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Israël et la France: des relations tumultueuses (1/2)

Nous nous sommes tant aimés


Israël et la France: des relations tumultueuses (1/2)
Ytzhak Rabin et Shimon Peres rencontrent François Mitterrand à l'Elysée, 1994. Auteurs : Remy De La Mauviniere/AP/SIPA. Numéro de reportage : AP21950942_000137

 


Israël et la France ont constitué un véritable couple au vrai sens du terme, avec ses dérives et ses turbulences. Ils sont passés par toutes les phases : le flirt, l’idylle, l’amour fou, la passion, la querelle, la haine, l’indifférence, la séparation, la réconciliation et le divorce. L’histoire de ce couple a progressivement pris l’allure d’un véritable thriller. Voici la première partie de cette longue histoire.


L’idylle

Israël doit sa création à l’affaire Dreyfus qui joua le rôle de déclic salutaire en suscitant l’éveil juif. Le journaliste autrichien Theodor Herzl, sensibilisé et révolté par l’accusation, exposa son rêve d’un État juif qui fut concrétisé par David Ben Gourion le 14 mai 1948. La France avait apporté sa contribution minimum à la création de cet État.

En ce temps, l’allié principal d’Israël était l’URSS qui apporta son soutien psychologique et moral, ses dogmes et son idéologie et qui a confié aux pays de l’Est le soin de fournir des armes et des munitions. L’URSS était alors impressionnée par la vivacité du socialisme israélien qui avait trouvé une application concrète sur le terrain. Les pionniers de l’époque, tous issus des pays de l’Est,  étaient imprégnés de l’idéologie marxiste.

C’est ce qui avait poussé Andreï Gromyko à déclamer son discours, en 1948, à la tribune de l’ONU avec un magnifique vibrato : «Pour ce qui concerne l’État juif, son existence est un fait, que cela plaise ou non. La délégation soviétique ne peut s’empêcher d’exprimer son étonnement devant la mise en avant par les États arabes de la question palestinienne. Nous sommes particulièrement surpris de voir que ces États, ou tout au moins certains d’entre eux, ont décidé de prendre des mesures d’intervention armée dans le but d’anéantir le mouvement de libération juif. Nous ne pouvons pas considérer que les intérêts vitaux du Proche-Orient se confondent avec les explications de certains politiciens arabes et de gouvernements arabes auxquelles nous assistons aujourd’hui».

La France a eu du mal à digérer l’indépendance d’Israël au point de mettre plusieurs mois avant de reconnaître le nouvel État. Les États-Unis et la Russie l’ont fait, le 15 mai 1948, dès le lendemain de la résolution de l’ONU. Le président Truman avait signé lui-même cette reconnaissance dans une courte lettre où les États-Unis reconnaissaient, de jure (de droit) et non de facto (de fait), le gouvernement provisoire.

En revanche, les relations diplomatiques avec la France ne furent établies que le 24 janvier 1949, sept mois plus tard, par une lettre conditionnelle, signée par un fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères : «J’ai l’honneur de vous faire connaître que le gouvernement de la République française a décidé de reconnaître le Gouvernement provisoire d’Israël comme gouvernement de fait. Cette décision ne préjuge pas de la délimitation définitive par les Nations-Unis du territoire sur lequel il exercera son autorité».

Déjà à ce moment, le Quai d’Orsay, dont certains membres étaient prêts à voter contre la résolution, refusait la création d’un État juif. Dans une position médiane, il proposa que la France s’abstienne lors du vote historique du 29 novembre 1947 à l’ONU. Le ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, sensible aux arguments de son administration, tenait à préserver les relations avec la Syrie et le Liban. Mais les pressions conjointes du  nouveau président du Conseil, Robert Schuman, et de l’ancien chef du gouvernement provisoire, le très influent Léon Blum, avaient fait basculer le vote de la France, en dernière minute, au grand dam de certains diplomates du Quai d’Orsay, dont certains n’avaient pas hésité à qualifier leur propre pays de «république bananière».

Certes l’hésitation de la France pouvait se justifier alors car elle jugeait d’un mauvais œil les liens privilégiés d’Israël avec le bloc communiste qui fournissait alors la majorité des armes utilisées contre le mandataire britannique, l’allié qui avait permis la libération de la France. Par ailleurs, l’État juif était pratiquement considéré, par son idéologie communiste, comme un satellite de l’URSS. Le danger d’être catalogué comme un pays du rideau de fer n’avait pas échappé au visionnaire David Ben Gourion. Il opéra un changement stratégique brutal en appuyant les États-Unis contre la Corée (1950-1953) soutenue par l’Urss. Ce soutien sonna le glas des relations avec les pays de l’Est et mit Israël dans une situation d’isolement dramatique au moment où les besoins en armement devenaient vitaux face aux raids meurtriers menés par les fédayins palestiniens.

