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Non à une constituante

La constitution actuelle n'est pas mauvaise, elle est faussée par le quinquennat et l'abandon des référendums


Non à une constituante
Acte 19 des Gilets jaunes, à Paris, 23 mars 2019 © ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage : 00900394_000010

Il est fréquent d’entendre aujourd’hui demander la réunion d’une constituante. Ce slogan avait il y a quelque temps déteint chez les Gilets jaunes à la recherche de projets, et il poursuit son chemin à son rythme.


Dans le chaos ambiant, on comprend qu’il signifie le désir d’une rupture radicale et d’un retour à une vraie démocratie. Nous croyons pourtant que cette revendication débouche sur une impasse.

Les raisons pour la récuser sont nombreuses

D’abord l’histoire : en France les constituantes n’ont jamais conduit qu’à des échecs. Les Etats généraux s’érigèrent en Assemblée constituante dès le 17 juin 1789. Après deux ans pleins de travaux, il en sortit une monarchie constitutionnelle, dominée par une « Assemblée législative » qui ne dura que neuf mois. La Convention nationale (1792-1795) était, elle aussi, formellement une constituante, celle de la Première République : il en sortit le Directoire, rarement tenu pour une réussite et qui ne dura que cinq ans. La Constituante de 1848 déboucha sur un régime présidentiel à l’américaine dont on sait à quoi il aboutit. Les deux constituantes de 1945 et 1946 conduisirent à la IVe République qui tint à peine douze ans.

Les deux seuls régimes durables de la France contemporaine : la IIIe et la Ve République n’émanèrent ni l’un ni l’autre d’une constituante : le premier dura 70 ans, l’autre dure depuis déjà 62 ans. Les lois constitutionnelles de 1875 étaient un expédient provisoire, la Constitution de 1958 émana d’abord de la volonté d’un homme.

À l’étranger, les constitutions de la République de Weimar (« la plus démocratique du monde », disait-on) et celle de la IIe République espagnole émanèrent elles aussi de constituantes. Qui en ignore le destin fatal ?

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À la rigueur peut-on tenir la Convention de Philadelphie de 1787, qui aboutit à la Constitution des États-Unis pour une constituante qui a réussi ; elle tenait cependant plus d’une réunion d’ambassadeurs que d’une assemblée élue.  

Une constitution vaut d’abord pour son ancienneté

Mais ce qui fait la réussite de la constitution américaine, c’est moins sa perfection (elle révèle aujourd’hui de graves défauts) que sa patine. Une constitution vaut d’abord par son ancienneté. Longtemps on tint pour une malédiction de la France de changer sans cesse de régime (quinze au total depuis 1789). Le Ve République a paru nous guérir de cette fatalité. Il serait fort imprudent de nous y ramener. La nouvelle constitution aurait des défauts qui en appelleraient une autre et ainsi de suite. Vouloir revenir à l’instabilité serait manquer à la vertu de prudence, la plus nécessaire aux constituants depuis le vieux Solon.

La constitution actuelle offre mieux qu’aucune autre les moyens de redresser le pays

Autre raison de se méfier : dans la plupart des cas à commencer par celui de 1789, il existait avant la réunion de l’assemblée constituante ou au moins pendant, un noyau de personnalités, ouvert ou occulte, sachant à peu près où ils voulaient en venir. Ceux qui revendiquent bruyamment la réunion d’une constituante ont-ils aujourd’hui la moindre idée du genre de régime qu’ils veulent instituer ? Il ne semble pas.

Comment ne pas soupçonner dès lors les promoteurs d’un nouveau régime de vouloir revenir à la IVe République ? Dans le tableau de Mendeleïev des constitutions possibles, il n’y en a pas beaucoup en France : soit un régime semi-présidentiel comme aujourd’hui (qui est en réalité plus présidentiel que celui des Etats-Unis), qui évite, pour le meilleur et pour le pire, tout blocage du processus décisionnel, soit un régime comme les IIIe et IVe Républiques, centré sur un président du conseil des ministres ou un premier ministre, surveillés de près par les assemblées. Il ne serait d’ailleurs pas nécessaire de changer de constitution pour en arriver là : en passant d’un scrutin majoritaire à un scrutin proportionnel, on n’en serait pas loin. Ce serait le régime des centres, unis contre le «populisme» c’est-à-dire du statu quo national et international. C’est ce que réclame étourdiment Marine Le Pen qui, élue, serait avec un tel système une présidente réduite à l’impuissance.

