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Israël: meurtre de la démocratie ou destitution du peuple?

En Israël, à droite toute


Israël: meurtre de la démocratie ou destitution du peuple?
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu à la Knesset, Jéruslamem, 29 décembre 2022 © AMIR COHEN / POOL / AFP

La presse progressiste voit dans la nouvelle coalition de droite dirigée par Benjamin Netanyahu, aux responsabilités depuis la semaine dernière, une grave menace contre la démocratie. En réalité, dans le conflit global entre progressistes et souverainistes, les seconds ne manquent pas d’arguments, en Israël, dans leur volonté de réformer et maitriser le pouvoir judiciaire. Analyse.


Le gouvernement de Benjamin Netanyahu n’a pas commencé de gouverner que la presse de gauche en France, en Israël et aux États-Unis a entrepris de le vilipender, et à chaque fois dans les mêmes termes. Pour Courrier International, il s’agit d’une « alliance de voyous ». Dans Le Monde, Clothilde Mraffko a fulminé contre « la nouvelle coalition (qui) fait la part belle aux suprémacistes juifs et aux ultraorthodoxes [1] ». Dans Haaretz, Aluf Benn écrit que la coalition de Benjamin Netanyahu est « raciste, religieuse et autoritaire… (qu’elle) prêche la suprématie juive et considère sa petite minorité arabe comme une menace démographique et une communauté de criminels [2] ». Sur un ton moins violent, Isabel Kershner du New York Times a titré sur « la ligne dure » de la coalition de droite et a souligné dès le premier paragraphe que cette « administration de droite et religieusement conservatrice (représentait) un défi important pour le pays sur la scène mondiale ».

Perdre des élections n’est pas la fin de la démocratie

Dans son discours d’investiture à la Knesset, Benjamin Netanyahu a répondu par une remarque ironique. « J’entends l’opposition constamment se lamenter sur « la fin du pays » et « la fin de la démocratie ». Perdre les élections n’est pas la fin de la démocratie, c’est l’essence même de la démocratie » a-t-il plaisanté. Cette moquerie de Benjamin Netanyahu n’a pas fait rire à gauche. Les progressistes (et les médias progressistes) qui sont de mauvais perdants croient et pensent que Netanyahu et sa coalition sont par essence illégitimes. Peu importe qu’ils soient élus et majoritaires. 

Gayil Talshir, professeure à l’Université hébraïque de Jérusalem a ainsi accusé Netanyahu dans Le Monde de « politiser toutes les nominations des hauts responsables dans le secteur public » et de « démanteler les médias publics. Il veut les privatiser, (…) les faire fermer. Il va abîmer tous les garde-fous de la démocratie israélienne [3]. » Pour la gauche, la haute administration, les médias de service public et la justice sont les fondements du seul ordre démocratique possible, alors que pour la droite qui arrive au pouvoir, ces institutions ont toutes abusé de leurs pouvoirs. Quand l’establishment crie au meurtre de la démocratie, la droite hurle à la destitution du peuple par l’élite administrative et institutionnelle.

Le Wall Street Journal a bien compris qu’en Israël, un conflit oppose les élus au « deep state », c’est-à-dire aux non-élus. Le 27 décembre, le journal des affaires américain a tendu le micro [4] aux « hauts responsables israéliens » et à fait part de leurs craintes de voir soudain une réforme qui rendrait aux « élus une plus grande autorité sur l’application des lois ». Qui sont ces « hauts responsables » ? Des personnalités « non élues » précise le Journal comme « le procureur général et le chef de la police d’Israël ». Ce sont ces mêmes procureur et chef de la police qui ont favorisé la mise en examen de Benjamin Netanyahu pour corruption. 

Le pouvoir de la Cour suprême en question

Les projets de réforme de la Cour suprême sont un bon exemple de cette guerre qui oppose la gauche et la droite en Israël. De l’extérieur, la Cour suprême israélienne est perçue comme l’ « une des meilleurs du monde » selon l’expression d’Alan Dershowitz, professeur de droit à Harvard. Mais en réalité, cette institution est aujourd’hui largement discréditée. En 2020, une enquête de l’Israel Democracy Index [5], a révélé une perte de confiance de la population envers la Cour suprême. La désaffection a commencé à droite. En 2005, les électeurs de droite ont été écœurés de voir que la Cour suprême ne levait pas le petit doigt pour protéger les droits des colons juifs que l’armée israélienne avait évacué de force de la bande de Gaza. La désaffection à droite s’est accentuée ensuite sur le constat que les magistrats de la Cour suprême défendaient systématiquement les droits des minorités au détriment des intérêts de la nation. Mais entre juin et octobre 2020, la baisse de confiance a touché les électeurs de gauche (de l’ordre de 15 points). Ceux-ci n’ont pas supporté que la Cour suprême laisse passer la loi affirmant qu’Israël est l’État-Nation du peuple juif ni qu’elle laisse Netanyahu former un gouvernement après ses multiples mises en examen. 

En décembre 2022, une étude de l’Université hébraïque de Jérusalem publiée par Israel Hayom a révélé une baisse de la confiance de 30% dans la Cour suprême. Lorsque les chercheurs ont comparé les données israéliennes à celles des 40 autres pays enquêtés, ils ont découvert que la même crise de confiance existait ailleurs, mais qu’en Israël, elle était environ 10% plus accentuée que dans tous les autres pays. 

La droite récemment élue souhaite donc réformer la Cour suprême. Certains souhaitent que le Parlement ait le pouvoir d’outrepasser une décision de la Cour suprême. D’autres entendent limiter son champ de compétences. Comme le remarque Avi Bell, professeur de droit à Bar Ilan University, le problème est que la Cour suprême a pris l’habitude de s’ingérer dans la vie politique au quotidien. « Quand la Cour supprime la loi qui autorise une entreprise privée à construire une prison, quand elle exempte les yeshivas (écoles religieuses) de taxes, ou quand elle supprime l’accès des indigents aux aides sociales parce que ces indigents possèdent une voiture… ce sont des décisions politiques » explique-t-il. David Peter, avocat, membre d’un centre de recherche intitulé Kohelet, critique le rôle de la Cour suprême en matière d’immigration [6]. « Le président de la Cour suprême détermine quels juges instruiront les dossiers des demandeurs d’asile. À ce jour, 96% des recours administratifs ont été acheminés vers deux juges spécifiques. Cela crée un parti pris qui ne devrait pas être autorisé et est mené sans l’implication de la Knesset » écrit-il. La crise de confiance dans les institutions est au cœur de la crise des démocraties occidentales. Et on le voit: la réponse que les Israéliens apporteront à cette question intéresse tous les occidentaux.  


[1] « En Israël, Benyamin Nétanyahou présente un gouvernement qui installe l’extrême droite au pouvoir », Le Monde, le 29 décembre 2022

[2] « This Is Netanyahu’s Dream State: Racist, Religious and Authoritarian », Haaretz (in english), le 29 décembre 2022

[3] Cité in « En Israël, Benyamin Nétanyahou présente un gouvernement qui installe l’extrême droite au pouvoir », Le Monde, le 29 décembre 2022

[4] « Israeli Officials Condemn Netanyahu’s Coalition Deals With Far Right », The Wall Street Journal, le 27 décembre 2022

[5] https://en.idi.org.il/publications/33424

[6] https://en.kohelet.org.il/publication/new-policy-paper-israels-failing-immigration-policy




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