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Cancel Kultur sur tous les fronts de la guerre en Ukraine

Le plus célèbre réalisateur ukrainien cancelé pour cosmopolitisme


Cancel Kultur sur tous les fronts de la guerre en Ukraine
Sergei Loznitsa (en costume au miilieu) lors de la 71e édition du Festival de Cannes, en mai 2018, pour la présentation du film"Donbass" qui évoque le conflit, qui depuis 2014, oppose les séparatistes pro-russes au gouvernement ukrainien © James Gourley /Shutterst /SIPA

Le cinéaste ukrainien Sergei Loznitsa a été exclu, en mars, de l’Académie cinématographique ukrainienne. Alors que le pays est attaqué par la Russie, son «cosmopolitisme» et son «manque de loyauté» lui sont reprochés…


Combien y a-t-il de réalisateurs ukrainiens célèbres en France ? Les cinéphiles en connaissent au moins un : Serhiy Loznitsa, connu sous le prénom russisé de Sergei. Il a reçu, en Ukraine, l’équivalent des Oscars à six reprises ainsi que l’Œil d’or en 2021 (le prix du documentaire décerné chaque année au Festival de Cannes, récompense remise par la Société civile des auteurs multimédia).

Bien que nul média français ne l’ait évoqué, le 18 mars 2022, Serhiy/Sergei s’est retrouvé à nouveau, sous les feux de la rampe. Cette fois, ce n’était pas pour recevoir une récompense, mais pour se faire exclure de l’Académie ukrainienne du cinéma.

La raison invoquée étant un festival français des films russes et ukrainiens, il est probable que nous soyons également coupables, ou au moins complices : il n’y a pas de fumée sans feu !

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Pourtant, la France est devenue un pays convenablement woke, où l’on voit, pense et parle en politiquement correct dans le texte. Nous cochons toutes les cases de l’inclusion et en répétons tous les poncifs : les Noirs sont gentils, les Blancs méchants, les LGBT sont victimes, les hérétos normatifs, les Russes sont tous des assassins et les Ukrainiens des anges.

Sergei Loznitsa est Ukrainien : cherchez l’erreur ! Après l’avoir exclu, l’Académie ukrainienne a demandé qu’on le « cancelle », selon une tradition locale éprouvée. Les médias français n’en ont pas parlé : l’ukrainolâtrie ambiante interdit de mentionner les procédés staliniens de la nation martyre, nécessairement parfaite.

Nul n’est prophète en son pays

Loznitsa a commis les crimes de nuance, de complexité et d’intelligence. D’où son exclusion syndicale à perpétuité : « Le réalisateur Serhiy Loznytsa a souligné à plusieurs reprises qu’il se considère comme un cosmopolite, « un homme du monde ». Cependant, aujourd’hui, alors que l’Ukraine lutte pour défendre son indépendance, le concept clé dans la rhétorique de chaque Ukrainien devrait être son identité nationale. Il ne peut y avoir de compromis ou de demi-teintes ici. En outre, les films de Serhiy Loznytsa ont récemment été inclus dans le programme du festival du film russe de la ville française de Nantes, intitulé « De Lviv à l’Oural ». Dans le contexte de la guerre sanglante à grande échelle que la Russie a déclenchée, c’est tout à fait inacceptable. Nous en appelons à la communauté mondiale en lui demandant de ne pas considérer Serhiy Loznytsa comme un représentant de la sphère culturelle ukrainienne.[1] »

Sous Staline, « cosmopolite » est le terme qui servait à condamner les Juifs en blouses blanches, pendant qu’aux États-Unis, Mc Carthy les emprisonnait pour communisme.

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Loznytsa s’est revendiqué « citoyen du monde », a déclaré qu’il ne représentait pas l’Ukraine, mais ses propres idées et que cette édition du festival Univerciné de Nantes ne s’appelait pas « De Lviv à l’Oural », au sous-entendu impérialiste, mais « entre Lviv et l’Oural », impliquant la diversité. Et il a cancelé le verdict de l’Académie en s’affirmant ad vitam æternam réalisateur ukrainien. « En s’élevant contre le cosmopolitisme, les « académiciens » ukrainiens reprennent ce même discours inventé par Staline, fondé sur la haine, la négation de la liberté d’expression, prônant la culpabilité collective et interdisant toute manifestation d’individualisme et de choix individuel.[2] »

Le contexte ukrainien

De mauvais esprits (synonymes : « des juifs parano ») insinuent que l’exclusion syndicale sanctionne, en réalité, le dernier documentaire du cinéaste : Babi Yar. Context, à base de films d’archives et d’interviews, montrant le meurtre de 33 771 Juifs tués, les 29 et 30 septembre 1941, par un commando de l’occupant allemand, aidé de deux bataillons de la police ukrainienne, sans la moindre protestation de la population locale. De Babyn Yar non plus, on ne parle pas en France, malgré son Prix cannois. Sergei Loznytsa estime que la mission du cinéaste est de dire toute la vérité, sans fard, aussi choisit-il les thèmes les plus douloureux de la mémoire soviétique.

Pas étonnant qu’il ne soit pas populaire en France, un pays soviétique dans l’âme de ses élites, où un admirateur de Cuba, inspiré par le gouvernement du Venezuela, espère devenir Premier ministre !


[1] https://businessdoceurope.com/sergei-loznitsa-excluded-from-ukrainian-film-academy-loznitsas-response/

[2] https://www.vulture.com/2022/04/sergei-loznitsa-on-the-absurd-boycott-of-russian-films.html




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essayiste, conférencière, traductrice, auteur de plus de 30 ouvrages, dont plusieurs sur les conflits du Moyen-Orient

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