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Grandir au temps du communisme

Des souvenirs rafraîchissants…


Grandir au temps du communisme
(c) Krasnogorsk

Née dans la Pologne du socialisme réel, Paulina Dalmayer raconte son passé d’écolière modèle, entre rire et discipline.


Masques à gaz et troc de marchandises

Dans « La Guerre des mondes », il est question de la course aux armements, de la menace de l’arme nucléaire, de l’équilibre de la terreur, de Staline et de Khrouchtchev, donc en somme, de ce qui formait l’expérience sensible de chaque citoyen d’un pays satellite de l’Union soviétique, mais qui pouvait être ignoré par ceux qui avaient la chance de peupler le monde libre.

« Il n’y a qu’un seul communiste en Pologne, mais, comme nul ne le connaît, il faut se méfier de tout le monde », disait une vieille blague qui circulait dans mon pays avant la chute du mur de Berlin. Nés sous le Premier secrétaire du Parti ouvrier Edward Gierek, fort apprécié en raison des cargaisons d’oranges et de bananes qu’il faisait venir de Cuba, élargissant ainsi notre palette gustative au-delà de l’imaginable, nous étions entraînés à l’éventualité d’une attaque nucléaire impérialiste.

Des masques à gaz, pas toujours opérationnels, nous étaient distribués en classe. On nous apprenait, en même temps que la géographie des pays voisins (dont aucun n’existe plus), qu’il ne faut jamais regarder en direction de l’explosion… Enfin, c’était confus : après l’instauration de l’état de guerre en Pologne, en 1981, les adultes craignaient plutôt une invasion soviétique. Certes, à l’école, les cérémonies en l’honneur de Lénine nous mobilisaient dès sept heures du matin, tandis que les cours d’« éducation civique », censés nous inculquer la discipline militaire, distrayaient nos après-midi.

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Le soir, les deux chaînes de la télévision d’État maintenaient en état d’alerte l’esprit guerrier de la nation : tantôt nous dînions devant « Le Pari plus grand que la vie », une série assez subversive, qui mettait en scène un super agent polonais au sein de l’Abwher, tantôt devant « Les Quatre Tankistes et le chien », bien plus docte, sur la fraternité entre soldats polonais et soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cristal contre coton

Aux alentours de 1987, les préadolescents que nous étions alors n’y croyaient plus. Il fallait néanmoins encore défiler le 1er-Mai, et agiter gaiement de petits drapeaux rouges sous le nez des dignitaires du Parti, lesquels bâillaient sans retenue à la tribune. En visite chez les pionniers de la DDR, dans un camp situé à proximité de Postdam, nous avons compris notre chance relative de vivre en Pologne. Nos camarades allemands – avec qui nous échangions en russe, langue imposée aux élèves de l’un comme de l’autre côté de l’Oder – semblaient lobotomisés par le système. Si, pour nous, le scoutisme était un moyen de sortir du pays et, accessoirement, d’échanger nos vases en cristal contre leurs culottes en coton), pour eux, l’affaire patriotique restait sérieuse.

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Au son de marches militaires diffusées par haut-parleurs, des bus nous transportaient à Berlin pour une visite de la ville. Mais je n’ai vu le mur qu’après sa chute, en 1990, à l’occasion du concert des Pink Floyd. Pour conclure, Roger Waters chantait Goodbye Cruel World. Je suis partie précipitamment, parce qu’en Pologne, la crainte que les chars soviétiques ne s’attardent chez nous après leur retrait d’Allemagne de l’Est n’avait rien d’anecdotique.

C’est seulement en 2004 que les Européens de l’Est ont fêté la vraie fin de la guerre froide. À nos yeux, l’élargissement de l’Union européenne a définitivement mis fin aux accords de Yalta.

Novembre 2019 - Causeur #73

Article extrait du Magazine Causeur




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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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