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Je reviens voter à la maison


Bien sûr, j’aurais pu voter par procuration depuis Brive où je me trouve jusqu’à début juin. Finalement, j’y suis presque chez moi, à Brive. On appelle ça une résidence d’écrivain. La ville de Brive et le CNL s’occupent de tout. La seule chose que j’ai à faire, c’est écrire. C’est pour cela que je ne remercierai jamais assez la ville de Brive et le CNL de me permettre de me livrer à mon activité favorite sans avoir d’autres choses à faire pour gagner ma vie. Parce que je ne sais pas si vous avez remarqué, mais à part quelques exceptions de plus en plus rares, quand un roman est écrit, tout le monde en vit, l’éditeur, le libraire, le distributeur, l’imprimeur, le critique, tout le monde sauf l’écrivain lui-même. Et après, vous vous étonnez que je sois marxiste. La plus-value que tout le monde me pique, moi, l’air de rien, je connais. Pas besoin d’être un ouvrier délocalisable pour comprendre comment ça marche.

J’habite une petite maison rue Jean Fieyre aussi appelée « rue des syndicats », parce qu’il n’y a pas de hasard pour les mauvais esprits, les partageux, les affreux. J’ai pris quelques habitudes agréables, à Brive. Un express dans un bistrot de la rue Gambetta, pour lire les journaux. La Montagne mais aussi L’Echo, qui doit être un des derniers quotidiens régionaux d’obédience communiste comme on dit, avec des vrais morceaux du blog de Mélenchon dedans.

Mais non, vraiment, je préfère rentrer à la maison pour accomplir mon devoir électoral. Pour rien au monde, je ne veux me priver d’entrer dans mon bureau de vote habituel de l’école Marcel Sembat, dans le quartier de Lille Saint-Maurice et de prendre tous les bulletins avant de passer dans l’isoloir car je suis respectueux des procédures démocratiques même si tout le monde connaît mon choix, depuis le temps. Je ne vais tout de même pas me priver de vivre ça en direct, chez moi et de suivre le dimanche soir les résultats avec les copains. Et que je suis pour la plus extrême fermeté pour ces gâcheurs de plaisirs qui voudraient me donner les résultats avant 20h. C’est bien l’époque, ça : vouloir tout de suite l’orgasme en oubliant les préliminaires.

Je ne sais pas si ça vous fait le même effet qu’à moi, mais je ressens un mélange étrange de trouille et de joie avec cette élection. On me dit (en fin les instituts de sondage me disent) que les Français ne sont pas très intéressés. Bon, je veux bien, mais à Brive tout le monde ne parle que de ça, dans les cafés, les restaurants, les files de cinéma (le Rex avec sa jolie façade années 30), les vestiaires de la piscine municipale. La joie parce qu’il y a longtemps, bien longtemps que, selon toute probabilité, les idées auxquelles je crois depuis toujours feront un score inespéré. La trouille parce que j’aimerais bien que tout cela ne soit pas sans lendemain et, comme dirait Rimbaud, que le rêve ne fraichisse pas.

Alors, je vais reprendre le train pour Lille, le temps d’un week-end. Ca me rappellera le service militaire, les permissions de 96 heures, les seules qui valaient le coup de rentrer à une époque où il n’y avait pas de TGV et que Rouen-Rennes supposait 6 où 7 bonnes heures de train.
Là, il me faudra quatre heure trente pour rallier Paris. Toujours pas de TGV à Brive. Ce serait même plutôt un TPV. C’est beau mais un peu long même si aux alentours d’Argenton-sur-Creuse, c’est un festival de châteaux et de rivières « au cœur frais de la France » Là, ce n’est plus de Rimbaud, mais de Larbaud. Un pays comme le nôtre, avec des poètes et des paysages comme ça, mérite tout mieux que l’oubli de soi et une simple soumission à la Dette. On ne tombait pas, jadis, amoureux d’un taux de croissance, ce n’est pas aujourd’hui pour tomber amoureux d’un taux d’intérêt.
Alors, je vais sans doute, cette fois-ci, trouver le parcours un peu lent malgré tout.

A moins que justement cette lenteur ne soit une chance et préfigure ce que le retour d’une vraie gauche au soir du 1er tour supposerait, pour moi, comme choix de société : un monde où l’on saurait enfin prendre son temps, voire le perdre, parce que les impératifs de la production capitaliste ne seraient plus qu’un mauvais souvenir. Un monde avec des poèmes, des châteaux, des rivières, des trains calmes qui ressembleraient encore à celui d’hier dans ce qu’il avait de meilleur : un rapport à l’autre qui ne se fondait pas seulement sur la méfiance et la compétition mais sur une certaine gratuité.
Oui, je reviens voter à la maison



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