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Drieu : pour qui mourir ?


Comme Montherlant, comme Céline, comme Bernanos aussi ; comme Jünger en face − Drieu se comprend à partir de la guerre où commença de se suicider l’Europe. Son entrée dans l’âge d’homme, son initiation, sa naissance à la littérature également : toutes ces fondations se firent au front et au cours de cette première guerre des machines et des gaz, au sein de ce carnage que la Technique rendait exponentiel. Ses premier écrits ? Des versets claudéliens produits à l’hôpital et en permission. L’encre, dès l’origine, pour lui, coula entre la poudre et le sang.[access capability= »lire_inedits »] Là s’imprima son idiosyncrasie. Tout le reste en fut la conséquence.

« L’homme couvert de femmes » l’avait d’abord été de cadavres, et si son rapport à celles-ci fut celui d’un séducteur compulsif, qui souvent fit butin de leur argent, il n’en resta pas moins un passionné sincère cherchant éperdument le feu. D’ailleurs, l’amour et la guerre, il les confondit constamment, vivant celui-là comme une expression de l’éternelle, cruelle et adorable guerre des sexes ; et livrant celle-ci pour la gloire d’un pays qu’il aimait « comme une femme rencontrée dans la rue ».

La guerre simplifie tout, dénude et radicalise − relie aux grands archétypes, implique le prêtre à côté du guerrier afin de donner un sens à cette mort dont l’ombre se fait éblouissante. Drieu, homme couvert de dieux : chrétien hétérodoxe, paganisant, syncrétiste, historien des religions, hindouiste. Pour qui mourir ? Comment ? Vers où ? Drieu perdu dans la charge, à un moment où la modernité avait fait éclater toutes les antiques certitudes. Surtout, lancinante et perpétuelle : guerre contre soi-même, ce pourquoi, au revers de l’affirmation de soi flamboyante et nietzschéenne, Drieu cultivera le « self-denigrement » pour dénoncer, viser, abattre l’homme couvert d’échecs.

Sous l’uniforme, le soldat − au-delà de lui-même −, incarne tout un peuple et sa destinée. Drieu, l’uniforme lui était entré dans la peau. Si bien que ce peuple et cette destinée, il ne cessa de confondre toute son existence avec, jusqu’à la trahison qui prit la tournure d’un dépit amoureux, d’un crime passionnel. Tout le malaise français, toute la morbidité européenne résonna démesurément en lui, et ce malaise, cette morbidité, n’étaient rien moins que le vertige d’une immense déflagration.

Ainsi, tout l’œuvre de Drieu réalise-t-il le programme rimbaldien : fixer un vertige. Vertige des morts, des femmes, des dieux défunts, des potentielles idoles, du « moi » en lambeaux et de la France éparse. Un égarement fou dilacéré d’éclats visionnaires. Comme si les milliers de mots qu’il affuta avaient manifesté l’éclat et l’infinie répercussion d’une explosion initiale. Laquelle dût avoir lieu, très concrètement, un jour, quelque part près de Charleroi.

Vint la Seconde Guerre mondiale qui n’était que le prolongement de la première, et Drieu, alors, comme l’Europe, acheva de se suicider.[/access]

Mai 2012 . N°47

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste littéraire et co-animateur du Cercle Cosaque

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