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Pour en finir avec le mythe des « privilèges des retraités »


Pour en finir avec le mythe des « privilèges des retraités »

Le rapport de la Cour des comptes de septembre 2012 sur la Sécurité sociale a le mérite de la clarté : il faut combler tout ou partie du trou de la Sécurité sociale. Pour ce faire, la Cour désigne une cible de choix : les retraités, inconscients de l’ampleur des privilèges dont ils bénéficient. Ainsi, pour égaliser revenus et patrimoines entre actifs et retraités, la Cour propose diverses mesures correctives, toutes à la charge des retraités. Mais cette démarche volontaire repose sur des références biaisées qui ne résistent pas à l’examen des chiffres récents du Conseil d’orientation des retraites (COR).
La première erreur de la Cour est de considérer de manière uniforme tous les régimes de retraite, alors que les avantages sont très inégalement distribués entre un secteur public très largement protégé et un secteur privé exposé à tous les vents mauvais de la démographie et de la conjoncture. Dans ces conditions, l’amplitude des écarts de richesse entre retraités est souvent telle que les moyennes y perdent beaucoup de leur sens.
Les magistrats ne tiennent pas non plus compte des charges et contraintes liées à l’âge : l’alourdissement continu des dépenses de santé, avec des primes d’assurance complémentaire individuelle (2 à 4 milliers d’euros par an pour un couple), lié au vieillissement. Or, non seulement ces dépenses supplémentaires ne sont pas prises en charge par un employeur – il s’agit de retraités ! -, mais l’Administration refuse aux retraités le droit – qu’ont pourtant nombre d’actifs –  de les déduire de leurs revenus imposables. Faut-il rappeler en outre que près de 20 % des retraités qui ont dépassé l’âge de 75 ans commencent ou continuent à développer un syndrome d’Alzheimer et qu’un quart des plus de 85 ans sont contraints de rejoindre une maison de retraite, souvent médicalisée, dont le coût mensuel moyen se situe à 1 857 euros par personne ?
En revanche, la Cour ne se prive pas de reprocher aux seniors de générer la moitié des dépenses de maladie, alors qu’ils ne représentent qu’un quart de la population du pays. Mais si on veut jouer à ce jeu-là, il faut rappeler à la Cour que les retraités ne coûtent rien en indemnités journalières ni en allocations familiales, ou en indemnités de chômage…
La deuxième erreur de la Cour concerne le patrimoine des retraités. La Cour constate que le niveau de leurs biens patrimoniaux a tendance à dépasser celui des actifs plus jeunes. Sauf que la gestion normale de la plupart des actifs les conduit à accumuler au fil des ans une épargne dont ils disposeront lors de leur retraite. Comment  peut-on considérer comme une inégalité injuste les fruits d’une vie de travail et d’épargne ? La comparaison est en grande partie tronquée  : une comparaison honnête des patrimoines des actifs avec ceux des retraités aurait dû prendre en compte l’actualisation des flux de  pensions à recevoir par les uns et les autres jusqu’au terme de leur espérance de vie. Ainsi, si l’on fixe une espérance de vie commune  jusqu’à 82 ans avec un départ à la retraite à 65 ans, il faut rajouter en les actualisant 17  annuités de retraite à échoir au patrimoine du salarié de 50 ans, contre seulement 5 annuités à échoir au retraité de 77 ans. Il est dommage que cette technique usuelle – qui aurait sans nul doute changé les choses – n’ait pas réussi à franchir la lourde porte de la rue Cambon…
À ces considérations, la Cour ajoute quelques griefs fiscaux dont le premier a trait à l’abattement fiscal de 10 % pour frais professionnels, dont les retraités continuent à bénéficier alors qu’ils n’engagent plus ce genre de frais. Mais la Cour omet d’observer que bien des salariés, dont les frais de trajet et de nourriture sont partiellement pris en charge par l’employeur, n’engagent pas, non plus, un dixième de leur paye en frais professionnels, alors que, de leur côté, leurs nombreux engagements associatifs (plus d’un retraité sur deux fait partie d’au moins une association) amènent régulièrement les retraités à assumer, souvent dans l’intérêt général, des frais plus ou moins contraints qui allègent la dépense publique (que deviendraient les « Restos du Cœur » sans bénévoles ?).