On dira : mais vous voyez où nous mène le régime actuel : la déliquescence de l’État, le chômage de masse, la baisse du pouvoir d’achat, la lourdeur des impôts, le déclin de l’Éducation nationale, les injustices d’un système social obèse, les inégalités croissantes, des mouvements de population hors de contrôle, bref tout ce dont se plaignaient légitimement les Gilets jaunes – et d’autres !

Pour que ce constat, tout à fait justifié aboutisse à l’idée d’une constituante, il faudrait qu’on nous dise avec précision, comment tel ou tel article de la constitution actuelle a conduit à ces dérives.

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Il est vrai qu’au fil des temps nous nous sommes éloignés de la constitution initiale de la Ve République, version 1958, amendée 1962. L’instauration du quinquennat par exemple a profondément dénaturé les institutions, aboutissant à un affaiblissement du Parlement. La primauté du droit européen n’était pas non plus prévue, avec son ampleur actuelle, dans la constitution primitive.

Le droit est vicié par l’idéologie

Mais les textes sont-ils essentiels ? Le général de Gaulle a révélé son grand secret dans des confidences faites à Alain Peyrefitte : si les hommes sont mauvais, leur action sera mauvaise quelles que soient les institutions. S’ils sont bons, il ne faut pas que, le jour venu, ils se trouvent empêchés de bien faire par des institutions qui leur lieraient les mains. Il est clair que nous sommes dans le premier cas de figure, ce qui fait que la réunion d’une constituante n’y changerait rien.

La vérité, c’est que les réalités juridiques sont aujourd’hui largement vidées de leur sens par des facteurs extraconstitutionnels. Le plus important est l’idéologie. Du temps de l’Union soviétique, la constitution avait établi un régime démocratique, fédéral, décentralisé : quel sens cela avait-il dès lors que le parti communiste contrôlait tout par derrière ? Nous n’en sommes pas encore là mais quel sens a encore la démocratie face à une presse unanime pour soutenir les candidats et partis de l’oligarchie et du politiquement correct ? L’idéologie est comme une rouille qui ronge et dénature les édifices juridiques les mieux construits ; or l’idéologie aujourd’hui est partout. Elle est inséparable de la puissance écrasante des instances internationales, pas seulement européennes, qui vident de leur substance les pouvoirs nationaux.

Est-ce le sens de la revendication d’une constituante : rappeler la souveraineté éminente du peuple français ? Ce serait un détour bien compliqué et bien aléatoire. On ne sait quel en serait le résultat : souvenons-nous de 1945-46 où on voulait, dans l’euphorie de la Libération, tout changer : on revint de fait à la IIIe République, en pire.

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Non, la constitution actuelle offre mieux qu’aucune autre les moyens de redresser le pays. À condition qu’elle ne soit pas dénaturée comme elle l’a été par les réformes de Giscard, de Chirac et de Sarkozy (Mitterrand eut la sagesse de ne pas toucher à un régime qu’il avait autrefois qualifié de «coup d’État permanent»). Cette constitution est peut-être la pire de toutes quand la république est en de mauvaises mains, mais plus qu’aucune autre, elle peut, si un bon président vient à être élu, lui permette de redresser rapidement le pays. Est-ce possible ? Ne désespérons pas du suffrage universel : les exemples des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Italie sont là pour nous en rappeler la puissance. Pour le donner le jour venu à un bon président toutes ses chances, nous ne proposons qu’un seul changement : abroger toutes les révisions qui ont été faites depuis 1962.



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est essayiste.

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