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«L’essence de mon métier, c’est le secret»

Entretien avec Patricia Balme


«L’essence de mon métier, c’est le secret»
Patricia Balme et Nicolas Sarkozy, 22 mars 2022 au Sénat © Julio Piatti

La communicante, qui a reçu les insignes d’Officier de la Légion d’Honneur le 22 mars au Sénat, l’affirme sans ambages : selon elle, la politique est un théâtre !


Patricia Balme s’est occupée entre autres par le passé de la communication de femmes telles que Michèle Alliot-Marie, Isabelle Debré mais aussi de Renaud Dutreil au ministère des PME. Par ailleurs, c’est aussi une proche de Nicolas Sarkozy. À la veille de l’élection présidentielle, elle analyse avec Jeremy Stubbs les fortunes variées de nos candidats. Elle examine les erreurs de Valérie Pécresse pendant la campagne, reconnait à Éric Zemmour le talent d’avoir obligé tout le monde à s’emparer du sujet de l’immigration et affirme que les observateurs doivent reconnaître que Marine Le Pen a gagné en authenticité depuis cinq ans.


Causeur. Comment définissez-vous le rôle de la communication politique et quelle serait votre réponse à ceux qui minimisent son importance – il y a cette expression qu’on entend de temps en temps :  « ce n’est que de la com’ ! » ?

Patricia Balme. La communication politique porte sur l’image d’un ou d’une politique, bien sûr, mais elle ne consiste pas à dire uniquement qu’il faut mettre une cravate rouge ou bleue. Je conçois ce métier de la manière suivante : nous sommes des metteurs en scène, car la politique est un théâtre. D’ailleurs, l’image du métier a évolué. Quand j’ai commencé, les politiques ne voulaient pas admettre qu’ils avaient un communicant, parce qu’ils craignaient qu’on les prenne pour des hommes inauthentiques, ce qui est faux. Les communicants ne prétendent pas changer la personnalité de leurs clients, mais la corriger, gommer des choses, l’améliorer. Tout a changé notamment avec Séguéla et Mitterrand. Séguéla a fait limer les dents de Mitterrand qui étaient trop pointues, et il a trouvé son slogan : « La force tranquille ». À partir de là, tout le monde s’est targué d’avoir un communicant, et aujourd’hui, c’est rentré dans les mœurs.

On dit traditionnellement que le propre de l’art, c’est de cacher l’art. Est-ce que c’est vrai de la communication aussi ? Peut-on dire que les mauvais communicants sont ceux dont les ficelles sont trop visibles ? 

Les mauvais communicants sont ceux qui parlent. L’essence de mon métier, c’est le secret. Si vous conseillez un chef d’État ou un candidat à une élection, vous ne parlez pas publiquement de ce que vous corrigez chez lui ou de ce que vous lui apportez. Nous n’avons pas à nous vanter ! Nous devons rester dans l’ombre. Je suis vraiment une femme de l’ombre, même s’il m’est arrivé d’être dans les médias pour parler de la politique en général. J’adore l’ombre ; trop près du soleil, on se brûle. Au sujet des artifices, oui, les grosses ficelles se voient forcément. Toute la subtilité du métier, c’est de corriger des choses sans que le public voit qu’elles ont été corrigées. Il s’agit de donner des conseils que l’on ne voit pas. Les modifications doivent être apportées par touches. 

Si Ciotti n’a pas gagné la primaire, c’est parce que Laurent Wauquiez, qui le déteste, a une vraie influence dans le parti et qu’il a fait voter Pécresse qui a gagné grâce à lui

Parmi les candidats à droite, on a surtout parlé de la communication sous-optimale de Valérie Pécresse. Dans quelle mesure son cas constitue-t-il un cas d’école ?

Certes, et ça me fait de la peine ; je ne veux pas critiquer les personnes qui la conseillent, mais Valérie Pécresse est inaudible. Quand elle fait un discours, son message ne passe pas parce que la gestuelle est mauvaise et parce qu’elle fait trop de pauses. Le principal avec un candidat en campagne électorale, c’est de lui garder son authenticité. Je suis sûre que lorsqu’elle va chez le boulanger, elle ne dit pas [en adoptant un ton alambiqué] : « Donnez-moi une baguette de pain ! ». Il faut qu’elle parle aux gens comme avec son boulanger, si tant est que ce soit elle qui achète sa baguette. Toute l’erreur de sa campagne a porté sur la forme qui est tellement mauvaise que l’on n’a pas entendu le fond alors que certaines de ses propositions étaient très bonnes.  

