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Raphaël Enthoven, un curieux mea culpa

Aurélien Marq répond à Raphaël Enthoven


Raphaël Enthoven, un curieux mea culpa
Marine Le Pen à Toulon, pour soutenir la campagne de Thierry Mariani, le 17 juin 2021 © Daniel Cole/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22577461_000016

Les foudres se sont abattues sur le philosophe, quand il a déclaré qu’en cas de second tour entre les deux extrêmes, il préférait Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon. Il a depuis précisé ses propos et fait marche arrière. En cas d’un tel duel, il préférera finalement ne pas choisir. Aurélien Marq lui écrit et lui explique en quoi il a selon lui tort.


Cher Raphaël Enthoven,

Bien que ne militant pas pour le RN, je saisis la perche que vous tendez à la fin de votre texte publié dans L’Express pour prolonger ici nos échanges entamés sur Twitter – cette fois, il me semble qu’un texte long s’y prête mieux que les brefs messages de l’oiseau bleu.

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Vous l’aurez compris, je ne partage pas vos conclusions. Je reste persuadé que le RN, même s’il n’est pas mon premier choix, vaut mieux que LFI, et que si l’alternative est entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, mieux vaut s’abstenir que voter Jean-Luc Mélenchon, mais mieux vaut voter Marine Le Pen que s’abstenir.

Je regrette que vous considériez maintenant comme une faute de votre part d’avoir joué le jeu du dilemme électoral : ce n’était pas un « faux choix » ni un simple jeu de l’esprit, mais l’étude d’un cas limite qui nous oblige à aller au bout de nos raisonnements et de nos convictions pour les tester. Une forme de maïeutique. Beaucoup esquivent ces questions, pour de multiples raisons dont toutes ne sont pas honorables, vous avez eu l’honnêteté et le courage de vous y frotter. Que votre « camp » vous en ait voulu en dit long : j’attendais mieux de leur part, surtout envers vous.

J’ai ri à la fin de votre tribune dans L’Express : bien joué ! Mais que l’on salue votre raisonnement pour son exigence de vérité ne veut pas dire que l’on en partage tous les points ni les prémisses – et vous le savez. Ceci dit, il y a une raison pour que je ne milite pas pour le RN mais pour l’union des droites : vous avez forcé le trait, mais vous n’avez pas totalement tort. Je vois le RN et Marine Le Pen comme une prise de risque, acceptable face à l’alternative d’une catastrophe certaine, mais je préférerais qu’ils n’arrivent au pouvoir qu’au sein d’une alliance où leurs défauts seront largement tempérés. Je préférerais d’ailleurs que certains autres arrivent au pouvoir, mais je crains que ceux-là n’aient pas la base électorale suffisante pour y parvenir sans une alliance avec le RN. Je suis comme Isocrate : je préfère la démocratie athénienne à la monarchie macédonienne, mais je préfère l’union de la Grèce sous l’autorité de Philippe plutôt que l’invasion par la Perse. Bref.

Certains ont une indulgence coupable avec l’extrême gauche

Non, le vote LFI et le vote RN ne sont pas équivalents, ils ne sont pas de même valeur. Parce que leurs conséquences prévisibles ne sont pas du tout de même valeur.

Les totalitarismes d’extrême droite sont à peu près universellement condamnés, et c’est tant mieux. Mais les totalitarismes d’extrême gauche bénéficient, en France, d’une indulgence coupable. Avoir soutenu Staline, Mao, Castro voire Pol Pot n’est pas synonyme de disqualification, ni dans le monde politique, ni dans les médias, ni à l’université. Au contraire, même. Dès lors, je considère qu’un totalitarisme d’extrême-gauche rencontrerait bien moins de résistance qu’un totalitarisme d’extrême-droite, et par conséquent qu’il représente un danger plus grand. Quand la violoniste Zhang Zhang nous dit qu’elle reconnaît dans la cancel culture triomphante les caractéristiques des Gardes Rouges, nous avons le devoir de l’écouter. Quand Boualem Sansal nous dit qu’il retrouve en France les signes avant-coureurs de la guerre civile algérienne des années 90, nous avons l’obligation de l’entendre. Pour reprendre votre expression, même dans le pire des scénarios il ne s’agit pas de choisir entre la peste et la peste, mais entre une peste à laquelle on se sait hautement vulnérable et une peste contre laquelle on sait avoir développé de nombreux anticorps.

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J’observe en outre que le danger principal qui pèse à la fois sur notre civilisation et sur tout ce qu’il y a d’universel dans nos valeurs est l’islamisme, c’est-à-dire la volonté de faire de l’islam la norme collective, au double sens de normal et de normatif. Le RN n’a pas pour projet de mettre fin à la liberté de conscience, ni à la liberté d’expression, ni à la souveraineté du peuple, ni à l’égalité des droits civiques entre femmes et hommes, ni d’autoriser le mariage des fillettes prépubères. Les alliés islamistes de LFI et d’EELV, eux, si. On ne risque pas sa vie en quittant le RN, alors qu’on risque sa vie en apostasiant l’islam. Ce n’est pas au nom des idées du RN qu’une jeune femme a reçu plus de 100 000 menaces de viol et de mort. Ce n’est pas dans les rangs du RN que nos concitoyens homosexuels sont en danger. Ce n’est pas au nom des idées du RN que des foules haineuses défilaient il y a quelques jours dans plusieurs capitales d’Europe en hurlant « mort aux Juifs ». Ce n’est pas au nom des idées du RN qu’un néo-sultan a déclaré qu’aucun occidental ne devait pouvoir marcher en sécurité dans la rue, qu’un prédicateur a appelé à employer l’arme nucléaire contre nous, que des attentats sont commis chaque jour dans le monde, que les droits humains les plus élémentaires sont bafoués dans des dizaines de pays.

