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Le club des guillotinés


Le club des guillotinés

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Deux ou trois grincheux ont égratigné La Révolution française de Louis-Henri de La Rochefoucauld, paru en début d’année. La raison : il s’agirait d’un roman vain, moqueur, nonchalant. On est rassuré. C’est notre plaisir en littérature et c’est ce qui nous enchantait déjà dans les précédents textes de La Rochefoucauld : Les vies Lewis, Un smoking à la mer et Les enfants trouvés.
Avec La Révolution française, La Rochefoucauld règle ses comptes familiaux. Tout ça parce que, place de la Bastille, une jolie Marianne le quitte en lui disant : « Mon pauvre, pauvre type, il aurait mieux valu pour toi que tu ne sois pas né. » Pour ne rien arranger, un serveur demande au gandin, au lieu de lui resservir une bière, ses papiers d’identité. La Rochefoucauld ? C’est louche. Prière de s’expliquer. Ce que Louis-Henri va faire à la hussarde, avec une drôlerie féroce. Être né de noble extraction ou ne pas être : c’est aujourd’hui, pour lui, une question de survie.
Le dernier des La Rochefoucauld ne descend pas de François, l’auteur des Maximes, pour rien. Il use de la langue française avec la précision d’un sniper, ajoutant çà et là un zeste de négligé particulièrement de saison. Il allume une cigarette, se joue des volutes et commence son récit. On passe du coq à l’âne et d’un ancêtre l’autre. Ne pas oublier que, le 15 juillet 1789, c’est un Liancourt-La Rochefoucauld qui, alors que le Roi demandait « Hum … C’est une révolte ? », répondit : « Non Sire, c’est une Révolution. » Quelques-uns, qui attaquèrent la lignée rupificaldienne, en prennent pour leur grade : Saint-Simon, le cardinal de Retz, Chamfort. Danton, Robespierre et Saint Just : n’en parlons pas. C’est injuste, évidemment ; très brillamment visé pourtant.
La Rochefoucauld se permet tout. Il appelle son père « le grand Rabbin » et il évoque un « Bal des bêtes » donné en 1885 par la princesse de Sagan. Du coup, il en profite pour se replonger dans La Recherche du Temps perdu.
Règle d’or de sa désinvolture : surtout ne pas se priver des digressions. Ouvrir, par exemple, la première édition – préfacée par Jean Cau – de La Place de l’Etoile de Modiano, y dénicher encore un La Rochefoucauld. Le club des guillotinés, décidément, s’agrandit sans fin et, partout, des bribes de l’histoire de Louis-Henri surgissent, qu’il nous offre en pâture.
Au fil des pages de La Révolution française, on se dit que la jolie Marianne  ne reviendra pas vers Louis-Henri. Elle a tort, c’est certain. Ce n’est pas parce que l’on fait le mariole comme personne entre deux mots d’esprit foutraques qu’on ne sait toucher au plus près des émotions.  Par exemple quand il se souvient de son enfance tirée à quatre épingles, qu’il salue la mémoire d’un ami d’adolescence suicidé ou d’un un petit camarade de classe tué à coups de crosse de revolver, dans les beaux quartiers, par son père. Il cite la devise du chef vendéen Henri de La Rochejaquelein : « Allons chercher l’ennemi : si je recule, tuez-moi ; si j’avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi ! »
La vengeance de Louis-Henri de La Rochefoucauld est un enchantement, délicat comme la révérence qu’il tire : « Après m’être envoyé quelques verres derrière la cravate, je m’esquivais discrètement – j’avais un train à prendre. »

La Révolution française, Louis-Henri de La Rochefoucauld, Gallimard,  2013.

*Photo : darquati.



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Arnaud Le Guern est est né en 1976. Ecrivain, il vient de faire paraître Du soufre au coeur (Editions Alphée)

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