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Nathalie Kosciusko-Morizet candidate à la présidence de l'UMP

En juillet dernier, trois jours avant d’annoncer urbi et orbi ce que tant de Français attendaient avec la plus extrême impatience, sa candidature à la présidence de l’UMP, Nathalie (Kosciusko-Morizet) accordait à L’Express un long entretien, où elle jetait les bases de sa philosophie politique, et prenait, avec une volupté dont témoignent les photos, la pose de future Présidente de la République. « Quand je serai grande, je serai Présidente !… » Un entretien qui, rétrospectivement, peut être lu, au choix, comme une confession, un manifeste, un catéchisme ou un programme, d’autant plus cocasse que la donzelle ne se départit jamais du ton si délicieusement péremptoire qui la caractérise, mais d’autant plus effarant qu’elle dit tout haut ce que certains, à l’UMP, pensent tout bas…

N’ayant peur de rien, la petite Nathalie commence par un gros morceau, sans doute pour montrer qu’elle a l’étoffe d’une future dirigeante : la distinction droite/gauche. Pour elle, les choses sont claires – même si par ailleurs elle évoque à tout bout de champ la « complexité du réel ». La droite, ce sont trois « valeurs cardinales », le travail, l’autorité et la responsabilité. Voilà. Point final. Nathalie n’a que faire des distinctions oiseuses à la Tocqueville, à la Aron ou à la René Rémond, de l’opposition liberté/égalité, ordre/mouvement, réalisme/idéalisme, tradition/progrès, etc… Pour notre apôtre de la complexité simplifiée, tout se ramène à cette trinité. Travail. Autorité. Responsabilité. C’est la droite de Nathalie. Ce qui laisse supposer, soit, que la gauche – qui jusqu’à nouvel ordre est le contraire de la droite – se reconnaît dans des valeurs strictement opposées (paresse, laxisme, irresponsabilité ?), soit, que la droite possède les mêmes valeurs que la gauche, et donc, que la distinction n’existe pas vraiment, ou que ce que Nathalie appelle la droite est en fait la gauche, ou enfin, qu’elle ne sait pas vraiment ce qu’elle raconte. Ce qui, réflexion faite, constitue l’hypothèse la plus plausible, dans la mesure où ces trois valeurs ne sont pas beaucoup plus connotées idéologiquement que la couleur mauve ou le flan au caramel. Le travail, par exemple, celui de la devise du Maréchal, est aussi au cœur de la pensée marxiste, sans même parler de la rhétorique trotskiste et du merveilleux « Travailleurs, travailleuses » qui fit naguère la célébrité d’Arlette. L’autorité en tant que telle n’a jamais été contestée que par d’infimes segments du gauchisme, ceux que Lénine jugeait pour cette raison même victimes de la « maladie infantile du communisme ». Quant à la responsabilité, elle constitue un dénominateur commun à tous les systèmes politico-juridiques depuis Hammourabi, ce qui rend un peu délicat son éventuelle appropriation exclusive par l’UMP post-sarkozyste. Il y a quelques années, un essayiste malicieux s’était amusé à démontrer que, contrairement au lapin, le lièvre est de droite. Si loufoques fussent-ils, ses arguments paraissaient plus solides que ceux que pourrait avancer Nathalie pour prouver la consistance idéologique de sa trilogie. En somme, la droite de Nathalie ne l’est que par pure convenance. Elle a d’ailleurs le bon goût de l’appeler ma droite, sans doute pour préciser qu’elle se fiche au fond de savoir si sa droite à elle est bien de droite.

