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Digressons avec Liberati


Digressons avec Liberati

paul leautaud liberati

 C’est un livre improbable, de ceux qui plaisent aux derniers esthètes et qui permettent de se perdre entre les lignes puis de s’y retrouver. Quand chacun ne jure que par le roman calibré, Simon Liberati prend le chemin buissonnier des fugues. 113 études de littérature romantique est ce que Montherlant appelait un « machin », qui tient autant du journal intime que des journées de lecture, du carnet de notes, de la poésie en prose ou des études savantes.

Dans le désordre précis de sa mémoire, Liberati retrouve pourtant, sur presque 500 pages, tous les charmes précieux d’Anthologie des apparitions, Nada exist, LHyper Justine et Jayne Mansfield 1967, prix Fémina 2011. On a envie d’égrener les titres de ses chapitres : « Brummell en Normandie », « Rêverie sur la Revue d’études latines », « California girls », « Elégances négligées » ou, le plus beau, « Vendredi 16 décembre 2011 − 10h45 Hôtel Hermitage – Monte-Carlo ».

Tout l’art de Liberati tient dans sa langue, à la fois classique et absolument moderne : « La mythologie moderne contient des épisodes fameux et d’autres plus secrets qu’il faut aller chercher dans les biographies, la presse à scandale, les télévisions spécialisées. Prenons les divinités féminines du dernier rang, les héroïnes de mythes locaux, de légendes urbaines à qui aucune histoire sérieuse ne rendra culte. Il s’agit de petits cultes privés, de santeria, de palo mayombe à usage quasi familial. »[access capability= »lire_inedits »] Dandy funambule sur le fil de ses souvenirs, il nous ouvre des portes donnant sur autant de petites histoires à faire rêver, à faire peur. On se croirait dans un manoir hanté. Il y a des chambres à Saint-Tropez et des maisons de famille à la campagne, du name dropping décadent et des digressions lumineuses sur des écrivains oubliés, des actrices assassinées et des putains de Babylone, des exorcistes et des enchanteurs.

Le Journal littéraire de Paul Léautaud revient souvent ainsi que le Journal inutile de Paul Morand. Un personnage, le Fantôme, ressemble beaucoup à Jean-Jacques Schuhl. Liberati et lui échangent des choses intimes autour de la vie et de Marcel Proust. Lentement, le temps retrouve des couleurs passées qu’illuminent les silhouettes nues et bronzées de Traci Lords, dans un film interdit, et de Jackie Kennedy-Onassis  sur une plage grecque. De vieux numéros du Nouveau Détective traînent par terre à l’heure où les dealers se pointent. Un poème de Paul-Jean Toulet évoque la nuit sur les trottoirs de Paris.

La nuit, justement, Liberati nous y fait voyager. On y croise Francis Scott et Zelda Fitzgerald, fous et amoureux, une adolescente manouche dans un train, la Nadja de Breton et même « une ordure biscornue », Lucien Rebatet, sauvé de l’exécution parce qu’il signait, dans Spectacle du Monde – sous le nom de François Vinneuil – des éloges de Visconti, Le Guépard et Les Damnés.

La nuit, on se replonge dans 113 études de littérature romantique, sans omettre la sinueuse merveille finale − l’Index des personnes, personnages, figures, marques, lieux, œuvres et périodiques cités −, histoire de laisser infuser sans fin les sortilèges de Liberati en attendant, un jour, la parution d’un bijou érotique d’été : Le Soleil noir de Nikki Beach.[/access]

Simon Liberati, 113 études de littérature romantique, Flammarion, 2013.

*Photo : Paul Léautaud (zygomatine).

Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



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Arnaud Le Guern est est né en 1976. Ecrivain, il vient de faire paraître Du soufre au coeur (Editions Alphée)

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