Les jeunots Peres et Dayan

Le problème algérien et Nasser vinrent à point nommé pour orienter une frange politique française, pas forcément socialiste, vers le soutien au sionisme. Vincent Auriol, premier président de la IV° République, fut l’instigateur en 1954 de la signature d’un important contrat d’armement entre le jeune Shimon Peres et le ministre Catroux, préfigurant ainsi une alliance tacite contre Nasser. Le président justifia ainsi sa décision : «En ce qui concerne la question palestinienne, la donnée fondamentale pour nous est que nous ne pouvions pas admettre la défaite d’Israël. Une victoire arabe se serait traduite par un accroissement de l’agitation en Afrique du Nord. Un État juif au centre du monde arabe était pour nous une garantie de sécurité et d’équilibre».

Le colonel Nasser avait fait son coup d’État le 23 juillet 1952 avec l’idée de devenir le champion du panarabisme. Depuis 1954, les Français étaient embourbés dans la guerre d’Algérie. Guy Mollet, président du Conseil, et Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la Défense, étaient persuadés que le cœur du FLN était au Caire et qu’en abattant Nasser, ils pouvaient mater la révolte algérienne. La nationalisation du canal de Suez, un véritable camouflet, persuada les Anglais et les Français que des mesures militaires étaient inéluctables. Ils se tournèrent alors vers Israël car ils savaient que le jeune et bouillant chef d’État-Major de 41 ans, Moshé Dayan, rêvait d’en découdre avec les fédayins qui traversaient la frontière en apportant avec eux la mort dans les kibboutzim des frontières.

Ainsi, bien avant la crise de Suez, du 11 avril à la mi-mai 1956, des contrats avaient été signés à l’insu du ministère français des affaires étrangères. De cette période idyllique date le début de l’animosité avec le Quai d’Orsay qui abritait des diplomates issus d’une vieille aristocratie catholique, profondément pro-arabe, parfois antisémite. Le ministre de la Défense Bourgès-Maunoury avait ainsi rapporté qu’en «raison de nos litiges et nos chicanes avec le Quai d’Orsay, il fut convenu que, dans la politique relative à Israël, l’administration du Quai n’y serait en aucun cas mêlée». Cette mise à l’écart avait été mal ressentie par le Quai d’Orsay qui n’eut de cesse que d’obtenir sa revanche.

Le 28 septembre 1956, un bombardier français conduisit en France une délégation secrète composée de Moshé Dayan, Shimon Peres, Golda Meir et Moshe Carmel, le ministre des transports. Le 1er octobre 1956, ils furent reçus dans l’appartement de Louis Mangin, conseiller de Bourgès-Maunoury, parce que le chef d’état-major français craignait que le secret soit éventé : «je ne peux pas recevoir dans mon bureau le général Dayan, grand mutilé de guerre; il porte un bandeau noir sur l’œil gauche et il n’est pas facile à camoufler». Tandis que Peres, Dayan et même Begin, de passage «par hasard» à Paris, s’affichaient dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés, le Général Beaufre, aidé de l’amiral Barjot, planifiait la campagne de Suez de 1956 qui pris le nom de code «Kadesh». Le général Challe, qui se distingua plus tard en Algérie, raccompagna Dayan en Israël, ce qui leur permit de tisser, durant le voyage de retour, des liens étroits professionnels.

Mais les dirigeants français étaient décontenancés par l’équipe de «jeunots» israéliens conduite par Moshé Dayan, 41 ans, et le gamin Shimon Peres, 33 ans, alors que l’état-major français comptait des vieux militaires illustres qui s’étaient distingués sur les champs de bataille de la Seconde Guerre Mondiale. Ils exigèrent donc d’avoir la caution personnelle du premier ministre israélien qui se rendit secrètement à Sèvres, le 21 octobre 1956, avec Moshe Dayan, «le borgne qui fait peur aux arabes», Golda Meir et Shimon Peres pour rencontrer Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la Défense. Guy Mollet, le chef du gouvernement, les rejoignit un peu plus tard pour finaliser l’expédition militaire de Suez.

