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Syrie, phase 2


Syrie, phase 2

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Après dix-huit mois d’une contestation qui a viré à la guerre civile, le régime de Damas tient toujours même s’il est obligé d’adapter sa stratégie aux circonstances. Ainsi, depuis quelques mois on peut constater que la stratégie initiale « ni place Tahrir ni Benghazi » – consistant à ne pas céder une seule ville ni même une seule place aux forces de l’opposition – a été abandonnée. L’usure des combats, les sanctions et l’écroulement de l’économie vident les caisses de l’Etat et obligent Assad à économiser ses moyens. Il n’est donc plus possible pour les forces gouvernementales, même soutenues par les milices Chabbiha, d’intervenir partout et tout le temps. Depuis la « jihadisation » du conflit civil syrien, qui amène, entre autres, certains islamistes des banlieues françaises dans les faubourgs d’Alep ou de Homs, l’armée supplée largement les unités prétoriennes du régime. Les quelques succès enregistrés ces dernières semaines résultent partiellement d’un virage tactique : en plus de la division blindée de Maher Al-Assad et des supplétifs Chabbiha, l’état-major de l’armée prend une place croissante dans la contre-offensive. Il y a encore quelques mois, le commandement de l’armée était mis sur la touche au profit du noyau dur du régime car jugée peu fiable dans des combats de rue rapprochés qui exigent une loyauté totale. Or, comme cela s’est vu à Alep, l’arrivée massive de jihadistes décuple la motivation des hommes de troupe chrétiens, druzes, alaouites voire des sunnites qui craignent l’instauration de la charia et le morcellement du territoire syrien, suivant un modèle à l’irakienne.

Pour parachever sa stratégie de contre-insurrection, le gouvernement s’est résigné à lâcher le contrôle dans la région kurde où le risque du retrait de l’Etat est jugé acceptable par les stratèges d’Assad puis dans provinces où la présence du pouvoir central se réduit au strict minimum symbolique. Quand cela ira mieux, il aura tout le loisir de reconquérir ces territoires perdus, pense-t-il. En attendant, une Syrie libre existe de facto, plusieurs villes sont actuellement autogérées sans la moindre intervention de Damas et, ce qui semble plus périlleux, de larges secteurs frontaliers sont presque abandonnés. Or, si la Syrie n’a pas à craindre une attaque israélienne et peut donc risquer de diluer ses forces dans le Golan, l’abandon partiel du contrôle de ses frontières avec la Jordanie, l’Iraq et la Turquie, pourrait être plus dangereux : il ouvre aux insurgés des voies de communications libres leur permettant de s’approvisionner en hommes et en matériel. Pendant ce temps, les réserves du régime en devises étrangères fondent rapidement tandis que l’allié iranien se heurte lui aussi à de sévères sanctions économiques. Dans ces conditions, Damas consacre ses dernières forces à la défense de l’essentiel : les centres névralgiques et logistiques de l’Etat.

L’objectif d’Assad est de gagner du temps. Son calcul est simple : comme son père Hafez, il sait que l’atout principal de la Syrie est sa capacité de nuisance. Les conséquences négatives du pourrissement de la situation en Syrie se font de plus en plus sentir dans la région, où les positions commencent à bouger, notamment en Turquie. La recrudescence des attentats du PKK ces derniers mois fait douter l’opinion publique turque. Les médias ainsi que certaines voix au sein de l’opposition turque commencent à s’interroger sur le bien-fondé de la politique étrangère menée par Erdogan et son chef de la diplomatie Davutoglu. Un peu plus d’un an après la rupture brutale de l’alliance turco-syrienne, Ankara se demande s’il ne devrait pas nuancer voire abandonner son soutien aux rebelles syriens. À ces voix dissonnantes, il faut ajouter les tensions croissantes autour des camps de réfugiés syriens en Turquie, en Jordanie et au Liban.

Dans ce contexte, l’argument massue d’Assad « moi ou le chaos » devient chaque jour plus audible. Le président syrien peut de nouveau espérer mobiliser ses troupes et ressouder ses alliances. Par rapport au déluge de mauvaises nouvelles qu’il affronte depuis de longs mois, l’exportation de la crise syrienne dans la région est à coup sûr une bonne nouvelle pour le palais présidentiel de Damas. L’espoir de Bachar et de ses proches est que les principaux soutiens des rebelles, d’Ankara à Doha, en viennent à couper les vivres – hormis le strict nécessaire humanitaire – aux principales forces armées antigouvernementales.

Mais, au-delà des succès de sa nouvelle stratégie militaire, et malgré l’espoir renaissant, le bilan global de la crise reste désastreux pour le régime. Plus que jamais, la dynastie Assad joue son va-tout.

*Photo : FreedomHouse2 (« Bachar Al-Assad est un criminel de guerre »)



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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