Valérie Pécresse réunit ses soutiens à la Maison de la Mutualité, 11 décembre 2021, Paris © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01052448_000031

Qu’est-ce qui a fait que Valérie Pécresse en arrive là ? Qu’elle perde son authenticité, en quelque sorte ?

Au moment où elle a gagné la primaire, elle s’est sentie en apesanteur et elle n’a plus été collée à la réalité. Quand on est désigné candidat à une élection présidentielle, on doit garder les pieds sur terre. Elle s’est envolée en pensant qu’elle gagnait l’élection présidentielle. Elle est devenue – et c’est le pire des syndromes – ivre d’elle-même. C’est comme ça qu’on perd une élection. Elle a parlé comme si elle voulait être à la fois Merkel et Thatcher, mais on peut être Pécresse et incarner ce que l’on est. Si je vous dis : c’est quoi pour vous le sarkozysme ? Vous savez quoi me répondre. Mais si je vous dis : c’est quoi le pécressisme ? Vous n’aurez pas de réponse à me donner. Macron n’a pas essayé d’imiter Hollande ou Chirac. Il est tellement identifié à lui-même qu’on sait dire aujourd’hui : ça , c’est du macronisme ! Il a une incarnation, mais Valérie Pécresse n’incarne rien. 

Est-ce que la communication d’Emmanuel Macron est bien adaptée à sa campagne de réélection ? 

Nicolas Sarkozy me disait toujours : « Ne pas avoir de chance, c’est une faute professionnelle ». Il a raison ! Macron a bénéficié de l’affaire Fillon en 2017 et de guerre en Ukraine aujourd’hui. Les Français se disent que, dans cette crise, ils ont besoin de quelqu’un ayant de l’expérience. En même temps, Macron est devenu président du Conseil européen juste avant l’élection ; encore un coup de chance ! Or, en cinq ans de mandat présidentiel, il a forcément acquis de l’expérience que n’ont pas les autres candidats. Il y a eu des erreurs dans sa communication, mais aussi des choses formidables. Ses erreurs – qui sont peut-être plutôt celles de ses conseillers en communication – consistent surtout à vouloir montrer certaines choses intimes, comme par exemple quand il a dit : « Tout ça coûte un pognon de dingue ! » Un communicant ne devrait pas diffuser cela ! Les Français veulent que le président de la République soit respectable et donc respecté. Un président peut parler ainsi avec ses conseillers, mais les Français n’ont pas besoin de le savoir. Les communicants commettent souvent des erreurs quand ils veulent trop jouer sur la proximité. La proximité, c’est aller à la rencontre des gens, en se montrant vrai et authentique. Ce n’est pas utiliser des expressions trop familières. Quant à Emmanuel Macron lui-même, c’est un homme plutôt sympathique. Aujourd’hui il a de l’expérience en plus et cela rassure, même s’il n’a pas encore gagné cette élection. On a publié aussi des photos volées qui étaient limite vulgaires et que l’on n’aurait pas dû sortir. Mais l’erreur vient des communicants ! 

Il y a pourtant encore un exemple récemment de ce type d’erreur. N’a-ton pas accusé Macron d’imiter le président Zelensky en se faisant photographier dans son bureau, mal rasé et en sweat ?

Sa photographe, Soazig de la Moissonnière, produit des images de grande qualité, mais on n’est pas obligé de tout publier. J’espère qu’une fois qu’elle a fait les photos, les conseillers se mettent autour d’une table pour réfléchir à la publication. Admettons qu’il ait vraiment mis ce sweat et qu’il n’était pas rasé… On n’est pas obligé de publier l’image. On ne désacralise pas la fonction présidentielle ! Les Français sont des monarchistes ; ils sont attachés au roi mais ils peuvent aussi lui couper la tête, c’est ça la France ! Au fur et à mesure, on a enlevé tous les fastes de la fonction présidentielle, ce fut une erreur. Il faut toujours garder une certaine hauteur, tout en restant moderne.