Le nucléaire israélien

Dans une atmosphère pesante, Ben Gourion, qui n’était pas un va t’en guerre, estimait à juste titre que le conflit avec Nasser concernait d’abord la France et la Grande-Bretagne. Il hésita à entrer en guerre sauf s’il recevait des garanties et des contreparties. Dans le dos du chef de la diplomatie française qui avait été écarté, Ben Gourion s’était laissé persuader, le 21 octobre, de lancer les paras de Dayan dans le Sinaï en échange d’un engagement de la France de donner la bombe nucléaire à Israël. Les Israéliens obtinrent aussi une couverture navale et aérienne de leur territoire grâce à plusieurs avions français, peints aux couleurs israéliennes, mais pilotés par des aviateurs français jusqu’en Israël.

C’est à cette occasion qu’une étroite coopération franco-israélienne s’amorça grâce aux efforts de Shimon Peres qui réussit à acquérir, auprès de la France, le premier réacteur nucléaire de Dimona et, auprès de l’avionneur français Dassault, le Mirage III, un avion de combat à réaction le plus évolué de l’époque. Ben Gourion accepta de donner sa caution personnelle à l’expédition éclair qui devait mener les troupes israéliennes, le 29 octobre, sous la conduite du général Dayan et d’un jeune colonel de 28 ans, Ariel Sharon, jusqu’au Canal de Suez avec la protection aérienne franco-anglaise. L’opération n’ira pas à son terme car le président Eisenhower, à peine élu et soumis à la menace nucléaire russe, préféra faire plier les alliés en les obligeant à évacuer l’Égypte.

Fin de l’idylle

L’idylle franco-israélienne dura dix ans dans l’intérêt des deux pays, alors dirigés par des socialistes, à la fois pour le développement des échanges commerciaux et pour la collaboration des industries de haute technologie. L’entente se poursuivit pour atteindre son apogée à l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle qui décida d’y mettre fin.

Les relations d’Israël avec la France durant les septennats du général de Gaulle, de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing sont faciles à analyser, il n’y en eu pas. Dès son arrivée en 1958, le général de Gaulle donna l’ordre à son ministre des Affaires étrangères, Couve de Murville, de vider le Quai d’Orsay de ses éléments socialistes et pro-Algérie française. Il décréta un embargo sur les armes en pleine guerre de Six-Jours. Son successeur Georges Pompidou le prolongea. L’incident de la fuite des cinq vedettes de Cherbourg, commandées et payées par Israël, donna le coup de grâce aux relations idylliques. Le président Giscard s’était rapproché de l’Iran en acceptant sur le sol français, en octobre 1978,  l’ennemi du Shah, l’ayatollah Khomeiny, avec l’espoir d’être payé en retour en pétrole devenu rare après la guerre du Kippour de 1973.

Les mandats de François Mitterrand puis de Jacques Chirac avaient permis un rééquilibrage de la politique française vis-à-vis d’Israël. D’ailleurs François Mitterrand avait consacré sa première visite officielle en Israël. Selon les sondeurs, la défaite de Giscard en 1981 avait été due au vote massif des amis d’Israël bien que le vote juif, contrairement aux États-Unis, n’existe pas en France. François Mitterrand s’était entouré de nombreux ministres juifs. Il avait des relations particulières et personnelles avec le premier ministre de droite, Menahem Begin. Si François Mitterrand avait beaucoup insisté sur l’attachement de la France à la reconnaissance et à la sécurité d’Israël, sa politique était cependant empreinte de grande continuité. Le gouvernement avait les yeux fixés sur la ligne de la balance commerciale extérieure, axée sur la diversification des échanges. Son ministre des Affaires étrangères pro-arabe Claude Cheysson avait favorisé des contrats avec les pays arabes et un rapprochement avec la Syrie et l’OLP (Organisation de libération de la Palestine).

Arafat et l’OLP

Les Israéliens, qui attendaient beaucoup de François Mitterrand, furent déçus du soutien de Paris aux revendications nationalistes palestiniennes. Il soutenait en effet le droit des Palestiniens à un État et s’était posé en protecteur de l’OLP, lors de l’opération Paix en Galilée lancée par Israël contre le Liban en 1982. Pendant l’opération, grâce à la médiation française, Yasser Arafat et les dirigeants de l’OLP avaient pu s’exiler en Tunisie. Mitterrand entreprit un resserrement des relations avec l’organisation en invitant notamment Yasser Arafat à Paris en mai 1989 lui donnant ainsi une véritable légitimité. Mais cette proximité avec l’OLP ne lui a pas permis de jouer un rôle central dans le processus de paix d’Oslo commencé en 1993, durant lequel la France est restée exclue par la volonté israélienne.

La révélation du passé trouble du président sous le gouvernement de Vichy provoqua de nouvelles tensions non seulement avec Israël mais également avec la communauté juive de France.

à suivre…



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est journaliste indépendant. Installé en Israël depuis 2007, il anime le site Temps et Contretemps.

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