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Assommons les pauvres !


Alors que le gouvernement français annonce un « choc de solidarité  » pour lutter contre la pauvreté et que les belles âmes s’indignent contre l’exil fiscal de Gérard Depardieu, il est temps de relire Baudelaire. Et spécialement le poème en prose « Assommons les pauvres » qui nous changera agréablement des élucubrations de tous les entrepreneurs de bonheur public et d’harmonie sociale qui veulent nous persuader que les pauvres sont tous des rois détrônés qu’il convient de loger, de nourrir, de soigner et de traiter non comme des esclaves ou des mendiants, mais avec une générosité et une grandeur d’âme qu’on prête volontiers à autrui, tout en sachant que chacun privilégiera toujours son confort personnel et ses intérêts.

Baudelaire, accablé par la lecture de traités sur l’art de rendre les peuples heureux, sages et riches dans les plus brefs délais, sortit de chez lui dans un état d’esprit avoisinant le vertige ou la stupidité. Comme il allait entrer dans un cabaret, un mendiant lui tendit son chapeau avec un de ces regards suppliants censés provoquer la pitié. Plutôt que de feindre de l’ignorer, Baudelaire écouta son Démon intérieur, un Démon de combat qui lui chuchota ceci : « Celui-là seul est l’égal d’un autre qui le prouve, et celui-la seul est digne de la liberté qui sait la conquérir. »

Joignant l’acte à la pensée, Baudelaire se précipita sur le mendiant et le tabassa. Tout à coup – ô miracle ! ô jouissance du philosophe qui vérifie l’excellence de sa théorie ! -, Baudelaire vit cette antique carcasse se redresser avec une énergie qu’il n’aurait jamais soupçonnée et lui lancer un regard haineux de bon augure. Alors seulement, il dit au pauvre bougre : « Monsieur, vous êtes enfin mon égal ! Veuillez me faire l’honneur de partager avec moi ma bourse. Et, surtout, si un miséreux vous demande l’aumône, appliquez-lui la théorie que j’ai eu la douleur d’essayer sur votre dos ! »



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