La seconde question sur laquelle Nathalie démontre sa maîtrise de la novlangue contemporaine est celle de l’identité. Celle de la France serait-elle en danger ? lui demandent les journalistes qui la confessent. « C’est une question majeure du monde contemporain », rétorque-t-elle aussitôt. « L’identité est un besoin, c’est aussi un capital dans la mondialisation ». Drôle de réponse ? La suite est encore plus bizarre, puisque Nathalie, toujours sur l’identité, développe l’idée qu’en matière de production, « aujourd’hui, on veut un produit qui nous ressemble, qui parle de nous ». C’est-à-dire ? Des automobiles fabriquées en Chine avec un prénom français ? Des nanocomposants californiens bleu-blanc-rouge ? De la viande hallal qui chante la Marseillaise quand on ouvre le paquet fraîcheur ? Tirez sur la languette, et la bobinette cherra ? Voilà en quoi, pour elle, l’identité est « une question majeure ». L’identité, à l’en croire, serait d’ailleurs une idée neuve en Europe. La nation française, assure ainsi notre historienne en herbe, est née « à la fin du XIXe siècle ». Ignorants que nous étions, qui évoquions Philippe Auguste et Bouvines, Saint-Louis, Jeanne-d’Arc ou Henri IV ! C’est sous Jules Grévy, au temps de Panama, de l’affaire Dreyfus et des Inventaires, que les Français ont pris conscience d’appartenir à la communauté nationale. « Notre identité à nous s’est largement forgée sous la IIIe République, autour de l’école, de l’armée et des grands moments politiques et démocratiques ». Avant ? La France, c’était peanuts, comme aurait dit Malherbe, un poète du XVIIe siècle à l’identité incertaine. Voilà pourquoi Nathalie milite résolument pour « une Europe plus intégrée », mettant tous ses espoirs dans « un grand moment démocratique, pourquoi pas l’élection du Président du Conseil européen au suffrage universel », ce qui serait « un grand pas pour l’identité européenne » – de même qu’il y a un peu plus d’un siècle, l’élection d’Émile Loubet à la présidence de la République fut elle aussi un pas gigantesque, décisif, dans la construction d’une identité française. Un grand saut, comme celui des cabris chers au général De Gaulle – et nous voici passés d’une identité à une autre, comme on change de chemise ou de passeport dans la jet-set mondialisée chère à Nathalie où l’on considère que la patrie, c’est là où on se trouve bien à un instant donné, en fonction de son intérêt du moment.

Et la souveraineté ? Pour Nathalie, « c’est un mot fondateur ». Mais manifestement, ce n’est qu’un mot. « Au XXIe siècle, être souverainiste au sens gaulliste, c’est-à-dire maîtriser notre destin, c’est être européen » : bref, c’est savoir renoncer à notre souveraineté pour la confier à d’autres, dans un grand ensemble dominé par l’Allemagne et par la haute finance. Nul doute en effet que De Gaulle aurait adoré ; et comme elle, sans doute le Général aurait-il considéré qu’avec de telles armes idéologiques, « la droite tient les concepts pour interpréter et transformer le monde contemporain » (et plus si affinités).
Transformer : voilà au fond le maître mot de Nathalie, à qui l’on a appris que conservatisme est un terme qui commence mal. Elle ne cesse de le répéter : « nous laissons le conservatisme à la gauche, qui en a à revendre ». Sa droite à elle « n’est pas conservatrice », « c’est une droite qui (…) fait le choix de la transformation ». Laquelle ? En mieux, ou en pire ? On verra. L’important, c’est de transformer. Et Nathalie de citer la phrase du Guépard que connaissent tous ceux qui ne l’ont pas lu : « il faut que tout change pour que rien ne change ». Très contente de son petit effet, elle ne s’aperçoit pas qu’elle vient de se contredire en faisant du slogan le plus radicalement conservateur qui soit la devise même de son sarko-modernisme. Car que dit-elle ? Qu’il faut que rien ne change. Rien d’essentiel en tous cas. Et pour assurer cet objectif de conservation absolue, on est prêt à sacrifier tout le reste : les apparences, les fioritures, les accessoires – c’est-à-dire, pour elle, le mariage hétérosexuel, l’identité nationale, la souveraineté de la France. Que tout change pour que rien ne change : le problème, c’est que Nathalie ne sait pas très bien ce qu’il faut sauver à tout prix. Elle semble n’avoir aucune idée précise de ce qu’est cet essentiel pour lequel elle est prête à fourguer tout le reste, sans remords. Ses seules « valeurs intangibles », c’est que tout est négociable –sauf le refus de « l’extrémisme », pour laquelle cette grande bourgeoise éprouve un mépris abyssal et définitif. Mais ce refus suffira-t-il à combler le vide idéologique criant dont témoigne ce succulent entretien ? A faire de cette chipie aux dents longues un véritable personnage politique, et à transformer Nathalie en Margaret Thatcher ? Les adhérents à l’UMP nous le diront bientôt.

*Photo : veni markovski



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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