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Le sens ethnique des Russes rend peu probable une guerre en Ukraine


Le sens ethnique des Russes rend peu probable une guerre en Ukraine
Visite diplomatique du président Macron à Kiev, auprès du président Volodymyr Zelensky, 8 février 2022 © Ukrainian Presidency/SIPA

Il existe un véritable sentiment national ukrainien, même là où la langue russe est majoritaire


Il suffit de consulter le site des Affaires étrangères russes, ministère sur lequel règne l’indéboulonnable Sergueï Lavrov, pour constater l’attention soucieuse portée à toutes les minorités russophones qui vivent au-delà des limites de la Fédération de Russie. La fermeture d’une école russophone à Tallinn ou Narva est vécue comme un drame national. Les Russes des périodes impériales, tsariste puis communiste, n’avaient jamais expérimenté la situation de minorité, c’est plutôt eux qui étaient maîtres chez les autres. L’effondrement de l’URSS a inversé la situation et presque toutes les frontières russes sont bordées de pays où vivent des minorités russophones, 26% en Estonie par exemple. Contrairement aux pays baltes, l’Ukraine n’oppose pas un peuple autochtone et une minorité russe. Ce pays est plutôt un subtil dégradé, de Lviv à l’ouest où l’ukrainien est langue maternelle et la religion uniate, rattachée au catholicisme, jusqu’à Kharkiv à l’est où l’on ne parle que russe et où l’on ne prie qu’orthodoxe.

Tout est écrit en ukrainien et tout est parlé en russe!

Je me suis trouvé au milieu, à Kiev en 2001, on y parlait russe mais la plupart des habitants comprenaient l’ukrainien et le considéraient comme un amusant patois folklorique. J’ai même rencontré des gens scandalisés de devoir renseigner certains documents officiels en ukrainien, comme si en Dordogne on obligeait soudain les contribuables à rédiger leur déclaration d’impôt en occitan. Depuis l’ukrainien a progressé dans l’usage parlé et écrit de Kiev, un bon exemple en est le prénom du chef de l’Etat, un ancien Vladimir devenu Volodymir.

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Ces russophones de l’étranger provoquent en Russie une émotion attendrie, ce sont des “frères”, comme étaient les Alsaciens-Lorrains d’avant 1918 pour la génération de ma grand-mère qui chantait “Frères chéris d’Alsace”. “La question des minorités russes est vitale pour la popularité du président Poutine” déclare Cyrille Bret à Atlantico le 8-12-2017 et il ajoute : “La protection des familles russo-ukrainiennes, des russophones et de la culture russe occupe une place importante dans l’attitude de la Russie à l’égard de l’Ukraine”. C’est entendu, les Russes aiment passionnément leurs frères russophones installés à l’étranger. Mais ceux-ci aiment-ils passionnément la Russie ? Les russophones des pays baltes ont pris goût à la démocratie et à la prospérité européennes et ils sont peu pressés de rejoindre le giron moscovite et la férule poutinienne. Les tensions linguistiques paraissent apaisées et le site de Sergueï Lavrov ne peut plus les monter en épingle.

Qu’en est-il en Ukraine ? Je me trouvais en septembre 2021 à Kharkov, dont le nom officiel est maintenant Kharkiv, la grande ville de l’est de l’Ukraine. Je m’amusais à sonder mes interlocuteurs, y compris les rencontres de café, en leur disant : “C’est agaçant pour quelqu’un qui a étudié le russe au lycée, dans votre ville tout est écrit en ukrainien et tout est parlé en russe”. Facile de distinguer les deux, l’ukrainien est écrit en cyrillique auquel on a rajouté un “i” latin qui n’existe pas dans la graphie russe. On m’a chaque fois répondu que c’était normal, que l’ukrainien était la langue de l’Ukraine, et personne ne m’a déclaré son amour pour la langue russe et la Russie. J’en ai déduit la naissance d’un sentiment national ukrainien, même dans une ville russophone de l’est, renforcé sans doute par la proximité inquiétante d’un front de guerre. Rappelons que la terrible famine organisée par Staline en Ukraine, le Holodomor de 1932-33, a frappé aussi bien les populations de langue russe ou ukrainienne. L’appartenance linguistique n’est pas un gage d’unité éternelle, l’Alsace a quitté son contexte germanique par amour pour la France de la Révolution et de l’Empire, les Berbères juifs d’Algérie ont fait de même, conquis par la générosité du décret Crémieux et la grandeur de la culture française.

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Membres des forces de défense territoriale de l’Ukraine dans un parc à Kiev le 22 janvier 2022 © Efrem Lukatsky/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22644686_000002

“Nous ne tuerons pas nos frères ukrainiens”

Poutine a une conscience claire des continuités historiques, il sait très bien que la guerre en Ukraine entraînerait des milliers de morts civils et une détestation pour des siècles de la Russie. Ses rodomontades sont à l’adresse des Américains, mais elles comportent un sous-texte bizarre, dont une déclaration que “Nous ne tuerons pas nos frères ukrainiens”. Mes contacts à Kharkov ne croient pas un instant à la guerre. Le président russe est brutal, il pratique dans son pays et avec l’étranger une Realpolitik qui n’a certes rien à voir avec l’humanisme doucereux d’Emmanuel Macron dont on constate les piteux résultats au Mali et en Algérie. Il n’est pas l’Hitler expansionniste auquel veut nous faire croire la propagande américaine. La Crimée a été conquise et peuplée de Russes au XVIII ème siècle par la Grande Catherine, elle est devenue ukrainienne un soir de beuverie khrouchtchévienne, mais elle est russe par la réalité autant que par la culture, ni Tolstoï auteur des Récits de Sébastopol ni Tchekhov dont La Dame au petit chien se passe à Yalta n’étant ukrainiens.



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