Le RN n’est pas aujourd’hui un parti raciste

J’ajoute, enfin, que le RN n’est pas aujourd’hui un parti raciste, et que les racistes qui demeurent en son sein sont ostracisés dès qu’ils sont dénoncés. À l’extrême gauche en revanche, ils sont applaudis et on les laisse usurper le titre « d’antiracistes », comme Maboula Soumahoro qui a affirmé qu’un homme blanc ne pouvait pas, ontologiquement, avoir raison contre une femme noire. Il n’est pas possible de mettre sur le même plan une extrême droite qui défend une identité culturelle et une extrême gauche qui exalte des identités raciales. Revoici Isocrate, et son panégyrique d’Athènes : « Notre cité (….) a fait employer le nom de Grecs non plus comme celui de la race, mais comme celui de la culture, et on appelle Grecs plutôt les gens qui participent à notre éducation que ceux qui ont la même origine que nous. » Européens, nous sommes les élèves de la cité d’Athéna, ou nous ne sommes rien.

Raphaël Enthoven lors de son discours à la Convention de la droite, Paris, 28 septembre 2019 © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22382970_000022

Entre le RN d’une part, et d’autre part les alliés des islamistes et des décoloniaux, il n’y a donc pas d’équivalence. Et puisque LREM se montre d’une complaisance coupable envers les alliés des monstres, puisqu’un ministre de l’Intérieur voulait s’agenouiller devant le gang Traoré et qu’une ministre de la Justice a eu pour premier réflexe de condamner Mila, je ne range pas non plus le parti au pouvoir du bon côté de la barrière. Son projet de dissolution de tout ce qui nous définit – y compris la laïcité, y compris la primauté donnée à la culture sur la « race » – dans le multiculturalisme relativiste et le « tout économique » le rend infiniment plus dangereux qu’une alliance entre la droite des valeurs et le RN.

Nous avons un autre désaccord

Vous avez écrit : « dans un monde mondialisé, la question de savoir s’il faut être de droite ou de gauche a disparu sous la question de savoir s’il faut s’ouvrir aux autres ou se refermer sur son pré carré. Et c’est à cette nouvelle alternative qu’il faut répondre. »

Non, cher Raphaël : dans ce monde mondialisé, la question est de savoir s’il faut s’ouvrir à tous vents, ou si l’on peut encore choisir à qui et à quoi on s’ouvre, et à qui et à quoi on ne s’ouvre pas.

Faut-il s’ouvrir à ceux qui ont manifesté pour exiger la mise à mort d’Asia Bibi, ou pour se réjouir du meurtre de Samuel Paty ? Faut-il s’ouvrir à ceux qui considèrent que Mila « l’a bien cherché », quand ils ne vont pas jusqu’à applaudir ses harceleurs ? Faut-il s’ouvrir aux Frères Musulmans et aux Loups Gris ? Faut-il s’ouvrir à ceux pour qui Mohammed Merah est un héros ?

Mais : faut-il s’ouvrir à ces Chinois de Hong Kong qui manifestaient pour la liberté en chantant « Alléluia » ? Aux Yézidis qui n’ont pas cédé malgré les atrocités de l’État Islamique ? Aux Iraniennes qui arrachent leurs voiles et défient les Mollahs ? À nos anciens auxiliaires afghans, menacés par les Talibans ?

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Faut-il s’ouvrir à ceux qui, quelles que soient leurs origines, sont amoureux de notre culture et veulent s’assimiler à notre pays et à notre peuple, et dont une proportion croissante vote pour une droite fière de notre civilisation, et faut-il s’ouvrir à ceux qui les traitent d’« arabes de service », de « nègres de maison », de « native informants » avec la bénédiction de l’extrême gauche et la passivité complaisante de l’extrême centre ?

Si l’on s’ouvre aux uns (et dans quelles proportions ?) n’est-ce pas les trahir que de s’ouvrir aussi aux autres qui les persécutent ?

Vous devinez mes réponses. Je n’ai pas honte de refuser que notre pays s’ouvre à la barbarie. Je n’ai pas honte de refuser la « créolisation » avec des gens qui s’accrochent à des cultures tribales, racistes ou misogynes, et de préférer préserver et transmettre la civilisation qui a aboli l’esclavage et inventé la démocratie. Je n’ai pas honte de préférer m’ouvrir aux disciples de Confucius plutôt qu’à ceux d’Ibn Taymiyya. Et je n’ai pas honte de préférer être traité de facho par certains plutôt que me draper de vertu et de grands principes en laissant la France s’ouvrir à ceux pour qui « mort aux Juifs » est un cri de ralliement. Discutons-en.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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