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Belgique, l’autre pays de la charia


La semaine dernière, nous évoquions les « incidents » de Molenbeek et l’étrange implication du groupuscule Shariah4Belgium dans les troubles qui ont dernièrement secoué la région de Bruxelles.

Grâce au travail approfondi du sociologue Felice Dassetto[1. Professeur de sociologie des religions, Felice Dassetto a fondé le Centre d’études de l’islam dans le monde contemporain. Il était l’un des premiers chercheurs à avoir publié à partir de 1984 des études sur l’islam et les musulmans en Belgique], nous disposons maintenant d’une monographie complète sur l’identité et les ressorts de cette ligue salafiste implantée au cœur même de l’Europe. Comme le résume Dassetto, le mouvement créé en 2010 à l’instigation du belgo-marocain Fouad Belkacem « fait partie des groupes qui veulent relancer le jihad en Europe par d’autres moyens que le recours aux armes ». Le jihad alternatif, aurait dit Audiard.

Ne nous y trompons pas : si l’acception couramment admise du jihad (mot qui signifie littéralement « effort ») désigne la guerre sainte contre les « Infidèles », sa conception maximaliste – le grand Jihad – se cantonne à la sphère intime, l’effort sur soi étant inhérent à l’islam. Or, le courant salafiste oscille également entre jihadisme social et individuel, connaissant diverses fortunes et filiations, des Frères Musulmans aux piétistes apolitiques.

Shariah4Belgium exprimerait une « vision identitaire à la belge » visant non pas la déflagration de la société par des bombes mais bien la déliaison culturelle et religieuse, la constitution d’un quant-à-soi imperméable aux influences allogènes (comprendre : non islamiques). En clamant haut et fort l’illégitimité des élections législatives belges de 2010, Shariah4Belgium s’est fait un nom en mettant sur le devant de la scène son parti pris sociétaliste. Le combat pour le port de la burqa, les campagnes en faveur des « frères » et « sœurs » opprimées par l’Etat coercitif belge ou français, les imprécations haineuses contre « les Juifs et les Croisés », tout cela s’insère dans une logique intrinsèquement takfiri. Inspirée des écrits du penseur égyptien Sayyid Qotb, que Nasser fit exécuter dans l’indifférence générale en 1966, les takfiristes sortent leur revolver moral dès qu’ils perçoivent la moindre entorse à leur rigorisme religieux. Le génie de Qotb, qui lui assure une postérité idéologique exceptionnelle, réside précisément dans le concept de « takfir » (excommunication, sortie de l’islam) associé à l’ère antéislamique de la Jahiliyya (ignorance), deux notions qui fournissent une boîte à outils commode pour sortir du monde moderne. Irrespectueux de l’islam et de ses pieux préceptes le Raïs-Pharaon égyptien ? Takfir ! Le gouvernement belge bafoue les libertés individuelles de ses administrés musulmans ? Takfir ! Bien sûr, il existe une certaine indétermination dans la nature de « l’excommunication » théorisée par Qotb : vise-t-elle le gouvernement, l’ordre politique ou la société toute entière ?

Foin de subtilité herméneutique chez Shariah4Belgium : l’essentiel est de se faire entendre par la force des mégaphones et des provocations frôlant l’illégalité. A ce petit jeu, tous les instruments sont bons, a fortiori dans un environnement démocratique où l’individu-roi peut prétexter de son indépendance pour défendre à peu près n’importe quoi au mépris de n’importe qui. Fouad Belkacem et ses ouailles se glissent intelligemment dans une des failles majeures de la démocratie libérale à l’ère du relativisme : la réduction de la Liberté – pour quoi faire ? aurait demandé un grand esprit – aux libertés négatives, l’absence de définition commune du Bien au profit d’une définition neutre et impersonnelle de la justice. D’un Etat binational exsangue, Shariah4Belgium a fait son terrain de jeu, articulant le jihad sociétal déterritorialisé, avec images satellite de Ben Laden et Zawahiri pour la forme, avec l’enracinement tactique dans un environnement froidement légaliste et déspiritualisé.

Si l’on y réfléchit bien, jihad pacifique ou non, Fouad Belkacem a inspiré une nouvelle forme de guerre de mouvement. En partisan combattant pour une idéologie, il mène une lutte asymétrique et réticulaire sans liaison territoriale fixe, ses faits et gestes n’obéissant qu’à la sourde injonction du jihad mondialisé.
Au royaume du Droit et du Marché, Shariah4Belgium a donc de beaux jours devant elle…



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