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Promenade phénoménologique


Promenade phénoménologique

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Évidemment, quand Raphaël Enthoven cite La Rochefoucauld − « L’homme croit se conduire plus souvent qu’il n’est conduit » − en exergue d’une chronique sur le GPS, on se dit que Matière première ne va pas manquer d’humour. L’humour est cette vertu dont philosophes médiatiques et experts cathodiques ont tendance à abuser pour « faire sympa », sans toujours y exceller. Mais Raphaël Enthoven en connaît les limites. Matière première s’ouvre sur une réflexion à propos de cette mode envahissante de la « philo pour tous » : « Prise en tenailles entre un engouement collectif et une désaffection universitaire, la philosophie enjambe les difficultés, cherche des réponses aux questions, écrit gros, tutoie son lecteur, parle de tout, réduit un problème à ses solutions, fait des bulles en pensant le trivial et dilue le chatoiement des phénomènes dans l’ambition minimale d’y voir seulement des objets à (mé)connaître. »
Bref, la philo est devenue un rayon du développement personnel, ce qui ne laisse pas d’inquiéter Enthoven, surtout quand il se souvient, dans un bel hommage à son maître, le grand Lucien Jerphagnon, disparu en 2011, que pour celui-ci : « L’important n’était pas tant, à ses yeux, de sortir de la caverne que de savoir où on irait après avoir mis le nez dehors. »[access capability= »lire_inedits »]
Le quotidien est la destination la plus souvent choisie, ici, par Enthoven, une fois quittée la prison platonicienne. Matière première parle de la vie « normale » en contemplant la mondialisation à l’œuvre dans ce non-lieu qu’est l’aérogare d’Orly Ouest, ou encore en soulignant les ambiguïtés sémantiques et idéologiques de la carte de fidélité, de la 3D ou de l’indignation : « Elle consiste à hurler avec la meute tout en persuadant l’indigné qu’il est son seul maître. Elle a l’air d’une révolte, mais c’est un sédatif. » Cette dernière chronique fait écho à une autre sur Rousseau, devenu bandeau publicitaire chez Google le jour du tricentenaire de sa naissance, et qui l’a bien cherché : « Mais la vraie raison pour laquelle Rousseau a toute sa place en première page d’un réseau mondial, c’est qu’il incarne, à son corps défendant, l’antitalent de penser comme tout le monde quand on pense tout seul. » Et Enthoven de poursuivre avec une bien jolie formule : « Être rousseauiste, c’est se faire des bosses en enfonçant des portes ouvertes. »
Enthoven ne prétend pas fournir une critique idéologique du quotidien comme Henri Lefebvre, ni une lecture sémiologique comme Barthes, même si, en le lisant, on pense souvent aux Mythologies. Loin de toute instrumentalisation théorique, il préfère s’en tenir à une promenade phénoménologique souriante, stylée et réussie, dans ce qui fait la banalité si riche de nos vies ordinaires.[/access]

Matière première, Raphaël Enthoven, Gallimard, 2013.

*Photo : GothPhil (Aérogare d’Orly Ouest).

Avril 2013 #1

Article extrait du Magazine Causeur



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