Qu’est-ce qui vous a frappé le plus dans cette campagne électorale ? 

C’est peut-être l’arrivée d’un candidat tout neuf, Éric Zemmour, qui n’a pas de passé politique et qui a dérangé les pierres. Il est polémiste, excessif, comme on le sait, mais il a mis sur la table un sujet unique, l’immigration, et a obligé tout le monde à s’en emparer. Voilà la grande surprise de cette élection. Beaucoup de personnes croyaient qu’avec l’arrivée de Zemmour, Marine Le Pen s’effondrerait, et pourtant elle a tenu. C’est une femme qui a le cuir épais, qui a appris de ses erreurs, notamment de l’erreur tragique du débat face à Macron en 2017, et finalement elle a gagné en authenticité, même si l’on ne partage pas ses idées, nous devons le reconnaître. Elle a travaillé surtout les sujets économiques et a ciblé un électorat, les classes moyennes, en faisant du pouvoir d’achat son thème de campagne. L’immigration avait été son thème de prédilection , mais elle l’a laissé à Zemmour. C’était très malin de sa part ! Or, le pouvoir d’achat est devenu la principale préoccupation des Français. 

Et les candidats de la gauche ?

François Hollande a tué le PS avec le quinquennat qu’il a fait. De plus, un président en exercice qui ne se représente pas, en dehors d’une raison médicale, c’est la meilleure façon de tuer sa famille politique. Aujourd’hui, le PS a désigné la pire des candidates : Anne Hidalgo. Elle a achevé le PS ! Alors qu’il y avait de réels talents comme Bernard Cazeneuve ou Manuel Valls… Que l’on soit de gauche ou non, ce sont des gens talentueux. Avec Anne Hidalgo, le PS s’est suicidé ! En revanche, Jean-Luc Mélenchon, qui est un grand tribun, possède une qualité essentielle : son authenticité. Il crie, il râle, tout comme Georges Marchais le faisait. Il a une élocution exceptionnelle, ses discours sont intelligibles, et même si l’on n’est pas d’accord avec son programme, ce qui est mon cas, il est intéressant à écouter : ses tournures de phrase, sa culture politique font de lui quelqu’un de passionnant. C’est lui qui incarne la gauche aujourd’hui. Fabien Roussel, le nouvel arrivé, a aussi cette authenticité. Il plaît même à la droite, ce qui est fou. Il a déclaré qu’il aimait le vin, la viande et le fromage quand c’est à la mode de ne pas aimer la viande quand on est à gauche. Quant à l’écologie, c’est un grand sujet mais, pour moi, elle ne peut pas être politique et elle n’est pas l’apanage de la gauche. Le parti EELV n’incarne pas forcément l’écologie. C’est juste un parti de gauche qui s’est un peu verdi, et quand je vois les sondages sur Jadot, je comprends qu’il ne soit pas plus haut que cela ! 

Yannick Jadot, eurodepute et tete de liste d’EELV Photo: CELINE BREGAND/SIPA Numéro de reportage : 00908713_000048

Si le Parti socialiste n’a pas désigné la meilleure candidate et risque ainsi de se suicider, qu’en est-il des Républicains ? Ils auraient pu choisir, par exemple, Éric Ciotti comme candidat…

Éric Ciotti aurait pris des voix à Marine Le Pen et à Zemmour. Il aurait pu emporter la droite avec lui. Il a fait une excellente campagne ! C’est l’authenticité même ! C’est l’homme du Sud, tout le contraire de Michel Barnier qui est plutôt psychorigide, une espèce de cintre avec un costume. S’il n’a pas gagné la primaire, c’est parce que Laurent Wauquiez, qui déteste Ciotti, a une vraie influence dans le parti et qu’il a fait voter Pécresse qui a gagné grâce à lui. 

Le dernier président de droite était Nicolas Sarkozy qu’on a accusé d’être « bling bling ». Était-ce juste ? 

