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Le verbe aura le dernier mot

On peut vivre-ensemble mais pas avec n'importe qui


Le verbe aura le dernier mot
La journaliste Élisabeth Lévy © Photo: Pierre Olivier

L’éditorial de mai d’Élisabeth Lévy


Nous retrouverons bientôt nos « jours heureux » et nos « 1er-mai chamailleurs », c’est le président qui l’a dit.

Ces dernières années, les « jours heureux » ont surtout été marqués par des métros immobilisés, des villes paralysées et des fins de mois démoralisées. Quant à nos chamailleries, elles se sont souvent réglées à coups de LBD, barres de fer et autres « armes par destination », comme on dit dans les rapports de police. C’est ainsi, la mémoire humaine a tendance à repeindre le réel en rose. Après deux mois d’assignation à résidence, le temps où nous pouvions nous inter-tripoter, défiler en rangs serrés ou simplement nous promener le nez au vent sans craindre de contaminer notre prochain fait figure d’âge d’or.

« Je ne vous raconte pas ça, mes chers compatriotes, pour vous casser le moral, mais pour vous accoutumer à l’idée que le monde d’après ressemblera furieusement à celui d’avant en plus fatigué, comme notre Premier ministre avec sa demi-barbe blanche, stigmate de son calvaire… »

Dans quelques semaines, ou quelques mois, nous aurons renoué avec les interminables déjeuners de famille, les vexations des petits chefs, les complots de machine à café, les commerçants mal lunés, les tapages nocturnes appelés « fêtes », organisés sous divers prétextes sportifs, musicaux ou humanitaires, ainsi que les embouteillages et autres innombrables inventions criminelles d’Anne Hidalgo pour pourrir la vie des Parisiens, surtout quand ils sont banlieusards. Les féministes psalmodieront de nouveau leur haine obsessionnelle de Roman Polanski. Nous nous rappellerons alors que, dans « lien social » il y a « lien » et nous dirons, désenchantés, que le confinement c’était le bon temps.

Je ne vous raconte pas ça, mes chers compatriotes, pour vous casser le moral, mais pour vous accoutumer à l’idée que le monde d’après ressemblera furieusement à celui d’avant en plus fatigué, comme notre Premier ministre avec sa demi-barbe blanche, stigmate de son calvaire.

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Éclair de lucidité

Aussi étonnant que cela semble, la dernière affaire Zemmour offre pourtant des raisons d’espérer.

Rappelons les faits, d’ailleurs microscopiques – une agression verbale comme il s’en produit des dizaines, contre le journaliste et bien d’autres. Le 30 avril, Alex, un jeune homme d’origine maghrébine, qui parle le racaille dans le texte, le croise à la sortie d’un magasin, chargé de deux sacs de courses et le suit en l’insultant et en se filmant. Plus tard, il diffuse la vidéo sur Snapchat en se vantant d’avoir, hors caméra, craché sur le journaliste. Et lâche cette pépite : « Il est trop fort en débat, qu’est-ce que vous voulez faire à part l’insulter sa mère. Alors je l’insulte sa mère. » CQFD

Qu’Alex soit remercié pour cet éclair de vérité. Son aveu expose en pleine lumière l’imposture, peut-être la tragédie du vivre-ensemble. Pour vivre ensemble, il faut un langage commun et, avec une partie (minoritaire, mais bruyante) des enfants d’immigrés, il n’y a pas de langage commun parce qu’ils n’ont plus l’usage d’aucun langage. Le seul qu’ils connaissent, c’est « j’insulte sa mère ». Ce constat n’est certes pas réjouissant, mais la lucidité est la condition du sursaut. Même le plus angélique des sans-frontiéristes ne peut plus affirmer qu’Alex est une chance pour la France. On peut vivre-ensemble, mais pas avec n’importe qui.

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Divine surprise

La nouveauté, et elle est de taille, est qu’au lieu de susciter une bataille rangée ou une chasse à l’homme contre notre camarade et confrère, l’agression a créé un consensus inédit en sa faveur. Certes, la gauche insoumise et les médias publics ont brillé par leur silence. Et le très prévisible Claude Askolovitch a écrit dans un de ces textes entortillés dont il a le secret que Zemmour et son agresseur étaient les deux faces d’une même médaille. Cependant, on n’a pas entendu les pleureuses de gauche soutenir que l’insulteur était une victime et l’insulté un provocateur. Au contraire, beaucoup de beaux esprits de la gauche convenable et de la droite modérée, la Licra, et même des féministes comme Caroline Fourest et Marlène Schiappa ont apporté leur soutien à l’éditorialiste dont ils ne partagent pas les idées. « Cet idiot s’est craché dessus et nous salit tous », déclare Fourest. Cerise sur le gâteau, le parquet a ouvert une enquête pour « violences » et « menaces ». Cette conversion générale au pluralisme et aux vertus du débat à la loyale est une divine surprise. Il est vrai qu’Emmanuel Macron a donné l’exemple en téléphonant longuement à Éric Zemmour. Ce faisant, il a joué son rôle constitutionnel de garant de la liberté d’expression, même si sa propension notable à discourir sans agir fait douter de la solidité de cette garantie.

Le plus amusant, et le plus édifiant, c’est que, devant le tollé et peut-être la menace de poursuites pénales, le rouleur de mécaniques se soit totalement déballonné. Dans une deuxième vidéo, il bafouillait piteusement qu’en réalité, il n’avait pas craché sur Zemmour et que d’ailleurs il n’aurait pas dû l’insulter. C’est peut-être le début de la sagesse. C’est aussi la preuve que le langage de la force paie – et évite souvent d’y recourir. Avoir un cerveau ne dispense pas de montrer ses muscles. Encore faut-il être prêt à en faire usage.

Mai 2020 – Causeur #79

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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