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Florence Cassez : émouvez-vous sans moi !


Florence Cassez : émouvez-vous sans moi !

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Je dois aux lecteurs de Causeur une confidence, qui ne va sans doute pas faire plaisir à tout le monde. J’ai davantage vibré au magnifique but de Yassin Mikari lors de la prolongation du match qui a vu mes favoris sochaliens l’emporter sur Montpellier en Coupe de France qu’à l’arrivée de Florence Cassez hier sur le tarmac de Roissy. Suis-je donc un être sans cœur ? Ou un individu odieux et infâme comme un blogueur du Plus-Nouvel-Obs l’a jugé à propos de Christophe Barbier, qui lui non plus ne manifestait pas l’enthousiasme de rigueur dans son éditorial ?

Au début de cette longue journée, j’avais plutôt pris le parti d’en rire. Cela s’est manifesté par quelques tweets taquins dont l’un où, constatant que le ministre des transports était convié à accueillir Florence Cassez à l’aéroport, je demandais si la ministre des sports aurait été présente en cas d’arrivée de l’ex-prisonnière à la nage. Cela en a fait rire quelques uns mais un député socialiste m’a rappelé à l’ordre. Le ministre Cuvillier n’était pas seulement présent parce qu’il avait la responsabilité des transports et donc de Roissy, mais plutôt parce que, député au cours de la législature précédente, il avait été l’un des premiers et des plus ardents défenseurs de Florence Cassez. Pas facile de rire, pendant que les autres communient, sans passer pour un blasphémateur. Alors, si on ne peut plus en rire, autant passer carrément pour un mauvais coucheur et y aller franco.

Qu’a donc fait Madame Cassez pour mériter que le ministre des Affaires Etrangères en personne lui réserve un tel accueil ? A-t-elle réussi au Mexique là où la Bande à Platoche avait échoué à ramener la Coupe du Monde en 1986 ? Non. A-t-elle été, à l’instar de Florence Aubenas ou Jean-Paul Kaufmann, retenue en otage par une organisation terroriste ? Non plus. A-t-elle été emprisonnée dans un pays ennemi parce qu’elle exécutait des ordres au nom de la France, comme les faux-époux Turenge de triste mémoire ? Encore moins. Florence Cassez est, selon son comité de soutien présidé par Jean-Luc Romero, auquel aucune cause impliquant l’amour de son prochain n’échappe, mais aussi selon Nicolas Sarkozy, Alain Delon et Anne Hidalgo, innocente de ce dont on l’accuse (toujours) au Mexique. À vrai dire, ses soutiens ont raison de pointer les nombreux vices de procédure qui ont émaillé l’enquête ayant abouti à sa condamnation pour plusieurs dizaines d’années, ce que la Justice mexicaine vient de reconnaître. On nous explique que cette tardive reconnaissance n’est due qu’à l’acharnement des autorités françaises – lequel acharnement donne d’ailleurs lieu à une indécente polémique sur le fait de savoir si c’est à Nicolas Sarkozy ou à François Hollande qu’on doit cette libération. Certes. Mais qui sommes-nous pour désigner à la vindicte la justice d’un pays souverain ? Un pays exemplaire en la matière ? En est-on bien certain ? Combien de révisions de procès ont-elles été accordées en France depuis l’affaire Calas ? Patrick Dils et de Marc Machin font partie de ce club étroit dont les membres doivent se compter sur les doigts de la main. Seznec, lui, attend toujours dans son cimetière.

Ce dont on est en revanche certain, c’est que Florence Cassez était la petite amie d’un personnage qui ne sera pas, quant à lui, libéré de sitôt. Cela faisait-elle d’elle une complice ? C’est ce que nie le comité de soutien mais que la Justice mexicaine continue d’affirmer. Y aura-t-il un journaliste, parmi ceux qui vont l’accueillir sur les plateaux télé, pour faire son métier, et lui demander si elle connaissait les activités de celui dont elle était amoureuse ? Celui qui s’y risquerait ne serait-il pas considéré comme un odieux salaud, dans le contexte de quasi-béatification que nous vivons depuis mercredi soir ? Voyons, monsieur, ce n’est pas un crime de tomber amoureuse ! Et on ne choisit pas forcément pour qui, un jour, notre cœur peut chavirer ! Critiquer l’Amour ? Vous n’y pensez pas !

Imaginons pourtant un autre scénario. Une femme mexicaine est jugée à Boulogne-sur-Mer pour avoir aidé son amant français à kidnapper des citoyens de notre pays. Un jeune juge « persévérant » parvient à la faire condamner pour complicité. Mais le gouvernement mexicain, à force de persuasion diplomatique, parvient à la faire libérer. Quel serait l’état d’esprit de notre presse aujourd’hui, la même qui, à quelques exceptions près (dont Florence Aubenas et Frédéric Ploquin), avait condamné par avance les accusés d’Outreau dans leurs journaux ? Elle serait vent debout !

Finalement, à la fin de cette journée, je n’ai plus l’humeur à rire. Ces élans généraux d’émotion ou d’indignation – c’est selon – commencent à foutre la trouille. Ce monde plein d’idées chrétiennes devenues folles, comme le décrivait Chesterton, atteint son paroxysme, et c’est Mgr Romero[1. À ne pas confondre avec Monseigneur Oscar Romero, archevêque de San Salvador, assassiné en 1980. Jean-Luc Romero, nouvel ecclésiastique de notre « Camp du Bien », n’est absolument pas visé par un quelconque « escadron de la mort.] qui donne le la. Au secours !



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