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Qui a tué les prisonniers de guerre ukrainiens?

Russes et Ukrainiens se renvoient la responsabilité


Qui a tué les prisonniers de guerre ukrainiens?
Le centre de rétention pour prisonniers de Olenivka, 29 juillet 2022 © Vadim Belozertsev/TASS/Sipa USA/SIPA

Russes et Ukrainiens se renvoient les responsabilités du massacre de la prison d’Olenivka. La thèse russe, assez invraisemblable, affirme que Kiev a abattu des «nazis», trop compromettants.


Vendredi 29 juillet, tôt au matin, des explosions détruisent un bâtiment de la colonie pénitentiaire d’Olenivka (sud de Donetsk), à 15 km de la ligne de front, dans une zone occupée par la Russie. Selon les autorités russes, l’explosion a tué 53 prisonniers et en a blessé 75 autres.

Dans cette colonie pénitentiaire sont détenus depuis mai plusieurs centaines de militaires ukrainiens, faits prisonniers lors de la reddition de l’usine sidérurgique d’Azovstal, à Marioupol. Cette unité s’est distinguée dans la bataille de Marioupol, où nombre de ses hommes ont fini par se rendre aux forces russes après trois mois de siège.

Dès que les nouvelles du massacre ont été connues, Moscou et Kiev ont commencé à se rejeter mutuellement la responsabilité.

Le régiment Azov classé «terroriste» par la Russie

Selon les Russes, les soldats du régiment Azov sont des nazis. Et, en effet, au-delà des déclarations officielles et des affirmations et postures médiatiques russes, la Cour suprême russe vient de décider de classer le régiment Azov comme un « groupe terroriste ». Cette décision va très probablement priver les soldats du régiment Azov de la protection accordée par la Convention de Genève. Si les origines de cette unité, fondée en 2014, au début de la guerre contre les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine, par des militants ultranationalistes, s’inscrivent sans nul doute dans une tradition et une culture néonazies, le régiment est depuis devenu une unité régulière intégrée à la Garde nationale ukrainienne.

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Des responsables de la République populaire de Donetsk avaient déjà déclaré, juste après la capture de ces défenseurs de Marioupol, que, selon les lois de cette république autoproclamée, ils étaient passibles de la peine de mort. Le soir du massacre, vendredi 29 juillet, c’est le compte Twitter de l’ambassade de la Russie à Londres qui poussait le bouchon encore un peu loin, avec un message rappelant les unes de la Pravda 1941-1945 : « Les combattants d’Azov méritent d’être exécutés, mais pas par un peloton d’exécution, par pendaison. Ce ne sont pas de vrais soldats. Ils méritent une mort humiliante » !

Un point de dispute capital pour justifier la guerre de la Russie

Ainsi, pour l’Ukraine, la Russie avait décidé de les exécuter : l’Ukraine estime que la Russie cite régulièrement les origines du régiment comme la preuve et l’illustration du fait que l’Ukraine serait contrôlée par des nazis, et donc que la guerre lancée par les Russes est dans la continuité historique et morale de la Seconde Guerre mondiale. Le massacre n’est donc que l’aboutissement de ce processus.

Et, pour joindre l’utile à l’agréable, comme dans l’affaire du massacre de Katyń en Pologne en 1940, Moscou accuse l’Ukraine d’en être responsable ! On connaît le phénomène : quiconque ne reconnait pas immédiatement sa responsabilité, sème le doute, qui reste quoi que l’on fasse ensuite, au moins le temps que l’affaire soit chassée par une autre, exactement comme dans l’affaire de l’avion civil abattu par les forces séparatistes pendant l’été 2014 (Une enquête du parquet néerlandais affirme que le projectile ayant détruit le Boeing assurant le Vol MH17 de Malaysia Airlines a été tiré depuis un territoire contrôlé par les prorusses, et que le système de tir aux mains des rebelles était venu de Russie, et y est ensuite retourné). 

Dans l’affaire qui nous occupe, quel est le narratif russe ? Les réactions immédiates ont mis en avant l’appartenance au régime Azov des prisonniers tués. Dès vendredi, le commentateur de la chaîne de télévision Russia-1 a ainsi immédiatement rappelé que « les victimes sont pour l’essentiel des nazis du régiment Azov ». À partir de ce constat, ila avancé que « le régime de Kiev tente probablement d’effacer la responsabilité de ses crimes sanguinaires, parce que de nombreux criminels qui terrorisaient le Donbass avaient commencé à collaborer avec les enquêteurs » dans la prison.

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Et, en effet, des médias russes ont diffusé des aveux de prisonniers de guerre ukrainiens d’Azovstal appartenant à différentes unités, et témoignant contre leurs camarades d’armes du régiment Azov. Ainsi, la thèse russe est la suivante : après deux mois entre leurs mains, les prisonniers commençaient à « balancer » et à apporter des preuves de ce que les Russes soutiennent depuis toujours : à savoir, que Moscou combat des nazis et des criminels de guerre. Et Kiev a donc décidé d’utiliser son arme la plus importante et emblématique du moment, le HIMARS (High Mobility Artillery Rocket System), un lance-roquettes de longue portée d’une très grande précision, pour liquider ces trublions devenus trop gênants !

Une thèse invraisemblable

L’information disponible et son analyse tendent cependant à crédibiliser la version ukrainienne des faits, c’est-à-dire que les forces russes et leurs auxiliaires seraient vraisemblablement responsables de la mort de 53 prisonniers de guerre ukrainiens. Deux sources américaines anonymes ont confirmé lundi 1er août au média américain Politico qu’aucune trace d’impacts de roquettes d’artillerie HIMARS n’a été trouvée sur le site de la prison. Les images satellite du site indiquent qu’un seul bâtiment a été touché, que les murs de ce bâtiment ne se sont pas effondrés et qu’il n’existe pas de cratères typiques d’impact des roquettes dans les environs. En conséquence il est fort probable que la destruction du bâtiment ait été le résultat soit d’une frappe de précision, soit d’une charge placée à l’intérieur. Il est en outre très improbable qu’une telle opération soit menée par Kiev sans que ses alliés ne le sachent.

Mais au-delà de ces preuves matérielles (ou plutôt de leur absence), la thèse russe est surtout invraisemblable. Si les prisonniers commençaient à parler et à révéler des choses compromettantes pour Kiev, pourquoi ne pas dire alors qu’il s’agit d’aveux extorqués sous la pression ? Et, si on souhaite faire taire des balances, pourquoi choisir un modus operandi qui laisse les trois quarts en vie ? Il aurait mieux fallu dans ce cas raser la prison intégralement et méthodiquement… Enfin, les HIMARS et leurs munitions de grande précision sont d’une telle importance stratégique pour Kiev que les dépenser pour résoudre un soi-disant problème de communication qui est donc par ailleurs facile à gérer autrement semble être non seulement bête mais presque impossible, car les Américains ont leur nez dans tout ce qui touche à ces précieux systèmes. Si on ajoute la mise hors-la-loi assez systématique de ces militaires ukrainiens capturés à Azovstal, et la provenance des appels à les tuer, il ne reste en réalité plus beaucoup de doutes quant aux véritables responsabilités du massacre.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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