Non ! Ce n’est pas un mot qui lui convient. Les amis de Hollande à l’époque ont propagé ce concept. Beaucoup de Français mettent des Ray Ban et portent une Rolex qu’ils mettent peut-être toute une vie à s’offrir… Je pense que les débuts de son quinquennat ont été difficiles, mais pour des raisons personnelles et privées. Comme l’a écrit Catherine Nay, le jour de son élection aurait dû être le plus beau jour de sa vie, ce fut le jour le plus malheureux de sa vie, sa femme le quittait. Avant son élection, toute la presse était amoureuse de Sarkozy. Quand il était en Camargue, sur un cheval, les journalistes qui le suivaient étaient trente sur une charrette qui a failli tomber ! Ensuite, les journalistes de gauche qui ont adoré Sarkozy s’en sont voulus de l’avoir tant aimé. Il fallait le détruire. C’est plutôt Mitterrand qui était bling bling : il avait de belles montres et avait une suite à Louxor à Noël. Il hébergeait sa fille et la mère de sa fille aux frais de l’État. Comme Sarkozy, Hollande habitait un appartement à Neuilly. Mais celui de Hollande, payé par son père, était du côté luxueux de Neuilly, tandis que celui où habitait Sarkozy, beaucoup plus modeste, était du moins bon côté. Qui était donc le plus « bling bling » des deux ?

Comment se fait-il que François Hollande ait gagné cette élection de 2012 ? Avait-il un meilleur projet pour la France ? 

Nicolas Sarkozy devait gagner cette élection, mais Hollande l’a remportée par défaut. Il a récupéré beaucoup de voix de gauche en disant : « Mon ennemi, c’est la finance ! ». C’était une bonne punchline pour les gens qui n’aiment pas les capitalistes, « les riches », insulte suprême, imaginée par la gauche. Il a fait pendant cinq ans de l’argent une honte, alors que même sous Mitterrand, les gens s’enrichissaient et avaient un vrai pouvoir d’achat. Il a manqué une quinzaine de jours à Sarkozy pour faire sa campagne. La seule chose que l’on puisse reconnaître à François Hollande est peut-être le mariage pour tous, mais ce n’est pas cela qui renforce un parti politique. La gauche de 1981, c’était une incarnation, mais Hollande n’incarnait rien. Il avait une psychose : Nicolas Sarkozy. Il a créé le PNF soi-disant au moment de l’affaire Cahuzac, mais son obsession n’était pas de redresser la France, c’était de tuer Sarkozy. Ce qui ne constitue pas un idéal ni pour un parti politique ni pour un mandat présidentiel ! 

Julio Piatti

Vous soutenez « Saccage Paris » ?

Oui, je suis Parisienne et pourtant je ne suis pas née à Paris. Je suis née au Maroc, je suis arrivée dans la capitale à l’âge de 10 ans. J’ai connu les plus belles années de Paris, le Paris de Jacques Chirac, et c’est ce Paris-là que j’aime et que j’aurais aimé retrouver. J’ai voté Chirac pour Paris, j’ai fait sa campagne, il faisait bon vivre, il n’y avait ni travaux ni embouteillages. Il y a toujours eu des embouteillages à 18h, mais aujourd’hui c’est le cas à toutes les heures parce qu’Anne Hidalgo a fermé les quais, les voies sur berges, elle a pollué Paris, elle a défiguré Paris avec un art moderne de très très mauvais goût !

Quand vous regardez Poutine, quel jugement portez-vous sur lui du point de vue de la communication et de la psychologie du personnage ?

Poutine incarnait il y a quelques années encore le nouveau capitalisme russe, mais à, présent, nous avons en face de nous le Poutine guerrier qui veut annexer les pays voisins et que l’on peut comparer à un criminel de guerre. Sa conquête ne lui apportera que des villes qu’il aura détruites. Il y a un côté psychopathe, mais en même temps nous sommes obligés d’avoir un dialogue avec lui. 

Est-ce qu’Emmanuel Macron a bien fait en essayant de dialoguer avec Poutine ? 

Quand il est intervenu, il était déjà trop tard mais il a eu raison de maintenir le dialogue. Je ferais la comparaison avec l’action énergique de Nicolas Sarkozy en 2008 lorsque la Russie a menacé la Géorgie. En cinq jours, il a réglé le problème. C’était une victoire diplomatique personnelle. Il a prononcé un discours à Tbilissi dont les Géorgiens se souviennent encore. Lui a su dialoguer avec Poutine.




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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