Quant à la CSG, les retraités n’acquittent en effet qu’un taux de 6,6 % sur leurs pensions, contre  7,5 % sur les salaires. Toutefois, la Cour ne prend pas en compte que les retraités acquittent la CSG sur la totalité de leur retraite, tandis que les salariés bénéficient d’un abattement de 1,75 % au titre de leurs frais professionnels. En outre, la Cour oublie un peu trop légèrement que le taux de 6,6 %  provient de la volonté du législateur de moins taxer les revenus de remplacement ! Et d’ailleurs, lorsque la Cour des Comptes propose de supprimer cet avantage aux retraités, elle se garde bien de signaler qu’il faudrait, en toute équité, procéder de même à l’égard des trois millions de chômeurs indemnisés et des très nombreux bénéficiaires d’indemnités journalières…
Au-delà de ces « omissions », pour ce qui s’agit de la soi-disant aisance de retraités, selon le dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) paru le 22 janvier 2013, la Cour se trompe tout simplement quant au niveau de vie des retraités. Si on retient les chiffres du COR pour 2010, le niveau de vie moyen des retraités – 1 913 euros par unité de consommation – correspond à très peu de choses près au niveau de vie moyen de l’ensemble de la nation (1 883 euros), mais demeure assez nettement (de 4,45%) inférieur à celui des actifs (2 002 euros). Mais si les actifs ont souvent l’espoir de voir, au fil de leur carrière, progresser sensiblement leur pouvoir d’achat, c’est l’inverse que les retraités ont à redouter. Car la garantie du pouvoir d’achat n’existe juridiquement pas pour tous les régimes de retraite complémentaire du privé, dont la plupart, fort mal en point vont freiner ou ont déjà freiné, voire parfois stoppé la revalorisation de leurs pensions. Pire, cette garantie risque fort  d’être très prochainement remise en cause.
On s’amusera enfin que la Cour ait cru pouvoir rajouter le produit d’un loyer fictif aux revenus des propriétaires de leur habitat. Quand on sait qu’en près de quarante ans, l’Administration fiscale, avec tous les moyens dont elle dispose,  s’est révélée incapable d’établir de façon correcte les valeurs locatives cadastrales sur lesquelles reposent nos taxes foncières et nos taxes d’habitation, on peut à bon droit nourrir quelque doute à la fois quant à la pertinence du calcul de ces loyers fictifs et au sérieux des résultats ainsi obtenus.
Dans ces conditions, que penser de ce rapport et de ses conclusions assassines pour les retraités, auxquels de plus en plus d’actifs reprochent à voix de moins en moins basse de vivre à leurs crochets ?
Dans le marbre de la devise de la République, est gravé le mot de fraternité. La Cour des comptes semble hélas l’avoir oublié, car son rôle n’est pas de dresser – abusivement et on l’a vu,  souvent à tort – les Français les uns contre les autres. En réalité, les magistrats de la rue Cambon, mal inspirés, ont instruit iniquement un mauvais procès contre 16 millions de retraités qui ont assumé loyalement leur part dans le développement du pays. Derrière cet acharnement, se profile une dangereuse fracture. On aimerait en effet que notre fragile système de répartition ne glisse pas vers une logique sournoise d’appauvrissement et d’exclusion de tous ceux dont le seul tort est d’avoir rempli en leur temps l’intégralité de leur devoir de solidarité envers leurs aînés.

*Photo : Neil. Moralee.



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est docteur en droit, a exercé les professions d'Expert-comptable, de Commissaire aux Comptes et d'Expert-judiciaire.

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