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Quel souvenir pour la guerre d’Indochine ?

Qui connaît vraiment l'histoire de la guerre d'Indochine ?


Quel souvenir pour la guerre d’Indochine ?
Deux soldats de l'armée franco-indochinoise brandissant leurs armes derrière un point fortifié de sacs de sable, alors qu'ils combattent les forces communistes du Viet Minh, 24 janvier 1947 / AP / SIPA

Connaît-on vraiment la guerre d’Indochine ? Connaît-on ceux qui l’ont faite ? Un dictionnaire de cette guerre, publiée il y a un an, fait la lumière sur un conflit que les Français semblent avoir oublié.


Nous sommes le 26 juin 1994. Un homme droit et fier, aux traits marqués, dépose une gerbe au bas d’un monument isolé dans la cuvette de Diên Biên Phu. Ce monument, il l’a construit de ses propres mains, sur un lopin de terre qu’il a acheté de ses seuls moyens et avec des matériaux qu’il a payés et traînés dans un camion sur une ancienne route coloniale. Rolf Rodel, ce bâtisseur comme tant d’autres légionnaires, ancien survivant de la bataille sanglante qui s’était déroulée en ces lieux, est entouré de Vietnamiens. Il y a même quelques dignitaires venus rendre un hommage solennel à leurs ennemis d’autrefois. Malgré cet entourage, il est seul, en quelque sorte, puisqu’à l’inauguration de ce monument aux morts français – le seul et l’unique en ces parages –, aucun représentant français ne s’est déplacé pour honorer ce sacrifice. C’est donc Rodel lui-même, avec le président de la province vietnamienne, qui devra couper le ruban bleu, blanc et rouge.

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Encore aujourd’hui, à l’exception de quelques mentions dans les journaux un 7 mai pour commémorer la bataille de Diên Biên Phu – heureusement que Schoendoerffer en a fait un chef d’œuvre au cinéma –, l’on dirait que la guerre d’Indochine (1946-1954) est restée figée dans cette éternelle parenthèse de la mémoire. Coincée entre la Deuxième Guerre mondiale où la France en sortit victorieuse aux côtés des Alliés, puis la guerre d’Algérie où elle en sortit décidément moins vaillante, c’est à peine si, en 1954 ou en 2022, l’on sait définir ce conflit qu’on a rarement cherché à comprendre. 

« Une stérilité nationale qui est le résultat d’un État qui jongle et qui hésite »

Salutairement, La guerre d’Indochine. Dictionnaire, paru chez Perrin avec le soutien du ministère des Armées, ainsi que la participation d’une cinquantaine de chercheurs civils et militaires sous la direction d’Ivan Cadeau, François Cochet et Rémy Porte, traite de front notre question : quel était le but de la guerre d’Indochine ? Était-ce par exemple une tentative de recolonisation, ou bien une lutte comme tant d’autres à cette époque contre l’idéologie du communisme ? Le lecteur demeure frappé par cette France qui n’a pas su accoucher d’une idéologie positive pouvant s’opposer à celle de ses ennemis, comme le soulignait en 1955 le capitaine Prestat. Une stérilité nationale qui est le résultat d’un État qui jongle et qui hésite. Face à l’absence de stratégies à long terme, on comprend que les troupes souffrirent moralement, aussi, devant le haussement d’épaules du peuple. 

Le principal coupable désigné par l’opinion publique, cependant, n’étant ni le communiste du Viêt Minh ni l’État français désaxé, se trouvait incarné par l’Armée française. Ce blâme peut raisonnablement expliquer une part de la défaite si l’on considère que l’antimilitarisme du PCF joignait, en une combinaison fatale, la trahison d’une élite politique à l’hostile indifférence du public. L’arrivée des communistes aux hautes fonctions de l’État à la fin de la Seconde Guerre mondiale absorbe tout le discours, si ce n’est pour aussi trahir à l’occasion les intérêts de la nation en fournissant des informations secrètes à l’ennemi.

On découvre également, dans des faits rarement mis de l’avant, l’ampleur de la complaisance de l’État et de ceux qui se proclamèrent « défenseurs des droits de l’homme ». En pleine guerre, les camps de prisonniers ne faisaient pas trop pour cacher leur taux de mortalité de 42% (le Dictionnaire nous indique habilement qu’à titre de comparaison, « les prisonniers de guerre français en Allemagne entre 1940 et 1945 comptent moins de 5% de morts »). Encore, on souligne que sur les 9000 prisonniers de Diên Biên Phu, 3000 seulement revinrent vivants après trois mois d’emprisonnement. Au moyen d’une hypocrisie qui ne nous étonne plus, le PCF – dont certains de ses militants, comme Georges Boudarel, servirent l’ennemi et participèrent à la torture des soldats français prisonniers – régnait tout en dénonçant les « crimes du colonialisme ». 

Le Dictionnaire des légendes

Le Dictionnaire éclaircit et dénonce comme il se doit, mais il élève aussi comme il le faut à travers les nombreux portraits des hommes et des femmes héroïques et, pour plusieurs, devenus légendaires. Citons entre autres Claude Barrès, petit-fils de Maurice Barrès ayant d’abord passé par les Forces françaises libres et qui sera tué plus tard en Algérie ; Erwan Bergot, écrivain militaire couronné par l’Académie française qui survécut au supplice d’une marche à la mort vers les camps du Viêt Minh ; Marcel Bigeard, le mythique, qui repoussa trois assauts ennemis ; Gabriel Brunet de Sairigné, Compagnon de la Libération et commandant de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère, qui sera tué lors d’une embuscade.

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Le Dictionnaire révèle aussi ces grands hommes méconnus ou oubliés. Faisons renaître le souvenir de Paul Brunbrouck qui, à deux reprises et sans espoir de renforts, refusa de se replier face aux assauts à Diên Biên Phu. On lui prêtera ces nobles paroles, « Pour moi, France n’est pas un vain mot, et ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort ». Qui se souvient d’Hervé Burgens de Broca, cet ancien combattant de la Grande Guerre qui rejoignit Vichy et, après une condamnation à mort, choisit la Légion étrangère pour y devenir une de ses plus illustres figures en Indochine ? Il y laissera sa vie, ayant largement réparé ses fautes passées. Enfin, le Dictionnaire nous rappelle également ces Vietnamiens qui, amoureux de leur nation, rallièrent la France face aux communistes. À ce titre, ne laissons pas sombrer dans l’anonymat le prince Vinh San ; d’abord révolté dans sa jeunesse contre la colonisation de son pays, il finit par s’engager dans la Résistance – la « voie de l’honneur » –, et ensuite dans l’Armée française en tant que caporal. Envoyé spécial du général de Gaulle en Indochine afin de calmer les tensions, il périt dans un accident d’avion.

Après avoir refermé le Dictionnaire, l’on retient particulièrement le portrait saisissant de Hélie de Saint Marc, au nom déjà célèbre. Cet homme qui aura fait la Résistance et qui aura survécu à l’arrestation et à la déportation aux mains des nazis, compara très justement, suivant le traumatisme indochinois, le destin des Vietnamiens fidèles à la France à celui des Harkis. Que l’on ne s’étonne pas, alors, de sa digne défense face au tribunal à la suite du Putsch des généraux, effaçant l’humiliation subie par l’Armée française quelques années plus tôt. 

La guerre d’Indochine. Dictionnaire, sous la direction d’Ivan Cadeau, François Cochet et Rémy Porte, Perrin, 2021, 950 pages.

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Chercheuse québécoise en histoire et littérature militaires françaises, Mélanie Courtemanche-Dancause collabore au magazine "L’Incorrect".

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