dans les pages de Lapaque.

Paul-Jean Toulet : Il faut toujours revenir à Paul-Jean Toulet, le poète qui s’écrivait des lettres à lui-même. Il aimait l’alcool, les femmes et les paysages. Il a écrit le plus beau des romans, Mon amie Nane, sur une fille de joie et de mélancolie. Il est mort, usé par les excès, en 1920, juste avant que ses Contrerimes paraissent. Les Contrerimes : la poésie française dans toute sa délicate splendeur. « En Arles », notamment, est à apprendre par cœur, à se réciter sans fin les jours d’hiver : « Dans Arles, où sont les Aliscams,/ Quand l’ombre est rouge, sous les roses, /Et clair le temps, / Prends garde à la douceur des choses, / Lorsque tu sens battre sans cause / Ton coeur trop lourd, / Et que se taisent les colombes: / Parle tout bas si c’est d’amour, / Au bord des tombes. » De Toulet, ces jours-ci, lire le Carnet d’Indochine, chronique d’un long voyage en compagnie de Curnonsky, « le prince des gastronomes ». C’est exotique, enlevé, brillant et c’est édité chez Nicolas Chaudin.

Julien Doré : Un chanteur qui a aimé Marina Hands, s’est fait tatouer Jean d’Ormesson sur le bras et a joué dans Ensemble nous allons vivre une très très belle histoire d’amour, de Pascal Thomas, ne peut pas être mauvais. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Love, son nouvel album. Il y a des chansons d’amour et des chansons de rupture, des chansons à danser et des chansons à écouter, silencieusement, au cœur de la nuit. Nos titres préférés : Paris-Seychelles, Hôtel Thérèse et Corbeau blanc. La musique touche ; les textes sont de qualité. Une reprise bluesy et poignante de Femme like U, écoutable ici et là, achève de nous enchanter. Ne pas s’y tromper : « La plus jolie fille de la ville », en fumant des winston bleue, l’écoute en boucle.



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Arnaud Le Guern est est né en 1976. Ecrivain, il vient de faire paraître Du soufre au coeur (Editions Alphée)

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